Selon Maxime Gauthier, avocat, chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici Services Financiers, le guide de l’AMF et le projet de loi 18, qui réforme la protection offerte aux personnes inaptes, agiront en complément l’un de l’autre. Toutefois, il croit que le guide aura plus d’impact sur les représentants que le projet de loi 18, intitulé Loi modifiant le Code civil, le Code de procédure civile, la Loi sur le curateur public et diverses dispositions en matière de protection des personnes.
«En fait, le projet de loi 18 rend plus flexible l’établissement des régimes de protection, et vient clarifier certains mécanismes et obligations, explique-t-il en entrevue. Mais dans la pratique, le guide risque d’avoir un plus grand impact sur le conseiller que la loi, parce que celle-ci ne vient pas changer les grands principes du régime de protection : le législateur donne plutôt des outils pour le personnaliser.»
Un guide de bonnes pratiques
Frédéric Pérodeau, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution à l’AMF, affirme que l’Autorité est particulièrement sensible à la protection des personnes vulnérables. L’organisme participe d’ailleurs aux travaux du gouvernement dans le cadre du Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées.
«L’Autorité est impliquée dans une dizaine de ces initiatives. Une des initiatives phares de ce plan d’action était la publication, par l’Autorité, d’un guide sur les bonnes pratiques pour les intervenants du secteur financier qui font face à des situations où les clients sont susceptibles d’être victimes d’abus ou de maltraitance», a-t-il précisé en marge du 13e colloque annuel de conformité du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ), tenu à Montréal le 30 avril dernier.
Le guide, publié le 23 mai dernier, se veut un outil pratique pour les professionnels de l’industrie afin de les aider à intervenir dans des situations potentielles d’abus ou de maltraitance, et à mieux les prévenir et les déceler.
«Les représentants se trouvent souvent dans des situations où ils repèrent certains facteurs de risque. Mais il s’agit de situations très complexes, car elles impliquent dans certains cas le respect de la vie privée, la responsabilité professionnelle et le droit pénal. On voulait faire en sorte que les représentants puissent prendre la décision qui s’impose», dit Frédéric Pérodeau.
Par exemple, les représentants ont désormais la possibilité de communiquer avec un intervenant externe, comme la police ou le Curateur public, s’ils ont un doute à propos d’une transaction. Ils peuvent également suspendre celle-ci le temps de l’enquête.
S’adapter à la situation de chacun
Le projet de loi 18, déposé à l’Assemblée nationale le 10 avril dernier, procède, quant à lui, à une importante révision de la protection offerte aux personnes jugées inaptes. Cette réforme vise notamment à supprimer l’opposition traditionnelle entre personnes «aptes» et «inaptes» pour y apporter davantage de nuances.
«En ce moment, il y a plusieurs régimes à l’intérieur du Code civil, et ce que je retiens du principe du projet de loi, c’est qu’on en élimine certains, explique Maxime Gauthier. Plutôt que d’avoir des régimes très stricts et formels avec des processus, on veut permettre aux tribunaux d’adapter le régime à la situation de la personne pour s’assurer qu’elle est protégée adéquatement, mais qu’elle n’est pas non plus complètement dépossédée de tous ses rôles et attributs.»
Effectivement, le projet de loi stipule que «le tribunal doit, dans tous les cas, déterminer si les règles relatives à l’exercice des droits civils qui s’appliquent généralement au majeur en tutelle doivent être modifiées ou précisées, compte tenu des facultés de celui-ci».
Maxime Gauthier estime que le projet de loi est une bonne chose. Selon lui, les régimes sont parfois trop «lourds» pour le tuteur et pour la personne protégée. En permettant d’adapter les régimes à chaque individu, on répondra au besoin de protection sans alourdir le processus ni infantiliser à outrance l’individu. «Cette géométrie variable est intéressante», commente-t-il.
Il admet que ce projet de loi pourrait accroître la charge de travail du tribunal, quoiqu’il pourrait résoudre certains cas de contestation de tutelle. Ainsi, une personne qui n’est pas totalement inapte, mais qui est consciente d’avoir besoin d’aide pour certaines choses, pourra discuter les paramètres qu’elle trouve trop astreignants dans la tutelle.
Le projet de loi propose également des tutelles temporaires. Ainsi, un tribunal pourra «autoriser une personne à accomplir un acte déterminé au nom d’un majeur s’il est établi, par une évaluation médicale, que l’inaptitude de celui-ci est telle qu’il a besoin d’être représenté temporairement pour l’accomplissement de cet acte. L’incapacité qui en résulte est alors temporaire et ne porte que sur l’acte pour lequel le représentant a été autorisé par le tribunal», peut-on lire dans le texte du projet de loi.
Un travail de collecte de données
Maxime Gauthier dit ne pas s’attendre «à ce que le projet de loi change le rôle du conseiller ou de la firme de manière marquée».
Actuellement, lorsqu’un client est considéré comme vulnérable ou est sous régime de protection, les professionnels du milieu de la finance doivent assumer certaines responsabilités qui sont clarifiées dans le nouveau guide de l’AMF.
«Avec le projet de loi, notre rôle sera de s’assurer que l’on comprend bien la variabilité du régime de protection. Il faudra prêter une plus grande attention au contenu du jugement pour savoir quelle est la portée de la protection, mais ça va essentiellement être un travail de collecte de données», précise le chef de la conformité de Mérici.
S’il a un client vulnérable sous régime de protection, le conseiller devra s’assurer de bien comprendre le rôle de chacun – celui du client, mais également celui de son curateur, tuteur ou mandataire – et de savoir qui a le droit de donner des instructions pour le compte.
Quand le projet de loi sera-t-il adopté ? Maxime Gauthier hésite. Selon lui, l’adoption de projets de loi de ce genre, qui sont peu politisés et portent sur un sujet de société, peut être retardée au profit d’autres projets de loi plus délicats. Toutefois, comme il s’agit d’un sujet dans l’air du temps, il pourrait être traité rapidement.