Faisant partie de la grande famille des fonds de couverture (hedge funds), les fonds à rendement absolu visent à générer des performances positives, à faible volatilité, quelles que soient les conditions du marché.
Le premier fonds à rendement absolu à percer le grand public a été lancé en 2008, en Europe, par la firme écossaise Standard Life Aberdeen. Les succès commerciaux du fonds Global Absolute Return Strategies (GARS) ont été phénoménaux. À son sommet, le GARS était le plus important fonds d’investissement britannique, avec plus de 44 G$ d’actif sous gestion. L’industrie en a rapidement pris note et une série de fonds similaires a vu le jour. Subitement, le Saint-Graal de l’investissement a semblé être à la portée des épargnants. Comme le signale le Financial Times, les fonds à rendement absolu ont été vus comme «l’avenir de la gestion active».
Dix ans plus tard, l’optimisme a laissé place à un doute profond. En 2018, plusieurs fonds européens à rendement absolu ont subi de fortes saignées. Par exemple, le GARS aurait encaissé des sorties brutes de plus de 17 G$. Au 31 octobre, l’actif sous gestion était de 23 G$. Ses performances pour l’année ont été écrites à l’encre rouge (-5,27 % en date de novembre). Notons qu’au Québec le GARS est distribué par la Financière Manuvie sous le nom de Fonds de stratégies mondiales à rendement absolu (SMRA).
Prenant acte des mouvements de sorties touchant les fonds à rendement absolu, la publication Portfolio Adviser titrait : «Le chemin à venir sera rude, les investisseurs larguent les fonds à rendement absolu». De façon plus précise, Citywire publiait un article intitulé : «Les investisseurs fatigués de voir les fonds à rendement absolu manquer leurs cibles».
Faiblesse des rendements
Les chiffres de FE Analytics donnent une bonne idée des cibles manquées. Au cours des 10 dernières années, signale la firme d’analyse et de conseil, les gains annuels moyens des fonds à rendement absolu seraient inférieurs à 1 %, après inflation.
D’après les chiffres de BondMason s’appliquant aux trois dernières années, seuls 26 fonds britanniques à rendement absolu sur les 97 existants se trouveraient en territoire positif. Le rendement annuel moyen de ces 26 fonds serait de 1,59 %.
Rappelons que ce genre de statistiques n’a généralement qu’une valeur indicative. L’univers des fonds de couverture ne comporte pas d’obligation de dévoilement des rendements. Les pires fonds disparaissent sans laisser de traces et les meilleurs ne rapportent leurs résultats qu’à leurs clientèles spécifiques, investisseurs institutionnels et individus fortunés.
Bien qu’elles soient souvent incomplètes, ces statistiques contribuent à entretenir le scepticisme à l’égard des rendements des fonds de couverture. Font-ils eux aussi mauvaise figure ?
D’après des données de Hedge Fund Research citées par Morningstar USA, l’indice de fonds de couverture HFRI Asset Weighted Index a affiché un rendement positif de 0,21 % entre janvier 2018 et novembre 2018. Entre décembre 2013 et novembre 2018, cet indice a enregistré des gains annuels de 3,23 %.
Selon des connaisseurs consultés par Finance et Investissement, les fonds de couverture peuvent trouver leur place, mais à la condition de mieux gérer les attentes.
Diversifier le risque
«Les fonds de couverture ont longtemps été vus comme une façon de réaliser des rendements positifs, qu’importe les conditions du marché. Or, il faut revenir à l’idée que les stratégies des fonds de couverture servent avant tout à gérer le risque. À la condition d’être bien compris, les fonds de couverture ont leur place dans les portefeuilles des investisseurs», dit Mathieu Erard, vice-président de Conseil en gestion de patrimoine iNFiNi-t, qui s’adresse aux familles fortunées et aux investisseurs institutionnels.
Vice-président au développement des affaires et chef des finances chez Gestion de portefeuille Landry, Charles Lemay souligne que les fonds de couverture équivalent à «une police d’assurance conçue afin de traverser de mauvaises journées. Le but de la gestion alternative consiste à mieux gérer le risque», dit-il.
Qu’arrive-t-il en période de marchés haussiers, comme celle qui a suivi la crise de 2008 ? Les clients peuvent-ils se satisfaire des rendements de fonds de couverture ? «Au cours des dernières années, les investisseurs de gestion privée n’étaient pas tous heureux des rendements annuels de 5 % ou 6 % que généraient de bons fonds de couverture. Beaucoup voulaient davantage, par exemple 10 % par année. C’est là où intervient la gestion des attentes», affirme Charles Lemay.
Ce dirigeant de Gestion de portefeuille Landry estime que, au cours des dernières années, trop de gestionnaires de fonds de couverture se sont éloignés de leur mission de base. «Personne ne se fait congédier pour avoir offert des mandats de gestion aux Bridgewater de ce monde. Comment se distinguer des Bridgewater et être choisi par les investisseurs, sinon, pour certains, par une prise de risque très élevée ? En essayant de frapper des coups de circuit à tout coup ?» dit-il.
Un sceptique
Ex-chef de la direction des placements d’Investissements Standard Life et ex-chef des investissements de la Financière Mackenzie, Norman Raschkowan connaît bien le monde de l’investissement. Aujourd’hui à la tête de sa firme de gestion privée, Investissements DixCarré, il fait partie du camp des sceptiques.
«Près d’un fonds de couverture américain sur 10 ferme ses portes chaque année», signale-t-il.
Norman Raschkowan estime que la rémunération des gestionnaires de fonds de couverture crée des situations malsaines. Le modèle conventionnel prévoit le versement annuel de 2 % en frais de gestion et de 20 % des rendements obtenus au-delà d’un seuil minimal. «C’est « pile je gagne, face vous perdez ». S’ils ont de la chance et gagnent de l’argent, les gestionnaires de fonds de couverture en gagneront beaucoup plus pour eux-mêmes. S’ils perdent l’argent de leurs clients, ils fermeront leurs portes et recommenceront ailleurs», estime-t-il
Enjeu central
Toutefois, il existe de bons gestionnaires de fonds de couverture susceptibles de combler les attentes de leurs clients.
«Les gestionnaires talentueux sont peu nombreux et difficiles à repérer. Le temps et les ressources requises pour les trouver, et ensuite pour surveiller leur action, dépassent les capacités des investisseurs individuels, voire de nombreuses institutions», dit Norman Raschkowan.
Peut-on séparer le bon grain de l’ivraie ?
«Une des grandes forces des investisseurs institutionnels comme la Caisse de dépôt et placement du Québec consiste à avoir des spécialistes en mesure d’étudier et de sélectionner des gestionnaires de fonds de couverture», signale Nicolas Mougeot, professeur de finance à l’Université Concordia.
C’est aussi l’un des objectifs de firmes comme Conseil en gestion de patrimoine iNFiNi-t. «Nous suivons de près les gestionnaires de fonds alternatifs grâce à des logiciels spécialisés et une méthodologie rigoureuse et des rencontres fréquentes avec les équipes de gestion», dit Mathieu Erard.
L’importance de l’enjeu de la sélection et de la surveillance des gestionnaires n’échappe pas à Sylvain Brosseau.
L’ex-président et chef de l’exploitation de Fiera Capital, maintenant président et chef de la direction de Gestion d’actifs mondiale Walter, se dit tout d’abord «convaincu» de la pertinence des fonds de couverture. «Le talent en investissement consiste à repérer les inefficacités de marché ainsi que les gagnants et les perdants. Ce talent existe et il peut persister, explique-t-il. On peut le retrouver dans plusieurs fonds de couverture peu corrélés aux marchés. Ces fonds peuvent ajouter de la valeur. Le problème, c’est de les découvrir ! Il est très difficile de trouver des gestionnaires de qualité.»
Que faire alors, si on n’est ni investisseur institutionnel ni client fortuné ?
Les manufacturiers de fonds communs pourraient un jour faciliter les choses pour les épargnants, affirme Sylvain Brosseau en évoquant les changements au Règlement 81-102 sur les fonds d’investissement qui autorisent les fonds alternatifs.
«Ces changements permettront aux grands manufacturiers de fonds communs de mettre en marché des stratégies typiques aux fonds de couverture, et qui ajoutent de la valeur. Je ne suis pas certain que les changements à 81-102 vont suffisamment loin. L’avancée est relativement timide, mais on avance dans la bonne direction !» estime Sylvain Brosseau.