Jusqu’à maintenant, chacun y allait un peu de sa propre recette en investissement responsable quand il s’agissait de déterminer des critères de suivi des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et de les mesurer. L’industrie est en train de mettre en place des mesures et des façons communes afin d’obtenir de l’information pertinente et comparable en provenance des entreprises.
«Avant, on sous-estimait certains enjeux ESG. On n’aurait jamais demandé à une entreprise si elle avait mis en place des mesures pour être attirante auprès de la main-d’oeuvre, par exemple. La société change. Il faut s’adapter», observe Milla Craig, fondatrice et présidente de la firme Millani, qui accompagne des sociétés d’investissement et des entreprises dans l’intégration des facteurs ESG à leur pratique.
Par conséquent, les firmes de placement se mettent progressivement à offrir ce type de placements. Si elles savent comment évaluer une entreprise d’un point de vue financier, analyser leur impact sur la société ne fait pas partie de leurs compétences traditionnelles.
De même, les entreprises ont toujours eu l’habitude de présenter des états financiers approuvés par des firmes comptables pour prouver leurs résultats. Aujourd’hui, elles doivent ajouter à leurs états financiers leur impact sur les plans environnemental, social et de la gouvernance, les trois facteurs sur lesquels repose l’investissement responsable.
Par exemple, elles doivent prouver qu’elles connaissent leur impact sur l’environnement, le maîtrisent et tentent de le réduire, qu’elles sont de bons employeurs, qu’elles ne souffrent pas d’un manque d’attractivité de la main-d’oeuvre qui pourrait les mettre en danger, ou encore que leurs produits ont un haut degré d’acceptabilité sociale. Elles doivent aussi se soucier d’avoir une gouvernance irréprochable : administrateurs indépendants, qui reflètent la diversité, qui siègent à un nombre raisonnable de conseils d’administration, etc.
En transition
«Même si ce n’est pas encore obligatoire, les investisseurs mettent de la pression sur les entreprises pour qu’elles divulguent plus d’informations dans ces domaines-là. Cependant, trouver les bons indicateurs pour chaque secteur et entreprise prend du temps. On est en transition vers une nouvelle économie», poursuit Milla Craig.
Il faut du temps, mais aussi de l’argent. «Il faut comprendre que c’est un travail énorme pour les émetteurs et que ça représente un coût net, souligne Roger Beauchemin, président et chef de la direction d’Addenda Capital. Toutes ces informations sont pourtant fondamentales, car elles entrent dans nos décisions d’investissement. Elles doivent donc être justes et validées. Les entreprises réalisent qu’elles ont désormais le devoir de faire ce travail et les firmes comptables vont sûrement devoir vérifier l’information pour les certifier, comme elles le font pour les états financiers.»
Alors, l’industrie s’organise pour s’adapter à cette nouvelle réalité. Des entreprises comme Millani les accompagnent dans cette transition. Dans les firmes d’investissement, les équipes se diversifient. Alors qu’elles étaient auparavant principalement constituées d’experts en finance, elles comptent désormais dans leurs rangs des scientifiques, des spécialistes en environnement ou encore des ingénieurs.
Une règle fondamentale s’impose : «On doit s’assurer que les financiers ont une approche ISR [investissement socialement responsable] et que les personnes qui ont un profil plus proche des domaines des facteurs ESG sont ouvertes à l’idée de rentabilité financière, car tous ces gens doivent travailler de concert et pas de façon contradictoire», affirme Daniel Solomon, vice-président principal et chef des placements de Placements NEI.
En cours d’adaptation
Le processus d’analyse des facteurs ESG est long : analyse des enjeux des secteurs d’activité, des risques par pays et par entreprise, établissement des critères, choix des facteurs les plus représentatifs, détermination des mesures, comparaison des résultats avec des normes de base. Il est d’autant plus complexe que rien n’existait il y a encore quelques années.
«Il y a souvent des centaines d’indicateurs pour chaque industrie. On utilise des bases de données externes, puis on fait notre propre étude qualitative pour déterminer, selon les risques, les critères les plus pertinents pour telle ou telle entreprise», explique Daniel Solomon.
Pour compléter les données externes, les firmes posent beaucoup de questions aux entreprises afin de mieux comprendre leurs réalités et leurs enjeux, et les accompagnent pour mettre en place les critères importants de reddition de compte ainsi que les façons de les mesurer.
Cependant, comme il n’existait pas de précédents dans le passé, les fonds d’investissement instauraient leurs critères de leur côté et les entreprises se débrouillaient comme elles pouvaient pour prendre les mesures et fournir les renseignements demandés. Par ailleurs, c’était différent pour chaque fonds. «Notre défi, c’est la standardisation», reconnaît Roger Beauchemin.
Tout un travail d’uniformisation est donc en cours à l’échelle internationale. Dans cette démarche, les firmes sont aidées par la présence de plus en plus nombreuse d’agences de notation spécialisées dans les facteurs ESG, qui fournissent des analyses sur des entreprises.
De plus, des initiatives sectorielles font un travail de structuration. Par exemple, le Sustainability Accounting Standards Board (SASB) a été créé en 2011 aux États-Unis pour mettre en place des critères et les mesures de référence pour les enjeux environnementaux et sociaux.
Le Task Force on Climate- related Financial Disclosures (TCFD), fondé par le groupement international Financial Security Board (FSB) en 2015, est un autre exemple d’initiative sectorielle. Il comprend pour sa part des membres issus des milieux financiers et non financiers. Son but est de proposer des recommandations sur la manière de reporter les risques et les opportunités liés aux changements climatiques. Ainsi, il propose des définitions précises des différents enjeux et il a réparti les critères en plusieurs catégories.
La structuration est en marche. Elle permettra à tous – firmes de placement, agences de notation, entreprises, etc. – de travailler avec les mêmes références et les mêmes mesures d’impact. Une phase incontournable, dont les résultats sont attendus impatiemment par l’industrie. L’efficacité et la transparence sont en jeu.