N’eût été une transaction et quittance signée avec VMD, ceux-ci auraient eu droit à une indemnisation parce qu’ils ont été congédiés sans motif sérieux, d’après le juge Benoît Moore de la Cour supérieure. Toutefois, ce dernier, qui rejette la poursuite des conseillers contre VMD, qualifie d’«infraction grave» le fait qu’ils ont géré quelques comptes clients offshore à l’extérieur des livres de VMD.
«Nous avons obtenu une victoire morale sans compensation financière !» indique Jean-Marc Milette dans un courriel à Finance et Investissement.
Rappelons que le duo de conseillers a été congédié par VMD en novembre 2011 pour motif qu’ils n’avaient pas déclaré leurs activités sur des comptes offshore de quatre ou cinq clients. Ce manque de transparence est à l’origine du bris de confiance qui a mené à leur renvoi, ainsi qu’au congédiement simultané de sept autres conseillers en placement de VMD. Marc Dalpé et Jean-Marc Milette ont travaillé pour VMD d’avril 2003 à novembre 2011 et poursuivent leur carrière chez Richardson GMP.
Selon les deux conseillers, VMD ne cherchait qu’un prétexte pour résilier leur contrat, lequel ne convenait plus à la firme de courtage, puisque celle-ci connaissait l’existence de ces comptes et qu’elle ne leur a jamais enjoint de s’en départir. En mai 2013, Marc Dalpé et Jean-Marc Milette ont déposé une requête à la Cour supérieure du Québec dans laquelle ils réclamaient 6,2 M$ à VMD.
Le tribunal a toutefois rejeté cette réclamation, étant donné que les parties avaient signé, deux semaines après le congédiement, une transaction et quittance dans le cadre d’une action en injonction qui visait à faire respecter une clause de non-sollicitation qui les liait. Le juge Benoît Moore ne s’est pas rendu aux arguments de Marc Dalpé et Jean-Marc Milette, qui estimaient que la quittance ne concernait que la question de la non-sollicitation. La Cour rejette aussi la demande reconventionnelle («contre-poursuite») de VMD, qui accusait les conseillers d’abus de procédure, laquelle demande leur réclamait 316 546 $, selon le jugement de la Cour supérieure.
À la fin de juillet, Marc Dalpé et Jean-Marc Milette attendaient les recommandations de leurs avocats afin de décider s’ils en appelleraient du jugement. Au moment de mettre sous presse, le délai d’appel n’était pas encore expiré.
Rémunération plus élevée que déclaré
Selon le jugement, Marc Dalpé et Jean-Marc Milette ont reçu respectivement 75 000 $ et 52 468 $ en rémunération pour les activités des comptes offshore qu’ils ont supervisés de 2003 à 2011. «Rappelons que Marc Dalpé avait déclaré, lors de l’enquête d’octobre 2011 [menée par VMD sur les comptes offshore], une somme approximative de 1 000 $ par année», lit-on dans le jugement.
Dans une entente entérinée avec une formation d’instruction de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), Marc Dalpé et Jean-Marc Milette ont remis cette rémunération reçue, et ont payé 15 000 $ chacun d’amendes, plus 10 000 $ de frais à l’OCRCVM.
«Le fait pour les demandeurs d’agir off book, c’est-à-dire à l’extérieur des livres de VMD, constitue une infraction grave qui empêche cette dernière d’assurer la surveillance à laquelle elle est obligée. […] Tout cela constitue donc des pratiques condamnables justement sanctionnées par l’OCRCVM», précise le juge Benoît Moore.
Congédiement qui «excède le nécessaire»
Par contre, selon le tribunal, «VMD a fait preuve d’empressement» et «le congédiement […] excède ici le nécessaire», lit-on dans le jugement.
Le juge a retenu comme facteurs atténuants «le nombre peu élevé de clients visés (entre 4 et 9) sur 2 500», le fait que les clients sont connus des conseillers, «le faible montant d’actifs concernés, soit moins de 1 M$ sur 950 M$ d’actifs sous gestion [ASG]». Parmi les autres facteurs atténuants, le tribunal retient «le peu de transactions effectuées dans les comptes clients», «l’inexistence de transactions en valeurs mobilières dans les comptes personnels des demandeurs [Marc Dalpé et Jean-Marc Milette]» et «l’absence de préjudice pour les clients».
«L’absence d’intention des demandeurs d’agir à l’insu de VMD afin d’éviter la surveillance de celle-ci est également importante et ressort clairement de plusieurs éléments», poursuit le juge.
«D’abord, au moment des négociations [en vue de l’embauche des conseillers chez] VMD, Dalpé divulgue l’existence de ces comptes à [Jean-Pierre De Montigny, président de VMD au moment de l’embauche de Dalpé et Milette, en 2003]. Ce dernier témoigne que pour lui, à l’époque, la question des comptes offshore n’est pas une priorité d’autant qu’elle est marginale dans le book de Dalpé et Milette. Il dit donc à Dalpé que VMD n’offre pas de tel service, qu’il doit laisser les comptes là où ils sont et n’y rien changer», apprend-on dans le jugement.
Cette transparence dans les agissements de Marc Dalpé et Jean-Marc Milette «se comprend aussi par les pratiques de l’industrie qui, à une certaine époque, développe sans complexe le marché des comptes offshore», écrit le juge. «À une certaine époque, le Mouvement Desjardins entretient aussi une relation pour ce genre d’activités auprès de la Laurentian Bank & Trust Co», aux Bahamas. Cette pratique prend fin en 2003, selon le jugement.
«Jamais, avant septembre 2011, VMD ne réalise-t-elle les activités de 9 courtiers qui, pourtant, à tout le moins pour les 5 qui ont témoigné, gèrent leurs relations avec Crédit Agricole Suisse (Bahamas) à partir de leur bureau, y reçoivent leurs appels téléphoniques, font ouvrir leur courrier par leur adjointe et utilisent le système informatique de VMD. Comment peut-on expliquer que les conversations portant sur ces comptes demeurent insoupçonnées ? Pourtant, celles-ci sont toutes enregistrées et VMD possède depuis 2005 un moteur de recherche afin de procéder à des contrôles», se demande le juge.
À cette question, l’un des membres du service de la conformité de VMD, Sylvain Perreault, répond que les mots Bahamas ou Nassau ne peuvent être utilisés comme mots clés, car ils auraient donné un grand nombre de résultats, vu qu’ils font référence à une destination de vacances, apprend-on dans le jugement : «Le Tribunal avoue trouver cette réponse plutôt surprenante et, pour le moins, peu convaincante.»
Pas de complot de VMD
Par ailleurs, le juge Benoît Moore analyse l’interprétation de Marc Dalpé et Jean-Marc Milette selon laquelle l’enquête de conformité «n’est qu’un leurre pour justifier un congédiement dont le manque de profitabilité du contrat les liant à VMD est la cause réelle». «On ne peut exclure que VMD ait voulu tirer avantage de la situation. Cela ne suffit pas pour conclure à un pur complot de sa part, les demandeurs ayant posé […] des gestes contraires à la réglementation», lit-on dans le jugement.
Toutefois, le fait que l’enquête du service de la conformité sur les comptes offshore arrive presque en même temps que les conversations sur la renégociation du contrat de travail des conseillers entre ceux-ci et leurs patrons Yves Néron et Bruno Desmarais intrigue le tribunal.
Selon le jugement, le 13 septembre 2011, pour la première fois depuis plusieurs années, VMD transmet à Marc Dalpé et Jean-Marc Milette un formulaire de déclaration d’activités extérieures. Puis, le lendemain, le service de la conformité reçoit la télécopie d’où partent les premiers soupçons. Yves Néron, alors à la tête de VMD, témoigne d’ailleurs qu’on l’informe dès ce moment de l’existence d’une enquête.
«Dès le 29 septembre, VMD est donc essentiellement au courant de tout. Pourtant, non seulement rien ne semble bouger du côté du département de la conformité avant le 28 octobre, mais, durant cette même période, les discussions ont lieu pour renégocier le contrat de travail des demandeurs. […] Le 26 octobre 2011, une rencontre entre les demandeurs d’une part et Néron et Desmarais d’autre part se termine par un échec. Quelques jours plus tard, l’enquête officielle démarre. Le 3 novembre, les demandeurs sont congédiés», lit-on dans le jugement.
Avant leur congédiement, Marc Dalpé et Jean-Marc Milette avaient un contrat de travail aux conditions qui leur étaient favorables, apprend-on dans le jugement : «Ainsi, les revenus provenant de clients référés [par les caisses] sont répartis 60 % pour Dalpé et Milette, 30 % pour la caisse et 10 % pour VMD alors que ceux des clients non référés sont partagés 70 % pour Dalpé et Milette et 30 % pour VMD.»
Le jugement révèle que «cette rémunération [qui se situe au-dessus de la norme du secteur] s’explique [notamment], selon Dalpé, par le fait qu’ils prennent en charge toutes leurs dépenses».
Les conseillers soignaient depuis des années leurs relations avec les caisses afin que celles-ci leur recommandent des clients. Par exemple, ils désignaient, parmi leur clientèle, certains clients comme «référés», même si ce n’était pas le cas, ce qui favorisait les caisses et les incitait à leur recommander plus de clients. Jean-Marc Milette récompensait aussi ceux qui lui recommandaient des clients en leur offrant des voyages, apprend-on dans le jugement.
En 2011, l’équipe Dalpé Milette a 945 M$ en actif sous gestion et 2 500 clients dans 75 caisses. «De cette clientèle, 53 % est cotée référée, ce qui a un impact important sur la rémunération des différents partenaires au détriment de VMD», lit-on dans la décision du juge Benoît Moore.
En août 2011, Yves Néron rencontre Jean-Marc Milette afin de renégocier leur contrat de travail dans le but d’améliorer la profitabilité de VMD. Le jugement résume les négociations qui se déroulent en octobre 2011 : «Néron communique à Milette des chiffres démontrant non seulement la faible profitabilité pour VMD de la structure d’affaires de Dalpé et Milette, mais, surtout, de la régression de celle-ci. Néron explique au Tribunal qu’il souhaite à ce moment trouver une solution négociée, tout en sachant toutefois qu’il peut imposer ses conditions ou mettre fin unilatéralement au contrat.»
Indemnité théorique de 3,3 M$
N’eût été la transaction et quittance, qui prévoit une renonciation générale à toute poursuite judiciaire visant «tout fait découlant de la terminaison de l’emploi», Marc Dalpé et Jean-Marc Milette auraient eu droit à 12 mois d’indemnité. Cette période équivaut à une indemnité de 1,64 M$ chacun, a calculé le tribunal.
Ces montants comprennent une indemnité pour la perte de revenu d’une année, ainsi qu’un dédommagement pour la diminution de leur ASG. L’ASG des conseillers est en effet passé de 945 M$, en octobre 2011, à 562 M$, en novembre 2017. «Cette diminution de l’actif sous gestion irradie donc au-delà de l’année suivant le congédiement, durée du délai-congé. S’il est donc raisonnable d’ajouter une partie du bonus [à l’embauche chez Richardson GMP] aux revenus touchés en 2012, il importe d’en réserver une autre part pour pallier le capital perdu au-delà de cette année», lit-on dans le jugement.
Selon ce document, Marc Dalpé et Jean-Marc Milette ont «chacun reçu un bonus à la signature de 2,45 M$ ainsi que 250 000 actions de catégorie F de Richardson GMP, actions dont la valeur n’a pas été établie de manière convaincante». Selon VMD, ces revenus doivent être pris en compte et, par conséquent, les conseillers n’auraient pas subi de perte de revenu. Le juge n’a pas entièrement retenu cet argument.
Le jugement dans l’affaire Dalpé-Milette offre son lot d’enseignements et de leçons pour l’industrie financière. Finance et Investissement suggère ceux-ci.
1. Un conseiller doit personnellement connaître ses règles de déontologie et se tenir à jour quant à celles-ci. Son comportement doit être irréprochable et conforme au corpus réglementaire et législatif en vigueur.
2. Si un conseiller est congédié, il doit bien comprendre les conséquences de la signature d’une transaction et quittance.
3. Un contrat qui comporte des ambiguïtés peut coûter cher à la partie qui sera défavorisée par l’interprétation qu’en ferait un tribunal.