En d’autres termes, l’intervention d’un professionnel ne sera pas obligatoire. L’AMF ajoute que, conformément à ce que prévoit la Loi sur la distribution de produits et services financiers, la personne morale qui offrira des services de planification financière devra être inscrite à titre de cabinet.
Cette autorisation de l’AMF ouvre-t-elle de nouvelles possibilités à la planification financière ? Les progrès de l’intelligence artificielle sont-ils suffisamment avancés pour que la planification financière par robot devienne réalité ?
L’importance du conseil
Les experts qu’a interrogés Finance et Investissement soulignent que, à l’heure actuelle, une planification financière automatisée sur Internet ne peut pas se faire aussi facilement que l’achat d’une police d’assurance T10 en ligne.
Le planificateur financier Frédéric Thériault, de SFL Gestion de patrimoine, à Châteauguay, signale que ses pairs doivent se mettre dans la peau de leurs clients. «Il faut faire montre de psychologie, car les finances personnelles suscitent beaucoup d’émotions et de questions !» déclare-t-il.
Même son de cloche du côté de Martine Berthelet, chargée de cours au certificat en planification financière de HEC Montréal et spécialiste de la gestion privée. Elle souligne la nécessité d’interactions soutenues entre les professionnels de la planification financière et leurs clients. «On doit constamment poser les questions qui nous permettent de savoir si les clients ont bel et bien saisi le sens de telle ou telle chose.»
Avec Internet, poursuit Martine Berthelet, les consommateurs sont parfois tentés de faire eux-mêmes des choses qui devraient être laissées à des professionnels. «C’est un peu comme les gens qui veulent autodiagnostiquer leurs problèmes de santé en allant sur le Web. Est-ce que cela enlève vraiment la nécessité de rencontres avec leur médecin ?» se demande-t-elle.
Nathalie Bachand, planificatrice financière chez Bachand Lafleur, groupe conseil et présidente de l’organisme Question Retraite, soulève ainsi le paradoxe de l’utilité du conseil à une époque où l’information financière croît en abondance. «Depuis une vingtaine d’années, les sources d’information financière sont de plus en plus nombreuses et accessibles. Toutefois, on a aussi de plus en plus besoin de conseil !» lance-t-elle.
Limites de l’intelligence artificielle
En revanche, les nouvelles technologies avancent à pas de géant. La planification financière sur Internet sans l’intervention obligatoire d’un professionnel serait-elle déjà réalisable ?
Selon Félix Deschatelets, planificateur financier et cofondateur de la société technologique Emma Labs, l’intelligence artificielle n’est pas encore arrivée à ce stade. «De plus, je crois que les consommateurs auront toujours beaucoup de questions par rapport à leurs besoins. Il faudra au minimum leur répondre et les rassurer après coup, que ce soit par téléphone, par vidéoconférence ou par clavardage», explique-t-il.
Autre connaisseur des technologies, François Levasseur a été pendant près de 15 ans président-directeur général de Kronos Technologies, un concepteur de logiciels pour conseillers. Il est maintenant vice-président principal, Canada d’Equisoft.
D’après lui, l’intelligence artificielle n’a pas atteint la maturité nécessaire pour que ses décisions soient pleinement comprises. «Il ne serait pas possible de comprendre et d’expliquer les décisions d’un programme d’intelligence artificielle qui serait consacré à la planification financière. Un jour, on y arrivera. Mais quand ? Ça pourrait être dans deux ans… comme dans huit !» indique François Levasseur.
D’ici là, les concepteurs de logiciels spécialisés en planification financière pourraient-ils se concentrer sur des objectifs relativement modestes ?
C’est une possibilité qu’entrevoit Maxime Gauthier, chef de la conformité au cabinet Mérici Services Financiers. «À l’heure actuelle, je ne vois qu’un seul débouché aux développements de l’intelligence artificielle, soit la planification sectorielle. On pourrait penser, par exemple, à des planifications relativement simples de retraite, successorales ou fiscales. J’y vois quand même bien des écueils, notamment en temps de planification, de réflexion et de programmation informatique», précise-t-il.
L’autorisation de l’AMF, ajoute Maxime Gauthier, viserait deux objectifs : ne pas limiter l’innovation et responsabiliser les cabinets désireux de défricher ces nouveaux territoires.
«Le régulateur a donné de l’espace aux entreprises technologiques», estime Félix Deschatelets, qui relève également que les cabinets devront avoir «un niveau de confiance très élevé» dans l’efficacité d’éventuelles plateformes de planification financière sur Internet.
Aux yeux de François Levasseur, le signal de l’AMF ne pouvait être plus clair : «Le régulateur s’adresse aux réseaux traditionnels et aux fintechs. Il leur dit qu’ils ont la légitimité pour innover et il ouvre la porte à un nouveau paradigme. Les fintechs peuvent continuer de développer les outils de demain», dit le vice-président d’Equisoft.