Certains y voient un cadre de référence qui doit être révisé selon la situation du client, d’autres estiment que ce taux ne tient pas compte de tous les facteurs nécessaires à l’évaluation rigoureuse de la situation financière d’un individu.
La pandémie de COVID-19 et la crise économique et financière qui en a résulté ont obligé les gestionnaires et les conseillers à revoir la planification de la retraite de leurs clients. Ils veulent ainsi s’assurer que leurs besoins seront couverts et qu’ils n’ont pas souffert excessivement de la baisse de valeur des placements survenue il y a quelques mois. À cela s’ajoute le défi de veiller à ce que les clients respectent le plan établi et ne dépassent pas les montants de retrait convenus, ce qui peut s’avérer une tâche ardue pour les conseillers.
Le conseiller en placement Martin Bray, gestionnaire de portefeuille chez Valeurs mobilières Desjardins, a publié un article concernant «les principes de base qui doivent guider tant les épargnants sérieux que les personnes à la retraite».
«Si on respecte la règle de base d’avoir 50 % à 60 % de placements sécuritaires dans le portefeuille, la crise ne devrait pas avoir beaucoup affecté la capacité de retrait», explique-t-il en entrevue avec Finance et Investissement.
«L’autre facteur est que les gens décaissent plus qu’ils ne le devraient, poursuit-il. Généralement, on utilise un taux de retrait de 4 %, quoiqu’il soit nécessaire de faire une évaluation complète de la situation du client. Normalement, un retraité ne devrait pas retirer plus de 4 % à 5 % par année de son portefeuille.»
Selon lui, un retraité peut effectuer des retraits à partir de ses liquidités ou de ses obligations, qui ne seront pas touchées par la volatilité du marché des actions ou le seront moins.
«La vraie raison, en faisant des calculs pour chaque situation des clients, pour laquelle je juge la règle des 4 % à 5 % raisonnable est que ce pourcentage peut être généré par les revenus de placement tels que les dividendes et les intérêts, qui peuvent souvent représenter au moins 3 %. Ainsi, il suffit d’avoir seulement 1 % de liquidités disponibles provenant du portefeuille pour être capable de couvrir les besoins de l’année», déclare-t-il.
Martin Bray conseille aussi à tous ses clients d’avoir à leur disposition l’équivalent de cinq ans de dépenses. Cette somme devrait être investie dans des titres liquides ou facilement convertibles en liquidités, comme des titres à revenu fixe.
Daniel Laverdière, planificateur financier et directeur principal, centre d’expertise, Banque Nationale Gestion privée 1859, a quant à lui des réserves concernant à la fois la règle des 4 % et la réserve de liquidités.
«Il y a des personnes qui visent une liquidité de 3 %, par exemple, pour trois ans [souvent provenant de coupons], afin de financer leur train de vie, explique-t-il. Le problème avec cette approche est que, au bout des trois ans, les liquidités sont épuisées et il faut reconstruire le portefeuille afin de déterminer la source des revenus pour les années suivantes.»
L’ennui, c’est qu’on ajoute ici un risque de synchronisation du marché découlant du moment où on renfloue la réserve de liquidités, ce qui n’est pas optimal, de l’avis de Daniel Laverdière : «Une meilleure pratique est de construire un portefeuille selon la tolérance au risque du client et ses besoins sur le plan des retraits, et d’y intégrer un retrait périodique, un peu comme l’inverse de l’épargne systématique. Si on est à 40 % en actions et 60 % en revenu fixe et qu’on désire retirer 1 000 $, alors on retirera 400 $ des actions et 600 $ des revenus fixes, en continuant de rééquilibrer le portefeuille en fonction du profil de l’investisseur.»
Daniel Laverdière pense plutôt qu’il faut développer une projection spécifique à chaque client, et recommande d’utiliser les normes d’hypothèses de projection publiées chaque année par l’Institut québécois de planification financière, plutôt qu’une règle telle que celle des 4 %. Ces normes donnent aux conseillers une idée des rendements potentiels espérés par catégorie d’actif. Afin de s’assurer que les clients auront des retraits viables, ils peuvent aussi adopter une approche plus conservatrice, par exemple en soustrayant 100 points de base au rendement espéré de chaque catégorie d’actif, recommande Daniel Laverdière.
L’âge du client est également un guide important afin de déterminer le pourcentage de retrait annuel d’un portefeuille.
«Le meilleur exemple est quelqu’un de 90 ans à qui on recommande de retirer 4 % par année : il va en avoir pour 25 ans, note-t-il. De toute évidence, cette recommandation n’est pas optimale pour lui.»
La détermination d’un montant optimal à décaisser par an, selon lui, doit prendre en compte plusieurs facteurs, tels que l’âge du client, ses sources de revenus et ses rendements.
«Je préfère, plutôt que d’imposer un pourcentage de retrait, que la personne ait recours à un outil de calcul qui prend en compte tous les paramètres, dit-il. Il faut respecter une certaine cadence des retraits, mais imposer un pourcentage rigide peut être contreproductif.»
Les simulations doivent être personnalisées et mises à jour régulièrement afin de s’assurer qu’elles répondent aux besoins. Elles peuvent être faites par un professionnel ou par la personne elle-même en utilisant des outils tels que SimulRetraite, offert par Retraite Québec. «Cet outil prend d’ailleurs en compte l’inflation future afin de déterminer les besoins une fois à la retraite de façon plus exacte», souligne-t-il.
Selon Daniel Laverdière, la pandémie a aidé à prendre conscience que la tolérance au risque de nombreux clients n’était plus adéquate.
«La pandémie a causé une grosse chute dans les marchés boursiers, et ceux qui étaient plus conservateurs ont moins subi le choc. Ce choc-là nous a servi à réévaluer la tolérance au risque des clients», commente le planificateur financier.
Martin Bray pense, quant à lui, qu’une allocation en titres à revenu fixe devrait permettre de traverser toute crise. «Les gens se sont emportés en ayant plus d’actions dans leur portefeuille parce que c’était plus payant. Avec le choc, ils voient leur portefeuille baisser. Mais avec une part du portefeuille d’un client investie en obligations et en revenu fixe, le choc ne devrait pas trop l’affecter.»
L’art de bien exécuter un plan
L’élaboration d’un plan de retraite est nécessaire pour chaque client. Cependant, le rôle du conseiller ne s’arrête pas là. Il faut suivre l’évolution des dépenses du client afin de s’assurer que les fonds seront suffisants pour toute la durée de la retraite. Cette tâche peut s’avérer difficile, et les conversations avec le client doivent moins s’inspirer d’un rappel à l’ordre que d’une sensibilisation à la situation générale.
«Une fois le montant des retraits établi, il peut arriver que le client dépense plus pendant une année et moins pendant une autre, note Daniel Laverdière. C’est pourquoi il faut faire des révisions chaque année, ou au moins tous les deux ans. Des fois, les rendements compenseront les dépenses excédentaires, mais si les rendements ont été moins bons et que, en plus, le client a dépensé de façon excessive, il est important de lui illustrer la trajectoire de ses retraits, afin qu’il comprenne à quel moment ses fonds s’épuiseront s’il maintient ce rythme-là.»
Pour Martin Bray, il est nécessaire de bien représenter l’impact de retraits excessifs au client, en utilisant par exemple l’âge où les fonds pourraient s’épuiser. Cela permet, selon lui, de faire prendre conscience au client de l’importance de respecter le plan établi afin de ne pas tomber dans une situation précaire.