Afin de bien servir ses clients, un conseiller devrait collaborer notamment avec ses pairs et un réseau d’experts. Même si la formation d’équipes de conseillers semble une façon de faire tout indiquée, cette collaboration peut se faire autrement.
Ainsi, à l’heure actuelle, la création d’équipes de conseillers constitue une tendance incontournable, juge Jean Morissette, consultant du secteur du courtage de plein exercice. Travailler seul ou en équipe est une question qui ne se pose plus. « Les cavaliers seuls sont un vestige du passé et sont
appelés à disparaître », affirme-t-il sans ambages.
Carl Thibeault, vice-président principal, Services financiers (Distribution) chez IG Gestion de patrimoine, tient un propos semblable : « Je vois mal comment un conseiller qui n’est pas en équipe pourrait se distinguer et offrir la prestation [de Services] nécessaire. »
Le dirigeant compare le conseil financier à l’hôtellerie. « La différenciation jusqu’ici s’est faite sur les types de produits, les prix, les rendements, les frais. C’est vrai que ce sont des éléments importants, mais aujourd’hui, c’est comme dire qu’il y a un lit dans la Chambre d’hôtel que vous allez louer. Ça va de soi et normalement ce n’est pas le lit qui constitue le cœur de l’offre. »
Selon Carl Thibeault, la distinction de la prestation se fait désormais sur les Services ajoutés, qu’il s’agisse de planification fiscale, successorale ou financière, de courtage hypothécaire ou même de communications hors pair. Et une telle offre passe inévitablement par les équipes, d’après lui.
Même une équipe de deux partenaires reçoit tout juste sa bénédiction. En fait, l’absence d’équipe lui apparaît comme un risque majeur d’une pratique, car celle-ci pourrait s’interrompre net, sans transition vers une relève.
Éric Lauzon, vice-président, développement des affaires et recrutement à CI Gestion de patrimoine Assante, partage ce point de vue. « Le contexte de compétition et le besoin grandissant de Gestion de patrimoine font qu’une équipe multidisciplinaire est inévitable, dit-il. Une personne seule ne va pas servir des clients ayant des besoins plus complexes. »
Il ajoute : « À moins que cette personne ne s’arrange avec un portefeuille de seulement 25 millions de dollars. Si les besoins sont très simples, avec des clients T-4, comme je les appelle – sans reçus d’impôt complexes, ayant une faible épargne – on peut s’en tirer seul. » À juste titre, il soulève le spectre des robots-conseillers qui menace ce modèle de base et « où il y a le plus de croissance en ce moment ».
Résistance aux équipes
Or, 25 % des conseillers en placement du secteur du courtage de plein exercice et plus de 50 % des conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires travaillaient encore en solo en 2024, selon les Pointages des courtiers québécois et multidisciplinaires.
Parmi ces conseillers solos, plus de 70 % n’avaient pas l’intention de former ou rejoindre une équipe de conseillers au cours de l’année suivante.
Surtout du côté des conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires, plusieurs apparaissent comme des irréductibles de la prestation solitaire. « Je ne fonctionne pas si bien en équipe », dit un conseiller de ce secteur, exprimant l’avis d’un segment de conseillers.
On trouve de multiples résistances au regroupement. Par exemple, la crainte des conflits de personnalités qu’exprime ce représentant du secteur du plein exercice : « Les équipes sont un défi à cause des personnalités. Elles semblent souvent avoir des conflits à cause des valeurs que chacun apporte à l’équipe. »
Certains jugent qu’une équipe ne cadre pas avec leur modèle d’affaires, dont un conseiller qui se satisfait de peu de clients et d’actif. Une portion de conseillers juge que trouver un partenaire est difficile ou affirme que leurs recherches ont été vaines.
Figurent au nombre des défis la distance géographique entre partenaires potentiels, leur compatibilité ainsi que les obstacles réglementaires qui compliquent le fait qu’un représentant en épargne collective se joigne à un conseiller de plein exercice, tel qu’évoqué lors d’autres articles sur les équipes publiés en 2024 dans Finance et Investissement.
Étonnamment, une objection parfois observée est l’arrivée imminente de la retraite du conseiller lui-même. « Je m’en vais plutôt vers une retraite prochaine », dit l’un d’eux. « C’est la pire excuse ! s’exclame Jean Morissette. De toute façon, il va être appelé à faire une transition ! »
David Lemieux, vice-président et directeur général à Valeurs mobilières Desjardins, ne manifeste pas d’opposition au conseiller solo et se fait conciliant face à ceux qui soulèvent l’obstacle de la retraite. « Pas besoin d’une équipe pour faire la passation d’une clientèle », affirme-t-il.
Il reconnaît néanmoins que « l’équipe assure une continuité. Quand elle est bien gérée avec différentes générations, les clients voient bien que les choses vont avoir une suite. L’adjonction d’un débutant permet le rachat du bloc d’affaires et favorise la poursuite des Services. C’est sécurisant pour la clientèle et pour la valeur intrinsèque des portefeuilles puisqu’il est davantage probable que les clients restent au moment où le conseiller chevronné quitte ».
Penser « collaboration »
Par contre, l’équipe dans sa structure formelle est loin d’être essentielle, s’il faut en croire le témoignage de Frédéric Gariépy-Ladouceur, président de Croissance Capital. Dans son cabinet, qui regroupe une cinquantaine de conseillers, seulement une demi-douzaine font équipe. Plutôt que l’équipe, il préfère privilégier la collaboration. « Les jeunes d’aujourd’hui s’adonnent beaucoup au partage et à la mise en commun, et vont mettre l’accent plutôt sur les partenariats informels. »
Frédéric Gariépy-Ladouceur reconnaît volontiers les défis qui se dressent sur la voie du conseiller solo, notamment la réglementation plus lourde et la cybersécurité. « Ça peut requérir plus d’efforts et plus d’entraide, admet-il, mais je ne vois pas la mort du conseiller solo. » Ainsi, au lieu d’avoir différents
professionnels permanents au sein d’une équipe, un conseiller solo va miser sur un réseau de collaboration dans lequel il fera appel à divers spécialistes au gré des besoins des clients.
« Il faut faire le découplage du légal et du collaboratif », affirme Maxime Gauthier, directeur général et chef de la conformité chez Mérici Services financiers. Il reconnaît toutefois qu’au réseau de collaborateurs peut manquer l’efficacité d’une équipe pleinement intégrée. « Dans l’informel, on n’est pas toujours dans l’efficacité et dans la systématisation, constate-t-il. Il y a les impératifs de réglementation et la protection des renseignements qui rendent la réalisation de mandats plus difficile. Il y a des complexités qui font que pour les dossiers de base, l’équipe va être plus efficace. Mais pour tous les travaux en périphérie, les collaborations sont plus indiquées. »