Dans cette étude, intitulée When Diversification Fails, qu’il co-signe avec le gestionnaire de portefeuille et analyste quantitatif Robert Panariello, Sébastien Page montre que, dans une grande majorité de cas, la diversification ne fonctionne pas au moment où on en a le plus besoin.
En fait, la situation se vérifie sur la base de données mensuelles colligées de 1970 à 2017. Se référant spécifiquement à la crise financière de 2008, les auteurs constatent que «non seulement les corrélations ont-elles crû pendant la chute, mais elles ont également baissé de façon significative à la hausse. Cette asymétrie est le contraire de ce que les investisseurs veulent.»
En effet, comme le demandent les auteurs, qui veut de la diversification lorsque les marchés sont à la hausse ? Alors que les marchés montent, on aimerait que les corrélations entre catégories d’actifs se resserrent et que, par exemple, les obligations d’entreprises montent autant que les actions de petite capitalisation. Par contre, quand les marchés chutent, on désirerait que les corrélations se desserrent : que les actions de grande capitalisation freinent et même compensent la chute des actions de petite capitalisation.
Diversification bien mince
Or, rien de cela ne se vérifie, selon l’étude de T. Rowe Price. Qu’on apparie les actions aux obligations d’entreprises ou à l’immobilier, les actions nord-américaines aux actions de marchés émergents, les petites capitalisations aux grandes capitalisations, les corrélations sont très serrées quand les marchés chutent. Elles s’étalent de 0,55 à 0,92 environ (1 indique une corrélation parfaite).
Par ailleurs, quand les marchés montent, les corrélations se dissolvent : dans les meilleurs cas, par exemple entre actions «valeur» et actions «croissance», elles sont d’environ 0,4, et entre les actions américaines et celles des marchés émergents, d’environ -0,2.
Ces constatations se vérifient aussi pour les stratégies de fonds de couverture parmi les plus courantes, de même que pour les rapports entre secteur immobilier et placements privés. Elles tiennent même pour les facteurs de risque comme «valeur», «taille» ou «momentum».
«Ces facteurs de risque ne s’avèrent pas de façon inhérente de meilleures composantes structurelles, écrivent les auteurs. Ils donnent une meilleure diversification que les catégories d’actifs traditionnelles seulement parce qu’ils permettent de vendre à découvert et embrassent souvent un univers plus large d’actifs.»
Finalement, confirmant une évidence longtemps admise, les auteurs découvrent que seuls deux types d’actifs entretiennent une corrélation et une diversification optimales : actions et obligations d’État (bons du Trésor américain). Quand les marchés montent, les corrélations entre ces deux catégories d’actifs se resserrent, puis se desserrent quand les marchés chutent. Toutefois, notent les auteurs, les corrélations entre ces deux secteurs ont eu tendance à se resserrer ces dernières années.
Repenser la diversification
Les constatations des spécialistes de T. Rowe Price sont justifiées, juge Richard Guay, professeur de finance à l’ESG UQAM et ancien président de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Si on regarde seulement les extrêmes de marché, «l’étude dit qu’il n’y a pas beaucoup de diversification qui tienne, et elle a tout à fait raison», dit le spécialiste.
Même son de cloche de la part de Guy Mineault, économiste et professeur retraité de l’Université Laval : «Ça fait des années que je dis que la diversification comme on nous l’a apprise ne tient plus», dit-il. Mise au point au début des années 1980, la notion de diversification proposait de répartir un portefeuille sur plusieurs régions géographiques. «C’était plein de bon sens, parce que les Bourses à cette époque-là n’étaient pas corrélées entre elles. Elles le sont aujourd’hui.»
L’étude serait toutefois trop pessimiste, considère Richard Guay, «quoiqu’elle se rattrape vers la fin, ajoute-t-il. Il y a encore un effet diversification, mais c’est beaucoup plus limité que ce que beaucoup d’investisseurs croient.»
En effet, il y a des zones et des stratégies où le principe de diversification opère encore. Certes, la corrélation n’est pas idéale à 0, mais elle peut quand même s’avérer acceptable. Par exemple, une stratégie recourant au momentum interactifs montre une corrélation fort ténue de 0,2 quand les marchés chutent, et de près de 0,8 quand ils montent. Une stratégie de couverture neutre, où un portefeuille tient à peu près en équilibre des positions «longues» et à découvert, affiche une corrélation de 0,25 en marché baissier ; par contre, en marché haussier, elle n’est guère optimale, à 0,05.
Sébastien Page ne nie pas l’efficacité de toute diversification. Toutefois, écrit-il, «les investisseurs doivent être conscients que les mesures traditionnelles de diversification peuvent masquer des pertes potentielles en période de stress». C’est pourquoi il recommande de prêter davantage attention aux éléments de risque logés dans un portefeuille.
Par exemple, un investisseur devrait vérifier la résistance d’un titre ou d’un fonds en étudiant comment il s’est comporté dans des périodes passées de chute de marché. C’est une vérification qu’approuve Guy Mineault, mais à la condition d’être bien conscient que chaque chute de marché passée est due à des causes fort différentes.
Sébastien Page recommande aussi de gérer un portefeuille selon la volatilité, approche que met également en avant Richard Guay. Ici, l’investisseur réduit son exposition aux actifs plus risqués au fur et à mesure que la volatilité dans les marchés croît.
En fait, il faut trouver de nouvelles assises à la diversification, jugent tous les intervenants. Richard Guay et Guy Mineault mettent en avant la diversification selon les secteurs économiques : par exemple, quand le secteur industriel plante, les biens de consommation tiennent souvent la route.
Guy Mineault affirme qu’un logiciel qu’il a mis au point permet de diversifier un portefeuille en appliquant neuf critères de diversification, dont il préfère garder le secret. «Deux de ces critères, est-il prêt à dévoiler, sont l’allocation d’actifs selon les sous-secteurs économiques [déjà notée], et la gestion selon les écarts-types.» Dans ce dernier cas, on achète et on vend un titre selon que son prix est proche de ses sommets ou de ses creux typiques.
La diversification n’est pas vraiment morte, mais il faut en «diversifier» notre compréhension.