En effet, on a tous entendu cet argument notoire : de 80 % à 95 % des fonds communs de placement (FCP) à gestion active affichent une performance qui ne surpasse pas celle de leurs indices de référence à long terme. Alors, pourquoi ne pas investir plutôt dans des fonds qui suivent ces indices, comme certains fonds négociés en Bourse (FNB) ?
Derrière cet argument repose le fameux «SPIVA Scorecard», plus spécifiquement le «SPIVA Canada Scorecard», qui, depuis des années, fournit des informations sur la performance des fonds à gestion active par rapport à leur indice de référence. Les défenseurs des fonds indiciels se réfèrent constamment au tableau de S&P Dow Jones Indices pour confirmer la supériorité de ces types de fonds, surtout à cause de leurs frais inférieurs.
La dernière édition du «SPIVA Canada Scorecard Year-End 2018» indique que 91 % des fonds d’actions canadiennes et 97,4 % des fonds d’actions américaines ont une performance inférieure sur 10 ans à celle de leurs indices de référence respectifs, soit le S&P/TSX Composite et le S&P 500 (CAD).
Tom Bradley, président et cofondateur de Steadyhand Investments, à Vancouver, émet des critiques au sujet du «Scorecard» qui changent la façon de voir le débat et rendent les différences de performance entre les fonds à gestion active et leurs indices moins défavorables aux FCP.
Voici les trois failles du «SPIVA Canada Scorecard» constatées par Tom Bradley.
Premièrement, le rapport effectue ses calculs à partir de fonds de série A, qui intègrent les frais de conseil. Il devrait plutôt s’appuyer sur les fonds qui ne comprennent pas les frais de conseil, soit de série F pour les conseillers à honoraires, auxquels les conseillers recourent de plus en plus. Dans les séries pour conseillers à honoraires, on exclut en effet les frais de conseil et on présente la performance nette de frais de gestion du manufacturier de fonds.
Deuxièmement, le rapport compare des fonds existants et bien réels avec des indices, qui sont des créations virtuelles, dans lesquels aucun investisseur ne peut investir. On ne peut pas acheter un indice, seulement un fonds qui tente de le reproduire. Un indice n’a pas de frais de transaction, pas de frais de gestion, pas d’écart de suivi (tracking error), pas de frais d’écart cours acheteur/cours vendeur. Selon Tom Bradley, il serait plus instructif et plus «réel» de comparer la performance des FCP de série F non pas avec celle de leurs indices, mais avec celle des FNB de même catégorie.
Troisièmement, le rapport ignore la contribution de la couverture de change dans les fonds d’actions internationales, ce qui peut conduire à d’importantes distorsions. En effet, la fluctuation du dollar canadien peut faire varier grandement la performance des fonds qui utilisent une couverture de change comparativement à ceux qui n’en utilisent pas. Or, l’étude SPIVA n’en tient pas compte et mêle dans la même catégorie des fonds qui font une couverture active de change et des fonds qui n’en font pas.
En tant que gestionnaire de portefeuille actif, Tom Bradley reconnaît que son regard est intéressé. «Mais n’oublions pas que S&P a aussi un intérêt certain dans le débat, fait-il remarquer. Ils récoltent des redevances (royalties) pour leurs indices, qui sont utilisés comme bases de FNB. C’est un très beau business pour eux et leur conflit d’intérêts est immense.»
Problème de séries
Mis au fait de ces critiques, S&P reconnaît le bien-fondé de certaines, plus particulièrement celles sur les séries A et sur la couverture de change. «Ce sont bien les fonds de série A que nous retenons», confirme Hamish Preston, directeur associé de la recherche chez S&P Dow Jones Indices, qui juge nécessaire de maintenir ce choix pour des raisons de comparaison historique. Il dit ne pas percevoir le mouvement vers les fonds de série F, mais «c’est un développement auquel nous allons prêter attention dans l’avenir».
Hamish Preston a traité très sommairement la comparaison entre FCP réels et indice virtuel et entre FCP et FNB de mêmes catégories, cherchant plutôt à éviter la question qu’à y répondre en tâchant de faire valoir d’autres avantages du «SPIVA Scorecard». «Bien qu’on ne puisse pas investir directement dans un indice, reconnaît-il, le Scorecard offre un survol de la performance relative, du taux de survie et de la distribution des rendements.»
En réalité, une lecture plus judicieuse comparerait fonds communs et FNB qui se réfèrent à un même indice commun ; on comparerait ainsi deux outils réels, avec leurs frais et leurs dérives particulières. Tout en admettant la pertinence d’une telle comparaison, Tom Bradley n’a toutefois pas voulu élaborer à son sujet «parce que c’est un aspect que je n’ai pas analysé», dit-il.
Hamish Preston a toutefois retenu la troisième critique relative à la couverture de change. «C’est un argument pertinent pour la performance relative et cela peut avoir un impact important sur la performance à court terme. Or, il s’agit d’une décision active dont il est difficile d’isoler l’impact exact. C’est une chose à laquelle nous pourrions être attentifs à l’avenir, mais ce n’est pas certain que ça influerait sur les performances à plus long terme.»
«Il ne faut pas s’en tenir à la décision de gestionnaire de couvrir ou non [qui peut varier selon les périodes et les conditions de marché], précise Richard Guay, professeur de finances à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Il faut que le choix de couvrir ou non soit spécifié dans le mandat même du fonds.»
«Je donne raison à Tom Bradley pour la question des séries A par rapport aux séries F, affirme Richard Guay. Toutefois, même en tenant compte des ajustements que ça entraîne, la conclusion demeure qu’une majorité de gestionnaires ont des rendements nets de frais inférieurs aux indices. Sur 10 ans, on ne serait pas à 91 % des gestionnaires actifs qui sont sous la barre du S&P/TSX, mais probablement plus près de 60 %.»
Tom Bradley est d’accord. Le fait d’ajuster le Scorecard selon ses failles «ne ferait pas basculer les résultats pour montrer que les gestionnaires actifs battent les FNB, reconnaît-il. Les FNB gagneraient encore, mais les chiffres ne seraient pas aussi « dramatiques »».
Tableau révélateur
Une seule critique de Tom Bradley, celle des frais de série F, permet de réévaluer le tableau SPIVA, mais seulement de façon très approximative. En tenant compte de frais supplémentaires de série A typique d’un point de pourcentage (100 points de base), nous pouvons corriger quelque peu les écarts de performance entre les FCP et leurs indices de référence.
Ainsi, la première partie du tableau ci-dessus montre l’écart moyen entre la performance d’un fonds de série A et son indice de référence. Le tableau provient de S&P. Si on ajuste cet écart de 100 points de base, soit l’équivalent des frais habituels de conseil qui s’ajoutent pour un fonds de série A, on constate que la première cellule (actions canadiennes de 1 an) montrerait un écart moyen de -0,15 % (au lieu de -1,15 % comme l’indique la cellule). Pour 10 ans, l’écart moyen serait tout juste positif à 0,01 %. Cependant, dans une majorité d’autres catégories, les écarts moyens demeureraient toujours négatifs, et de façon significative, de l’ordre de 1 à 3 points de pourcentage. Cela signifie qu’en moyenne, les fonds à gestion active de plusieurs catégories sous-performent par rapport à leur indice.
Une lecture de l’écart de performance médian donne des résultats proches de ceux de la lecture de l’écart moyen. Notons que, dans les sections du tableau présentées, on n’observe strictement aucune catégorie qui dépasse son indice de référence. Avec l’ajustement de 100 points de base pour ramener environ aux frais d’une série F, dans chaque tableau, quatre cases montreraient, tant à la ligne moyenne qu’à la ligne médiane, un surpassement de leur indice de référence. Sur une période de 10 ans, l’écart à la fois moyen et médian est en «faveur» des fonds à gestion active dans la catégorie des PME canadiennes.
Un ajustement sur tout l’univers des fonds analysés ferait que le SPIVA Scorecard n’indiquerait plus, par exemple, que 91 % des FCP d’actions canadiennes ou 97,4 % des FCP d’actions américaines performent moins bien que leurs indices sur une période de 10 ans se terminant à la fin de 2018.
Comme l’évalue Richard Guay, la sous-performance serait probablement plutôt de l’ordre de 60 %, mais un calcul plus juste et précis reste à faire. Chose certaine, le débat est ouvert et le socle du «sacro-saint» rapport SPIVA Canada s’en trouve ébranlé.