Photo portrait de Marie Elaine Farley.
Crédit : Bénédicte Brocard

Juin 2018. L’industrie est profondément divisée sur la pertinence de la Chambre de la sécurité financière (CSF). L’organisme d’autoréglementation (OAR) passe à deux doigts d’être intégré à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Puis la CSF est sauvée in extremis par le ministre libéral des Finances du Québec, Carlos Leitão, qui souhaitait pourtant le contraire depuis des mois. Des négociations en marge des travaux de la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale du Québec épargnent la CSF, dont les limites ont été étalées sur la place publique depuis 2015.

C’est cet épisode difficile qui pousse la CSF à se redéfinir sur de nouvelles bases à l’automne 2019. « Quand vous êtes mis au ballottage, vous devez montrer comment vous rendre utile et créer des relations », confie Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF depuis 2015.

Après avoir consulté ses membres et ses parties prenantes, elle voit émerger la possibilité de devenir « un réel partenaire à valeur ajoutée au sein de l’industrie pour toutes les parties prenantes ».

La dirigeante parle d’une profonde transformation. L’objectif ? Gagner en agilité et en capacité d’innovation en se centrant davantage sur l’évolution de la profession et sa mission de protection du public, accroître la synergie au sein de l’organisation ainsi que sa souplesse. L’organisation veut mieux anticiper ses besoins et ceux de ses membres. La CSF révise sa structure organisationnelle en 2020 en créant trois postes de vice-présidents et en regroupant les différentes directions sous les vice-présidences.

« Pour être plus efficace, il [a fallu] défaire les silos à l’interne, aplanir la structure, augmenter [la responsabilisation] des gens, [recruter] de nouveaux talents. On est allé chercher des gens en intelligence d’affaires pour bien utiliser nos données et faire ce virage », résume Marie Elaine Farley.

Diverses réformes sont mises en branle, à commencer par celles au bureau du syndic. Celui-ci avait essuyé des critiques de l’AMF et de l’industrie quant aux délais de cheminement des dossiers d’enquête à divers moments depuis 2012. L’indépendance du syndic par rapport à la direction de la CSF constituait un défi.

Nommé syndic en décembre 2018, l’avocat Gilles Ouimet dresse l’état de la situation, engage des gens, les forme et revoit les procédés. « On a fait travailler davantage [ensemble] syndic et enquêteurs pour gagner plus de temps, d’efficacité et une meilleure compréhension », explique Marie Elaine Farley.

Avec la pandémie, on a numérisé les dossiers d’enquête afin, entre autres, de faciliter le télétravail. Ces changements portent leurs fruits. Entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2021, le nombre de dossiers sous enquête depuis plus de 12 mois passe de 125 à 26. En mars dernier, la CSF comptait 23 dossiers en cours depuis plus de 12 mois.

Marie Elaine Farley assure que le syndic et les enquêteurs sont sensibilisés au stress que subit un conseiller sous enquête. Elle ajoute que les premiers doivent tout de même prendre le temps de bien établir la preuve, car déposer des accusations devant le comité de discipline est un procédé rigoureux.

En 2019, deux nouveaux comités consultatifs naissent: le Comité de la vigie réglementaire et de la conformité des pratiques (CVRCP) et le Comité de la formation et du développement professionnel (CFDP). Ce dernier s’intéresse aux normes de reconnaissance des formateurs et à la pertinence des formations offertes. Dans son rapport d’inspection de janvier 2019, l’AMF recommandait notamment que la CSF balise mieux les critères d’acceptation de ses formations afin d’exclure celles basées sur la vente d’un produit. Dans celui de décembre 2020, elle recommandait que la CSF augmente la portée et le volume de ses audits de qualité des formations.

Le CFDP a tenu plus d’une douzaine de séances où il a notamment révisé ses politiques en matière de formation continue, et établi des normes de probité et de compétence des formateurs.

Les travaux du CVRCP ont notamment contribué à la réalisation d’un nouveau guide qui accompagne le conseiller dont un client est en situation de vulnérabilité. En outre, en janvier 2021, la CSF a invité plus de 150 responsables de la conformité (RC) à une rencontre virtuelle destinée à mieux comprendre leurs défis.

De ces échanges naîtra un portail libre-service, actuellement au stade de projet pilote et dont une première phase sera livrée en 2022. Il permettra notamment aux RC de consulter le dossier d’unités de formation continue des représentants qui leur auront permis de le faire.

« Le virage numérique qu’on a pris, ça rend possibles ces services, indique la dirigeante, fière de ces avancées. On est passé d’un centre d’informations qui était très réactif, à un centre engagé à soutenir nos clientèles. On a automatisé beaucoup de choses. »

Turbulence

En 2020, la transformation amorcée à la CSF bouleverse certaines habitudes auprès des employés. Le télétravail complexifie la gestion du changement, admet sa dirigeante. L’OAR se trouve confronté à du roulement de personnel alors que la pénurie de main-d’œuvre se fait sentir. « Quelques employés de la Chambre, dont certains occupant des postes clés au niveau des technologies de l’information, ont quitté l’organisation. Cette situation, bien que contrôlée par la Chambre, soulève un risque à considérer », écrit l’AMF dans son rapport d’inspection de décembre 2020.

Ce roulement attire l’attention du média Droit-inc. Au début d’avril 2022, il allègue un climat de travail « tendu ». Marie Elaine Farley réfute en bloc les allégations de l’article, affirmant au contraire que le climat est bon et sain.

En 2020, « on a fait une transformation majeure où on a revu tous les rôles et responsabilités. On a créé de nouveaux postes. On en a aboli. On a dû prendre des décisions qui étaient très difficiles, mais aussi, pour nous, les comportements sont très importants », déclare-t-elle.

« On a eu une période de turbulence. Maintenant, on est ailleurs », ajoute-t-elle.

En mai 2021, le conseil d’administration, de concert avec la direction, mandate un expert externe afin de consulter un certain afin de consulter un certain nombre d’employés sur la gestion du changement et sur le climat organisationnel. En octobre 2021, la CSF présente son plan d’action. Il recommande notamment de « rétablir le canal de communication interne ». Un des défis réside dans le « manque de constance » qui « occasionne des distorsions d’information et de perceptions ».

« On ne peut jamais trop communiquer », indique celle qui se dit fière du travail et de la mobilisation de ses troupes.

Art du compromis

Dans un sens, cette tempête médiatique qui secouait la CSF au moment de mettre sous presse force Marie Elaine Farley à afficher des qualités qu’elle a développées au fil du temps, dont son positivisme et son sens politique.

Et ce sens politique, Marie Elaine Farley l’a notamment aiguisé dans sa famille, au moment de faire son choix d’études universitaires. Native de Trois-Rivières, elle a grandi à Baie-Comeau, sur la Côte-Nord. Son père voulait qu’elle soit ingénieure, mais elle visait la philosophie. « [Ça] n’a pas passé au conseil de famille, donc si je voulais avoir un peu de soutien pour migrer vers Québec, j’ai revu mon choix pour le droit, dit celle qui a étudié à l’Université Laval. Avec le recul, ce chemin me ressemblait. »

Alors qu’elle est encore aux études, elle collabore à la conception d’un cours pour planificateurs financiers. Ça pique sa curiosité et l’amène, quelques années plus tard, en 2001, à devenir enquêteur à la CSF. « Les valeurs de justice, d’équité et de tout ce que ça porte dans la protection, mais aussi dans l’encadrement de l’éthique des professionnels, ça m’attirait », dit-elle.

En 2002, la CSF reçoit légalement son statut d’OAR. Marie Elaine Farley voit évoluer l’organisation au fil des ans. En parallèle, elle change de fonctions et prend du galon.

Elle est vice-présidente aux affaires juridiques et corporatives au moment où la CSF entame une bataille juridique contre la Banque CIBC, au début des années 2010. Cette banque, tout comme d’autres, refuse de remettre des documents pertinents aux enquêtes de la syndique.

En 2015, le juge Louis Lacoursière, de la Cour supérieure, donne raison à la CSF et ordonne à la CIBC de transmettre à l’OAR des documents essentiels à ses enquêtes.

« On se devait de faire [cette démarche] », raconte-t-elle. Si un conseiller est malhonnête et se fait congédier, « il nous faut pouvoir enquêter pour s’assurer de l’intégrité de la personne. La confiance est à la base de tout. »

En juin 2015, Marie Elaine Farley devient présidente et chef de la direction de la CSF, dans un mandat à durée indéterminée. Le même mois, le ministère des Finances du Québec remettait en question la CSF. Marie Elaine Farley passera les trois premières années de sa présidence à gérer l’OAR tout en luttant pour sa survie.

« Dans chaque défi il y a une opportunité à saisir. Il faut voir comment s’améliorer et tirer profit de ça sur le plan personnel »et comme organisation, dit-elle.

Dans le volet technologique de sa mutation, la CSF continuera d’adopter de bonnes pratiques de cybersécurité et de protection des données, qui passent entre autres par la formation du personnel à ces risques.

Aujourd’hui tournée vers l’avenir, la dirigeante entend s’inspirer des attentes des clients, notamment sur le plan technologique, afin que les conseillers soient mieux outillés pour les servir avec professionnalisme. En 2022, la CSF intégrera de nouvelles directives en cybersécurité. « En 2021, un focus a été mis pour livrer le plan d’inspection de l’AMF et gérer les risques et enjeux TI importants générés par le contexte de la pandémie et le retard en cybersécurité », lit-on dans le plan d’action de la CSF d’octobre 2021.

Le CA lui réitère sa confiance

Le 7 avril, le conseil d’administration (CA) de la Chambre de la sécurité financière (CSF) renouvelait publiquement sa confiance à l’endroit de la direction de l’organisme « à la suite d’allégations anonymes et malveillantes contenues dans des articles diffusés récemment sur Droit-Inc. ».

Dans un article, un groupe d’une vingtaine d’employés, actuels et anciens, qui se sont confiés au journaliste Gabriel Poirier sous le couvert de l’anonymat, déploraient « un climat de travail tendu ». Celui-ci expliquerait en partie les quelques 23 départs de membres du personnel de la CSF qu’il a recensés entre janvier 2020 et octobre 2021, selon Droit-Inc.

« Nous déplorons la publication de ces articles sur le style de gestion et le climat de travail à la CSF, et nous réfutons les allégations qui y sont rapportées. Le CA est convaincu que le climat de travail à la CSF est sain et respectueux de tous les employés », ont déclaré Georges E. Morin, président du comité des ressources humaines du CA, ainsi qu’Anne Côté et Sylvain De Champlain, vice-présidents, dans un communiqué. Marie Élaine Farley nie aussi les allégations du média.

« Nous sommes en contact avec le CA de la CSF afin de nous assurer du suivi des recommandations découlant du rapport produit par un consultant externe sur le climat de travail à la CSF et de comprendre les améliorations qui ont été mise en place ces derniers mois », a dit dans un courriel Sylvain Théberge, directeur des relations médias, Direction des affaires publiques et des communications, à l’Autorité des marchés financiers.

– FINANCE ET INVESTISSEMENT