Du côté de l’industrie, on demande des modifications techniques, du côté des groupes de défense des intérêts des investisseurs, on tire parfois à boulets rouges. Rappelons les initiatives de l’OCRCVM. Le Programme relatif aux contraventions mineures (PCM) se veut une démarche accélérée pour régler des problèmes disciplinaires mineurs dont il n’est résulté aucun préjudice pour les investisseurs. Les personnes physiques se feraient imposer une amende de 5 000 $, tandis que les sociétés ne seraient pas incluses dans le programme. Les noms des fautifs demeureraient anonymes.
Les Offres de résolution rapide (ORR) viseraient à résoudre les affaires à un stade moins avancé du processus disciplinaire une fois que des faits suffisants sont connus. L’OCRCVM proposerait une réduction de 30 % du montant des sanctions prévues en échange d’une résolution accélérée. Tant les individus que les sociétés seraient touchés par les ORR.
Le but de ces propositions est de doter l’OCRCVM d’un outil intermédiaire qui permettrait de s’attaquer à de nombreux cas de délit mineur d’une façon mieux adaptée que la simple lettre de mise en garde et que le processus disciplinaire complet. «Cela a plus de dents que la mise en garde, mais ne nous oblige pas à passer à une pleine démarche disciplinaire», explique Elsa Renzella, première vice-présidente à la mise en application et à l’inscription à l’OCRCVM.
Plusieurs commentateurs se sont plaints de ne pas savoir quel sens donner à «délit mineur», les documents de l’OCRCVM étant avares d’explications à ce chapitre. Elsa Renzella donne deux exemples concrets. Un délit pourrait tenir à des transactions discrétionnaires faites par un conseiller pour des raisons superficielles (simple convenience) ; les transactions ne seraient pas inadéquates et n’entraîneraient pas de pertes pour les clients, qui, par ailleurs, pourraient très bien être informés de ces activités. «Une telle action réclame une réponse plus forte qu’une simple lettre de mise en garde», fait ressortir Elsa Renzella.
Un autre délit pourrait impliquer un conseiller dans d’autres activités d’affaires que celles liées à son courtier et qui ne sont pas divulguées. Les clients n’en auraient pas encore souffert, mais un conflit d’intérêts potentiel pourrait en découler.
Présentées le 25 avril dernier, les propositions de l’OCRCVM ont recueilli 29 lettres de commentaires, notamment de la part de membres de l’industrie, généralement favorables aux mesures, et de celle de groupes de défense des intérêts des clients, généralement défavorables.
«Nous sommes très favorables à un processus de règlement accéléré», dit Michelle Alexander, vice-présidente et secrétaire générale de l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM). Son association remet en question le niveau unique de contravention de 5 000 $ et voudrait un étalement de 1 000 $ à 5 000 $, selon la gravité du délit. Par ailleurs, elle demande que le PCM ne soit pas présidé par un arbitre unique, mais par un groupe de trois arbitres, «comme c’est le cas pour les autres procédures de l’OCRCVM», soutient Michelle Alexander.
Ce sont deux requêtes que l’Organisme ne retient pas pour le moment. Par contre, il retient la demande de l’ACCVM que les décisions du PCM soient publiées, selon ce que nous indique Elsa Renzella. «Nous allons régulièrement publier tous les cas. Seuls les noms des personnes seront absents», dit-elle.
Anonymat problématique
Cet anonymat des contrevenants est un point majeur de contention chez les commentateurs qui se portent à la défense des investisseurs. «L’industrie veut désespérément garder les noms à l’abri du public, lance Harold Geller, associé chez MBC Law, à Ottawa. Comment changer les choses si l’on ne publie pas les noms ? C’est un outil nécessaire pour changer non seulement les comportements des conseillers, mais ceux des institutions financières aussi.»
«Comment protéger le public sans transparence ? demande Douglas Walker, premier conseiller juridique chez FAIR Canada, à Toronto. Ce processus est trop complaisant à l’endroit de la profession. Il agira comme un tribunal privé à huis clos sans qu’on sache qui a été accusé et pourquoi. Un régulateur ne devrait pas procéder de cette façon. Un club de golf privé, d’accord ; pas un régulateur.»
L’intérêt de l’investisseur requiert que, s’il veut connaître la feuille de route de son conseiller, «il devrait disposer des moyens de juger s’il va l’embaucher ou poursuivre avec lui», ajoute Douglas Walker.
Michelle Alexander fait valoir que les noms de ceux qui recevaient des lettres de mise en garde demeuraient confidentiels. Le processus PCM reproduirait cet ordre des choses. «La publication des noms pourrait avoir un impact disproportionné sur les individus par rapport à la faute commise», dit-elle.
Or, déjà, l’anonymat des lettres de mise en garde était une mesure abusive, juge Chris Robinson, professeur de finance à la School of Administrative Studies de l’Université York : «On ne s’occupe déjà pas de dénicher les voleurs et les malfaiteurs, alors pourquoi dévoiler les malfaiteurs mineurs ?»
Pour ce dernier, comme pour Harold Geller, l’OCRCVM est un old boys’ network, dont le premier souci est de protéger l’industrie financière, pas les investisseurs, contrairement à ce que prétend son mandat. Son conseil d’administration est composé de 12 membres, dont 6 viennent de l’industrie et 6 sont indépendants. Mais ces «indépendants» «sont tous reliés d’une façon ou d’une autre à l’industrie ; aucun n’a la moindre expérience auprès des consommateurs», déclare Harold Geller.
Questionnée à ce sujet, Elsa Renzella s’est dite «fortement en désaccord», affirmant que Lucie Tedesco, commissaire à l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, avait une expérience auprès des consommateurs. Nommée administratrice en septembre 2018 pour un mandat de deux ans, elle ne figurait plus sur le site de l’OCRCVM comme membre du conseil d’administration avant de mettre sous presse.
Elsa Renzella juge que le PCM, une étape disciplinaire qui a «plus de dents», exercera un plus grand contrôle sur les conseillers. Les objecteurs ne le croient pas, à cause de la préservation de l’anonymat. «Le PCM est mauvais pour les conseillers, affirme Harold Geller. Ils ne sauront pas ce que l’OCRCVM discipline et n’auront pas l’occasion d’apprendre de leurs propres erreurs et de les corriger.»
Selon Chris Robinson et Harold Geller, la profession a besoin d’un chien de garde plus exigeant que l’OCRCVM.»Les conseillers sont des professionnels plus importants pour les consommateurs que les avocats ou les comptables. Pourquoi les exigences à leur endroit seraient-elles inférieures à celles qu’on impose aux autres professionnels ?» soutient Harold Geller.