Portefeuille d'investissement, concept de négociation boursière. Petit investisseur, personnage masculin, assis devant une énorme mallette, jonglant avec des pièces de monnaie.
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Une majorité des conseillers en sécurité financière désignent deux mesures incitatives comme susceptibles de nuire au traitement équitable des clients, selon le Baromètre de l’assurance 2024.

Il s’agit des écarts élevés entre les commissions pour la vente initiale d’un contrat et celles pour les Services continus ainsi que des commissions de renouvellement acquises la vie durant par des conseillers, ce qui peut laisser des clients orphelins. Respectivement, 51 % et 53 % des répondants au sondage ont jugé comme à risque ces genres de rémunérations.

Notons par ailleurs que 64 % des conseillers sondés estiment potentiellement nuisible l’imposition d’un volume minimal de ventes aux agences par les assureurs. Près de la moitié (49 %) des représentants avait la même opinion concernant les concours de vente et les voyages de formation de ce genre.

Revenons au risque découlant notamment des commissions accélérées, aussi appelées « high and low ». « ­Plus de 90 % de la rémunération d’un contrat d’assurance est versée dans sa première année. L’incitatif est à la vente, pas au service », dit un répondant.

« L’assurance offre un revenu intéressant seulement à la vente, relève un autre conseiller sondé. Les revenus qui en découlent par la suite sont beaucoup plus faibles et n’incitent pas à la conservation des produits ou encore à offrir du service sur un vieux contrat. Si les efforts sont mis aux endroits “payants”, le maintien des polices ne sera pas priorisé. » ­Même si le représentant doit privilégier le maintien en vigueur d’un contrat selon les règles de la Chambre de la sécurité financière.

Un autre affirme : « Ce n’est pas payant de donner du service aux clients. Souvent, le conseiller initial vend et disparaît. Les clients se retrouvent alors sans service. »

La pratique semble fréquente, selon certains répondants. « ­Il y a un nombre trop élevé de conseillers qui vendent des assurances dans l’objectif de générer des commissions plutôt que de se soucier uniquement de l’intérêt du client », dénonce un répondant. « ­Les commissions de renouvellement doivent augmenter si l’industrie souhaite que les clients aient du service », tranche un autre.

L’autre enjeu concerne les conseillers qui, bien qu’ils aient abandonné leur permis de pratique, continuent de récolter des commissions de suivi. Certains les appellent les « papis sans permis ».

« ­Ne pas permettre à un nouveau conseiller de prendre la relève après deux ans suscite assurément des orphelins, déplore un conseiller. C’est injuste de ne pas permettre à un nouveau conseiller de prendre la place et de recueillir au moins quelques sous pour le suivi et les renouvellements. » ­Une telle situation nuit aux clients, affirme un répondant : « Ça incite les conseillers à annuler leur police et à en obtenir une nouvelle. »

Le problème devrait être tranché par l’Autorité des marchés financiers (AMF), d’après un répondant : « ­Un conseiller prenant sa retraite devrait obligatoirement vendre cette clientèle. Une commission de suivi devrait être versée tant et aussi longtemps qu’un permis auprès de l’AMF est valide. »

Martin Luc Derome, président de Queenston, firme spécialisée en fusion et acquisition de cabinets de conseil financier, constate ces problèmes à l’échelle canadienne. « Aujourd’hui, la commission de service est de 5 % en moyenne pour cinq ans. Le conseiller doit donc vendre une autre police s’il veut continuer d’avoir le même revenu de service. Si je veux une croissance, chaque année je dois vendre plus de polices. » ­Cela crée un risque qu’un conseiller veuille remplacer des polices même si elles faisaient l’affaire.

Or, les commissions accélérées abaissent la valeur des blocs de clientèle des conseillers (books), constate Martin Luc Derome. « ­Si les renouvellements étaient plus importants, ­dit-il, ça donnerait une plus grande valeur de revente. La commission de 90 % est trop forte. Quand les conseillers arrivent à la retraite, ils n’ont rien à revendre. » ­Cela entraîne un déséquilibre important entre la valeur des clientèles d’assurance et celle des clients de produits d’investissement, dont la valeur est plus élevée.

Moins populaire, la commission nivelée, où un conseiller reçoit une rémunération moins élevée la première année, est plus stable dans le temps et permet d’éviter certains biais de la commission accélérée.

Mal nécessaire ?

Le problème de ces biais est épineux, mais apparaît comme un mal nécessaire, pour Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de Services financiers. Du côté des produits d’investissement, explique-t-il, les nouvelles règles de rémunération et de tarification ont fait qu’un conseiller de la relève peut difficilement se composer un revenu adéquat dans les premières années. Cela freine l’accès à la carrière.

Or, la commission accélérée est un refuge pour ces débutants. « ­En modifiant les commissions vers un plus grand nivellement, on fermerait la porte aux jeunes, ­juge-t-il. Bien sûr, des commissions nivelées contribueraient à rehausser la valeur des books, mais un book plus cher ne va pas non plus aider un jeune qui veut l’acheter. »

Par ailleurs, le problème des « papis sans permis » n’aide pas non plus les jeunes. « ­Si on veut attribuer à un jeune les clients d’un [conseiller expérimenté], il n’est pas rémunéré. C’est la grosse faille dans les contrats des assureurs. » ­La pression se trouve déplacée vers les agents généraux, constate Gino-Sébastian Savard. « ­Les assureurs leur disent qu’ils doivent assurer le service, trouver un agent pour faire le service, mais il n’est pas rémunéré ! C’est une situation impossible. »

Comment résoudre cette « situation impossible » ? ­Pas en cherchant du côté des assureurs, apparemment. « ­Il faut changer les contrats, mais personne ne veut être le premier à le faire », ­poursuit-il. Le premier assureur qui bougerait dans ce sens risquerait de perdre des clients.

Selon un répondant du Baromètre de l’assurance, iA Groupe financier a fait un geste dans ce sens, étalant les commissions de façon plus égale dans le temps. Nous avons demandé une entrevue à cette société pour en parler, entrevue qu’elle nous a refusée.

La solution doit venir de l’AMF, juge Gino-Sébastian Savard. Or, le régulateur s’en remet plutôt aux attentes qu’il a déjà formulées à l’endroit de l’industrie. « L’Autorité s’attend à ce que l’institution financière détermine et évalue régulièrement les risques de pratiques pouvant nuire au traitement équitable des clients qui peuvent découler des mécanismes incitatifs, écrit l’AMF par courriel. Les assureurs et les cabinets peuvent prévoir et définir leurs pratiques d’affaires et de rémunération dans le respect de leurs obligations envers les clients, dont assurer un service continu et adéquat. »

En d’autres mots, l’AMF remet la balle dans le camp de l’industrie, qui doit se démêler avec les biais de ses mesures incitatives. Gino-Sébastian Savard constate l’impasse : « ­On fait des représentations sur ces questions depuis des années [auprès de l’AMF], mais ça ne passe pas. »