Le marché canadien des fonds d’investissement compte plus de 3 450 fonds communs de placement (FCP) et plus de 660 fonds négociés en Bourse (FNB). Selon nos sources, un réseau de distribution bien connu a récemment envoyé une lettre à ses conseillers leur demandant de restreindre à 125 le nombre de fonds en portefeuille.
Le chantier est ouvert
Investia Groupe financier recommande à ses conseillers de « se concentrer sur un nombre plus limité de fonds ». « Il est illusoire de penser qu’un représentant pourrait connaître adéquatement des dizaines et des dizaines de FCP différents, signale Pierre Picard, porte-parole d’Investia. Afin que nos représentants connaissent bien les produits qu’ils présentent aux clients, Investia leur recommande de se concentrer sur un nombre plus limité de fonds, qui leur seront familiers, et ce, peu importe les manufacturiers de ces produits. »
Pour sa part, le Groupe Cloutier privilégie une approche moins directe. « Le Groupe Cloutier ne dirigera pas la circulation. Rien n’oblige les conseillers indépendants à limiter le nombre de fonds en portefeuille », dit Robert Lachance, vice-président, ventes, investissements et retraite.
Ce vétéran de l’industrie précise que le Groupe Cloutier encourage ses conseillers « à privilégier quelques fournisseurs avec lesquels ils ont de bonnes relations d’affaires. On en discute lors de formations. Nos représentants reçoivent aussi de courtes listes de fonds recommandés. Je le répète, rien n’oblige nos représentants à limiter le nombre de fonds et de manufacturiers. C’est un chantier, un work in progress », évoque Robert Lachance.
Consultant en construction de portefeuille, Jean Maltais affirme que la liberté d’action des conseillers doit être maintenue coûte que coûte. « Aucune instance ne devrait obliger les représentants à limiter le nombre de fonds et de manufacturiers avec lesquels ils peuvent faire affaire. La liberté de l’offre est une garantie de concurrence. La concurrence fait baisser les frais, ce qui ultimement procure de meilleurs rendements », affirme celui qui préside sa société-conseil, Finalytix.
Jean Maltais met toutefois les conseillers en garde contre les effets de mode ou de nouveauté. « Trop de conseillers achètent la saveur du jour à la suite de présentations de wholesalers [démarcheurs]. À un moment donné, c’était les fiducies de revenus, les infrastructures, etc. Il n’est pas rare qu’un conseiller d’expérience ayant 200 clients se retrouve avec plus de 10 familles de fonds et plus de 200 produits différents. C’est ingérable et ça peut nuire à la performance des portefeuilles des clients », dit cet ancien analyste de portefeuille pour Fonds Dynamique.
Le transfert de clients et l’achat de blocs d’affaires alimentent également la tendance à l’expansion du nombre de fonds en portefeuille. « On se trouve alors à augmenter automatiquement le nombre de fonds. Il faut ensuite rationaliser, mais ça prend du temps à cause de facteurs comme les frais de sortie et le déclenchement des gains en capital », signale Jean-François Rémillard, vice-président, Investissements chez MICA Cabinets de services financiers.
De façon globale, les dirigeants de réseaux que Finance et Investissement a joints insistent beaucoup sur la liberté de choix des conseillers indépendants.
« La question de la limitation du nombre de fonds touche ma raison d’être. Chez nous, les clients ont le choix et doivent continuer à avoir le choix », affirme le président fondateur du Groupe Financier Multi Courtage, Guy Duhaime.
Président de Financière S_Entiel, Dominic Demers transmet un message identique : « Je veux laisser mes conseillers complètement autonomes », dit-il.
Chez MICA, le point de vue est similaire : « Chaque client est différent. Avoir plus de choix et plus d’options favorise les intérêts des consommateurs », signale Jean-François Rémillard.
Lorsqu’on cogne à la porte de Merici Services Financiers, son chef de la conformité, Maxime Gauthier, donne le même son de cloche : « En investissement, il faut toujours avoir plus d’options que moins. »
La réglementation
En revanche, les changements réglementaires incitent les réseaux et les conseillers à étudier les enjeux d’un peu plus près.
« La réglementation va de plus en plus dans le sens de la connaissance du produit, la fameuse règle du Know Your Product. Il faut s’y préparer », estime Robert Lachance, du Groupe Cloutier.
Dominic Demers évoque la possibilité qu’on « demande éventuellement [aux courtiers] d’être davantage responsables du travail des conseillers ». Si ce scénario se réalisait, ce ne serait pas sans heurts.
« Ma crainte, dit Maxime Gauthier, c’est qu’une bonne intention initiale se transforme en son contraire. Où s’arrêtera-t-on si l’on force les réseaux à diminuer leur offre ? On pourrait favoriser la concentration de l’offre et les conflits d’intérêts au sein des réseaux ayant des liens avec des manufacturiers de fonds. »
Le président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), Flavio Vani, pose un autre regard. « À titre de professionnel, je dois connaître les caractéristiques des fonds et les proposer en fonction du profil de chaque client. Un prospectus bien rédigé devrait être suffisant. Cela permettrait de proposer une très large palette de fonds d’investissement. Sans limitation, sinon on freinerait l’innovation », dit-il.
Marc Dubuc, ex-directeur principal, stratégie marketing et gestion de l’offre du manufacturier de fonds Fiducie Desjardins, estime que les manufacturiers de fonds devraient produire une meilleure documentation. « Les conseillers ont besoin d’avoir du matériel plus lisible et mieux ciblé sur les éléments pertinents à la connaissance du produit », dit celui qui est maintenant représentant en épargne collective chez Services en placements Peak.