Un conseiller averti prendra soin de bien connaître certaines règles concernant les distributions-surprises qui peuvent être versées en fin d’année par un fonds négocié en Bourse (FNB) ou un fonds commun de placement (FCP). Sinon, ses clients et lui pourraient avoir de mauvaises surprises au moment de la production de la déclaration de revenus.

En effet, les distributions inattendues de fin d’année sont communément appelées «distributions fantômes» dans l’industrie. Dans le présent article, nous faisons référence à des distributions de fonds constitués en fiducie et non constitués en société par actions.

Ainsi, contrairement aux distributions d’intérêts, de dividendes ou de revenus de source étrangère pour lesquelles le client reçoit un montant, les distributions de gain en capital ne produisent pas d’entrée d’argent.

Le gestionnaire accumule des gains en capital réalisés tout au long de l’exercice financier lors de la disposition de titres qui se sont appréciés. Il réinvestit le gain en capital en achetant d’autres titres, mais il doit quand même le distribuer.

Le problème est que les détenteurs de parts doivent s’imposer sur ces gains inscrits à leur feuillet T3, même s’ils n’ont encore touché aucune somme. D’où un mécontentement probable chez les investisseurs, personne n’aimant payer de l’impôt sur un gain théorique pas encore encaissé.

«Le mieux est de ne recevoir aucune distribution de gain en capital [car les gains ont été compensés par les pertes en capital], mais, en guise de consolation, ces distributions sont le signe du succès du fonds», écrit une équipe d’analystes d’iA Gestion de patrimoine menée par l’analyste de fonds James Gauthier, dans une note sur les risques que des fonds aient d’importantes distributions de gain en capital.

La distribution de gain en capital résulte en une hausse du coût de base rajusté des parts du fonds, ce qui viendra réduire l’impôt à payer lors de la disposition des parts par le client.

Il va sans dire cependant que les distributions fantômes ne posent aucun problème si l’on détient un FNB dans un régime enregistré comme un régime enregistré d’épargne-retraite ou un compte d’épargne libre d’impôt.

Une question de rotation de portefeuille

Selon Guy Lalonde, conseiller en placement et gestionnaire de portefeuille à la Financière Banque Nationale, les FCP ou les FNB à gestion active, qui sont les derniers arrivés sur le marché canadien des FNB, sont les plus susceptibles de faire des distributions fantômes en fin d’année.

«Avec les fonds indiciels, il est peu probable que l’on déclare des gains en capital surprises en fin d’année, car il y a peu de roulement. On vend peu de titres, sauf s’il y a une modification à l’indice», explique Guy Lalonde. En effet, les fonds indiciels ne font habituellement que reproduire le panier de titres de l’indice sous-jacent ; ils conservent donc les mêmes titres longtemps, d’où la faible probabilité de faire d’importants gains en capital sur une disposition de titre au cours de l’année.

Or, ce n’est pas le cas avec les fonds gérés activement, qui, par définition, visent à tirer profit des variations de cours et qui peuvent donc vendre des titres à plusieurs reprises au cours de l’année afin de réaliser des gains.

Ce constat est d’autant plus vrai que la plupart de ces nouveaux fonds actifs ont été lancés après le début du marché haussier que nous connaissons depuis quelques années. «Ils ne possèdent donc pas de pertes accumulées lors de marchés baissiers qui pourraient réduire les gains réalisés lors du marché haussier des dernières années», ajoute Guy Lalonde.

L’équipe de James Gauthier arrivait à des conclusions similaires dans son étude intitulée «Are Your Favorite Funds Ticking Tax Time Bombs ?» (Vos fonds favoris sont-ils des bombes fiscales à retardement ?), publiée en septembre. Elle a examiné les états financiers de plus de 300 fonds communs équilibrés et d’actions des principaux manufacturiers de fonds au pays et a découvert que 70 % ont des gains en capital latents. Selon l’équipe d’iA Gestion de patrimoine, les fonds qui ont les plus importants gains en capital latents, qui ont peu ou pas de pertes en capital et qui ont un taux élevé de rotation d’actif dans leur portefeuille sont les plus susceptibles d’effectuer des distributions de gain en capital en décembre.

Un bémol

Chez Placements Mackenzie, un des principaux manufacturiers traditionnels de fonds communs qui s’est lancé dans l’aventure des FNB, on reconnaît que des distributions fantômes puissent survenir.

Cependant, Laurent Boukobza, vice-président FNB chez Placements Mackenzie, affirme que les distributions fantômes risquent surtout d’arriver dans les fonds d’actions, et rarement du côté des fonds à revenu fixe. En effet, les actifs sous-jacents de ces derniers sont quasi exclusivement des obligations ou autres titres procurant des intérêts, d’où la faible probabilité de réaliser un gain en capital.

«Les seuls cas possibles seraient lors d’une baisse généralisée des taux d’intérêt qui aurait pour effet de pousser à la hausse les titres à revenu fixe», observe Laurent Boukobza. Encore là, ce sont surtout les fonds gérés activement qui risqueraient de dégager des distributions fantômes, car ces derniers pourraient décider de concrétiser leurs gains sur les sous-jacents qui auraient réalisé des plus-values, tandis que les fonds indiciels, eux, continueraient de détenir ces titres afin de ne pas dévier des indices qu’ils cherchent à calquer.

De surcroît, Placements Mackenzie adopte une stratégie en deux points principaux pour atténuer les désagréments que pourraient entraîner les distributions fantômes. «On tente autant que faire se peut de répartir les gains tout au long de l’année. Ainsi, le conseiller et son client n’apprendront pas la nouvelle de la distribution-surprise en toute fin d’année, au moment où il ne reste plus grand temps pour dénicher une stratégie visant à diminuer un fardeau fiscal imprévu sur une somme non encaissée», explique Laurent Boukobza.

La stratégie retenue se résume habituellement à vendre ses parts d’un FNB ou d’un autre placement qui aurait subi une baisse afin de dégager une perte en capital que l’on pourrait utiliser pour annuler autant que possible le gain en capital causé par la distribution fantôme. Encore faut-il, idéalement, avoir un peu de temps pour réagir et trouver un autre placement équivalent qui correspond aux objectifs de placement de l’investisseur afin d’y réinvestir les sommes provenant de la vente du titre baissier. Pour Laurent Boukobza, il est donc primordial de divulguer autant d’information que possible sur les distributions dans un délai approprié.

D’où le deuxième point de la stratégie de Mackenzie, soit la publication de toute l’information pertinente concernant les distributions sur le site web du manufacturier de FNB. «Par exemple, chez Mackenzie, on trouve sur notre site toute l’information sur les distributions, les dates de ces dernières au cours de l’année et la nature de celles-ci, c’est-à-dire si elles consistent en revenus de dividende, d’intérêt ou de gain en capital», explique-t-il. Une information essentielle, selon Laurent Boukobza, car, généralement, les distributions aux investisseurs conservent aux fins fiscales leur nature. Par exemple, un revenu de dividende touché par un FNB et versé à l’actionnaire conservera habituellement cette même nature entre les mains de ce dernier. Le même raisonnement prévaut pour les revenus d’intérêt ou les gains en capital.

Il est toutefois bon de mentionner que ces préoccupations concernant l’insatisfaction de devoir un impôt sur une somme non encore encaissée ne sauraient prévaloir sur une bonne planification. Sur cela, nos deux experts interrogés se rejoignent. «Pour nous, l’essentiel est de s’assurer que le portefeuille du client continue de refléter les objectifs de ce dernier. Les modifications entraînées par les distributions fantômes ou le versement des distributions ne se font qu’à la marge et nous veillons à ce que les objectifs du client et sa planification soient respectés. Ce sont donc des critères de planification financière qui priment», explique Guy Lalonde, qui reconnaît néanmoins l’importance de la fiscalité.

Du côté de Laurent Boukobza, on souligne le coût d’opportunité d’une stratégie qui tenterait d’éviter autant que possible les distributions fantômes. «Un investisseur qui vendrait ses titres afin d’éviter une distribution fantôme avant le versement de celle-ci risquerait de manquer une période de surperformance des marchés, d’où un coût d’opportunité», souligne-t-il. Il ajoute aussi les autres coûts associés à cette stratégie, par exemple, les coûts de transaction sur la vente des titres et sur le rachat d’un titre de remplacement, ou encore le coût de l’écart cours acheteur-cours vendeur (bid ask spread) que devra assumer l’investisseur qui voudrait éviter à tout prix les distributions fantômes.

Laurent Boukobza fait toutefois remarquer qu’il ne faut pas sous-estimer pour autant la planification fiscale. «Nous ne contrôlons pas l’évolution des marchés, donc le rendement de nos placements. Toutefois, nous connaissons les règles fiscales. Il s’agit d’une variable sur laquelle nous avons plus de pouvoir», observe-t-il.