C’est ce qui ressort du sondage «L’industrie financière en pleine ébullition» mené récemment par Finance et Investissement. Ces craintes ne sont pas sans fondement, selon certains observateurs, mais il n’y a pas lieu non plus de paniquer. Comme pour tout développement inévitable, il vaut mieux le favoriser que s’y opposer.
Lorsqu’on a demandé aux répondants de choisir, parmi une liste de six, «Quel développement technologique risque le plus de nuire à votre chiffre d’affaires dans les cinq prochaines années ?», deux développements ont reçu le plus de votes, soit «la planification financière créée par un algorithme sans l’intervention d’un conseiller» et «la vente d’assurance de personnes par Internet sans l’intervention d’un représentant». Lire l’encadré ci-contre pour connaître les autres réponses.
Face à ces avancées technos, les appréhensions se divisent essentiellement en deux. D’un côté, on craint que les conseillers soient déclassés, remplacés même ; de l’autre, que les clients recourant aux services automatisés soient mal servis.
Voici quelques commentaires représentatifs. «Les entreprises vont mettre beaucoup plus d’argent dans le développement de ces avenues que dans celui du capital humain», dit un répondant, ses inquiétudes trouvant un écho plus direct dans le propos suivant : «Ces nouvelles applications remplacent le capital humain.»
Un autre répondant lance : «Les gens veulent la facilité et la rapidité, donc aucune interaction avec personne, mais pourront-ils faire le bon choix ?» ce que complète ainsi un autre : «Ils [ces outils Internet] donnent une mauvaise réputation au marché – qui a déjà mauvaise presse.» Dans un autre cas, un répondant dénonce le risque que «la compréhension des produits soit évacuée chez le consommateur».
«Les clients vont se fier à ces planifications financières sans valider si elles sont optimales pour eux», appréhende un répondant.
Certains commentaires sont un peu plus favorables à ces nouveaux instruments, mais à peine, et demeurent l’exception. «Les sites sans conseiller sont bien faits et le client peut ne pas avoir besoin d’un vrai conseiller… ou avoir le sentiment de ne pas en avoir besoin.»
La note la plus positive fait simplement ressortir certaines constantes nouvelles dans le marché, indiquant que les répondants ont de l’empathie à l’endroit des consommateurs plutôt que d’être favorables aux technologies : «Les gens ne se déplacent plus facilement et n’ont plus besoin de socialiser avec leur conseiller ; ils manquent de temps. Il y a congestion en tout temps. Les clients cherchent la rapidité et la simplicité.»
Craintes fondées
Certaines de ces observations sont fondées, jugent les commentateurs à qui Finance et Investissement a parlé. Par exemple, les clients qui achètent des produits d’assurance en ligne risquent d’être mal servis, «et ils ne vont s’en rendre compte que lorsqu’il sera trop tard, quand ils seront malades, morts ou au moment de renouveler une police», pense Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers.
La loi au Québec exige que le client ait accès à un conseiller qualifié à tout moment, mais c’est insuffisant selon lui : «L’intervention d’un représentant seulement sur demande du client, ça va être un fiasco, car le consommateur ne sait pas l’erreur qu’il commet au moment de souscrire une police en ligne.»
C’est pourquoi Emma.ca, le système que MICA a mis en ligne – le premier du genre au Canada -, impose l’intervention d’un conseiller en sécurité financière. Le client peut circuler dans le site, évaluer des produits, mais sa navigation, ses choix, ses hésitations même, sont analysés en tout temps par le système. Et cette analyse est un outil additionnel dont dispose le conseiller pour se faire une meilleure idée de ce client potentiel au moment d’interagir en direct avec lui.
Même son de cloche de la part de Stéphane Rochon, président et chef de la direction d’Humania Assurance. «Ce sont des produits trop compliqués pour être achetés sans représentant», reconnaît-il, et c’est pourquoi Humania propose actuellement en ligne uniquement un comparateur de produits. La transaction finale, elle, se fait en interaction avec un conseiller.
Le modèle changera
Par ailleurs, les commentaires du sondage n’abordent pas certains aspects des nouvelles technologies dont les impacts sont positifs ou peuvent l’être. Stéphane Rochon n’envisage pas que les conseillers vont être remplacés ou supplantés, cependant leur modèle d’affaires est appelé à changer.
«Ils doivent pouvoir répondre aux clients dans le format qu’ils veulent», dit-il. Et ce format emprunte de plus en plus la voie du courriel, de Skype, des textos et autres médias sociaux.
De plus, le conseiller qui veut se tenir à jour doit impérativement implanter des outils informatisés de suivi, à commencer par un logiciel CRM (Client Relationship Management). «Combien de conseillers, demande-t-il, utilisent un CRM, non seulement pour leur administration, mais surtout pour une interaction proactive avec les clients ? C’est encore un petit nombre.»
Un conseiller peut aussi se tirer d’affaire avec les processus traditionnels : deux ou trois rencontres préliminaires avec le client pour tracer son profil et lui soumettre un plan. Cependant, avertit Stéphane Rochon, s’il n’est pas organisé pour répondre rapidement via une interface de clavardage, il risque de se faire damer le pion par un plus jeune conseiller qui sera plus en phase avec les attentes de clients plus jeunes.
D’ailleurs, la perception que les jeunes cherchent «rapidité et facilité», comme en rend compte le sondage, est fausse, juge Philippe Grégoire, professeur de finance à l’Université Laval. «Magasiner un produit ou un service en ligne requiert bien plus de temps que d’échanger avec un conseiller, dit l’universitaire. Le client doit faire ses classes, comparer des produits, et c’est un processus éducatif.»
Ce spécialiste ne croit pas que le conseiller sera remplacé. Par contre, son rôle changera. Ses nouveaux clients arrivent en consultation mieux préparés et prêts à procéder à une transaction. Les questions générales ont été traitées en ligne, il ne reste plus que quelques questions pointues qui relèvent vraiment de l’expertise du conseiller.
Selon Philippe Grégoire, les outils informatiques sont peu susceptibles de détourner les clients actuels des conseillers. Au Québec, seulement 27 citoyens sur 100 ont recours à un planificateur financier, d’après un sondage mené en 2018 par Léger pour le compte du Financial Planning Standards Council. C’est parmi les 73 autres que les technologies vont recruter. «D’après moi, les technologies risquent d’augmenter la demande de conseil financier», juge-t-il.
Plus encore, prévoient Philippe Grégoire et Stéphane Rochon, le conseiller qui se met à jour en matière de nouvelles technologies va prospérer. En confiant aux technologies les questions générales, il pourra se concentrer sur les éléments qui relèvent vraiment de son expertise. «Le conseiller qui va se numériser et se positionner dans la chaîne de valeur, dit Stéphane Rochon, va se retrouver avec plus de dossiers et plus de revenus.»
Les conseillers craignent les technos susceptibles de les remplacer
Source : Sondage «L’industrie financière en pleine ébullition»
Réponses des conseillers, présentées en ordre décroissant du plus grand nombre de répondants, à la question : «Quel développement technologique risque le plus de nuire à votre chiffre d’affaires dans les cinq prochaines années ?»
- La planification financière créée par un algorithme, sans l’intervention d’un conseiller
- La vente d’assurance de personnes par Internet sans l’intervention d’un représentant
- Les robots-conseillers
- L’intelligence artificielle en conseil financier
- Les courtiers à escompte et/ou en ligne
- La technologie de la chaîne de blocs (blockchain)