C’est ce qu’on peut comprendre d’une interprétation technique de Revenu Québec portant sur le partage de commissions qui a été publiée à la fin octobre, soit un an après sa rédaction. Cette interprétation établit les principes généraux du partage de commissions dans le contexte où la Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, sanctionnée le 13 juin 2018, a modifié la Loi sur les valeurs mobilières (LVM), notamment sur ce plan.
On demandait à Revenu Québec de se prononcer sur le cas hypothétique d’un représentant en épargne collective lié par contrat à une firme de courtage en épargne collective qui stipule qu’il est travailleur autonome. Cette personne est aussi un représentant en assurance de personnes rattaché à un cabinet (société par actions) dont il est l’unique actionnaire. Toutes les parties sont inscrites auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Selon l’interprétation de Revenu Québec, si un représentant en épargne collective veut profiter du partage de commissions dans le respect des règles fiscales, il doit justifier le bien-fondé de la transaction intervenue entre lui, le courtier en épargne collective par qui transite le revenu et l’autre société par actions autorisée à recevoir la commission.
«Bien que la LVM et sa réglementation ne semblent pas obliger qu’il existe un quelconque motif pour effectuer un partage de commissions, il est nécessaire de justifier le bien-fondé de la transaction intervenue entre le représentant de courtier en épargne collective (qui a par ailleurs droit au revenu pour les services rendus), la firme par qui transite le revenu et l’autre personne autorisée à recevoir la commission pour qu’un tel partage soit reconnu en vertu des règles fiscales applicables», écrit Revenu Québec.
Par exemple, une entente prévoyant que des clients seront dirigés par le cabinet vers le représentant, en échange d’une partie des revenus générés par la vente de divers produits à ces clients, peut constituer un motif de partage valable sur le plan fiscal, précise Revenu Québec. L’autorité fiscale utilise ainsi le même exemple de partage des commissions que celui présenté par l’AMF sur son site Internet.
Dans la mesure où il n’existe aucune justification valable au partage d’une commission entre le cabinet du représentant et ce dernier (par l’intermédiaire de la firme de courtage), cette commission doit normalement être incluse dans le revenu du représentant de courtier en épargne collective, selon Revenu Québec.
«La LI [Loi sur les impôts] ne comporte pas de règles sur la validité du partage de commissions ni de limites particulières pour un tel partage. De ce fait, dans le cas où un représentant de courtier en épargne collective partage sa commission avec une autre personne [par l’intermédiaire d’une firme], la préoccupation principale de la LI n’est pas tant de déterminer si ce partage est valide que de déterminer s’il correspond à une rémunération gagnée par cette autre personne pour des services que cette dernière a réellement rendus», explique Revenu Québec.
D’après Revenu Québec, c’est le représentant en épargne collective qui a droit au revenu pour les services rendus relativement à la vente de produits en épargne collective, et non son cabinet. Cependant, il est possible qu’un représentant en épargne collective puisse recevoir divers services d’une société dont il est l’unique actionnaire et administrateur.
«Ainsi, dans la mesure où des services sont réellement rendus par cette société au représentant de courtier en épargne collective, des honoraires raisonnables peuvent être versés à ladite société. Ces honoraires peuvent être déduits dans le calcul du revenu du représentant de courtier en épargne collective uniquement dans la mesure où ils sont effectués pour gagner un revenu provenant de cette entreprise et qu’ils sont raisonnables dans les circonstances», écrit Revenu Québec.
Questions sans réponses
Cette interprétation de Revenu Québec apporte certaines précisions, mais laisse beaucoup de questions sans réponses.
Tant qu’un représentant en épargne collective ne pourra pas se constituer en société, certaines incertitudes perdureront, note Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services Financiers. «On est dans une zone grise. On a le droit de partager, mais Revenu Québec va appliquer un critère de raisonnabilité et ne nous donne pas les paramètres de son critère de raisonnabilité», dit-il.
Selon lui, Revenu Québec signale que partager 100 % des commissions avec le cabinet serait problématique. Or, comment établir la valeur des services réellement fournis par le cabinet ? se demande Maxime Gauthier. «Quand on applique un critère de raisonnabilité, il y a une marge de manoeuvre pour que le cabinet conserve une certaine marge de profit. Mais qu’est-ce qu’une marge de profit raisonnable ?»
De plus, Revenu Québec ne précise pas ce qu’est une justification valable, poursuit Maxime Gauthier. «Est-ce que le représentant pourrait dire : « Mon cabinet me verse un très gros salaire, parce que mon taux horaire est extrêmement élevé et j’ai forcément besoin d’envoyer 100 % des commissions dans mon cabinet, sinon le cabinet n’est pas capable de me payer ce que je vaux pour m’occuper des clients. » Il y a un imbroglio qu’on pourrait régler avec l’incorporation.»
Lorsqu’un conseiller distribue à la fois des fonds communs et des produits d’assurance, c’est habituellement son cabinet qui paie ses dépenses de bureau, note Maxime Gauthier. Le partage de commissions permet d’orienter les flux monétaires vers l’entité qui paie tout le monde, mais des zones grises demeurent.
Et les taxes ?
Le fiscaliste Yves Chartrand, du Centre québécois de formation en fiscalité, s’est intéressé au dossier, mais n’arrive pas à une conclusion pour le moment. Il se demande notamment si l’échange de services entre un représentant et sa société engendre des honoraires assujettis aux taxes à la consommation.
Chez MICA Cabinets de services financiers, l’échange de services entre un conseiller et un cabinet n’entraîne généralement pas de perception de taxes (TPS et TVQ), confirme le président de la firme, Gino-Sébastian Savard. Selon lui, l’interprétation de Revenu Québec forcera les représentants à effectuer «un exercice minutieux et bien accompagné pour identifier leurs clients hybrides», soit ceux qui font des affaires en épargne collective et en assurance.
Gino-Sébastian Savard souhaite aussi qu’on autorise la constitution en société des représentants en épargne collective. «Je suis content qu’on nous donne des précisions, mais ça ne règle pas le problème», dit-il. Il cite l’exemple d’un jeune conseiller dont le cabinet a acheté un bloc d’affaires et assume le financement de cet achat. «Il faut que l’argent rentre dans son cabinet. Par contre, avec l’interprétation de Revenu Québec, on a de quoi baliser : ce conseiller a raison de se payer un fort pourcentage dans le cabinet.»
Ce n’est pas d’hier que les représentants en épargne collective réclament le droit de s’incorporer. Un participant a d’ailleurs réitéré cette demande lors du passage d’Eric Girard, ministre des Finances du Québec, au 14e Rendez-vous de l’AMF, à la fin novembre. «Je vous promets qu’on va étudier cela de nouveau, puisqu’il semble que ça n’ait pas évolué depuis 10 ans», a-t-il dit.
Avis devenu caduc
Une chose semble claire : les récents changements réglementaires rendent caduc l’avis sur le «Versement de la rémunération découlant d’activités dans le secteur des valeurs mobilières à une personne non inscrite en vertu de la LVM», publié par l’AMF en janvier 2016, confirme l’AMF.
En se basant sur cet avis, les autorités fiscales ont imposé certains représentants qui avaient effectué un partage de commissions. Elles affirmaient que ces derniers utilisaient un stratagème d’évitement fiscal, puisqu’ils partageaient avec leur cabinet une trop grande proportion de leurs commissions par rapport aux services réellement rendus par leur cabinet.
L’AMF confirme par courriel que les règles de la législation applicable en valeurs mobilières permettent, à certaines conditions, de partager une commission gagnée à la suite d’une transaction en épargne collective. Toutefois, ni la LVM ni ses règlements «ne prévoient de règles spécifiques quant au pourcentage de la commission qui peut être partagé».
Traditionnellement, il était reconnu dans l’industrie qu’un partage raisonnable, par exemple 30 % des commissions du représentant, ne posait pas de problème. Par contre, un pourcentage plus élevé portait flanc à la contestation des autorités fiscales, indiquait récemment Maxime Gauthier dans Finance et Investissement.
«Le cabinet de courtage en épargne collective qui reçoit la commission au départ et les inscrits avec qui il partage cette commission par la suite doivent tous tenir compte des règles fiscales pouvant s’appliquer à leur situation particulière», souligne par courriel Sylvain Théberge, directeur des relations médias à l’AMF.
Son organisation n’avait pas les ressources pour réviser et mettre à jour son avis de 2016 sur le partage de commissions avant la mi-décembre.
Difficile donc, pour le moment, de dissiper l’incertitude fiscale.