Ainsi, le 23 octobre, Luc Papineau a annoncé son «départ à la retraite» dans une communication interne, confirme le Mouvement Desjardins. La nouvelle a surpris bon nombre de conseillers et membres de l’organisation, selon une source de l’industrie financière.
Apprécié par ses collègues et respecté par les conseillers, Luc Papineau était un «super ambassadeur pour VMD», d’après une deuxième source. «C’est malheureux de perdre un talent comme cela. Luc avait beaucoup d’expérience dans l’industrie», ajoute-t-elle. Selon une troisième source, il était aussi un excellent patron.
Son départ définitif de la direction de VMD se ferait toutefois «d’ici quelques mois», nous a-t-on dit, et ce, dans le but de faciliter le transfert de ses responsabilités à Marjorie Minet, qui lui succédera.
«Je vous confirme la nomination de Marjorie Minet à titre de vice-présidente Service-conseil en Gestion de patrimoine», écrit Chantal Corbeil, porte-parole, relations publiques, au Mouvement Desjardins, dans un courriel. Marjorie Minet y était jusqu’à récemment directrice principale, administration des affaires, courtage et gestion privée.
«Marjorie Minet sait ce qu’elle fait. Elle va faire une bonne vice-présidente de VMD», dit une source de l’industrie. «Marjorie Minet est appréciée. Elle fait une bonne job. Peut-être que cette situation va passer et que, dans un an, on n’en parlera plus», indique Marc Jobin, ancien vice-président, courtage de plein exercice, de VMD et aujourd’hui retraité.
La période de transfert des responsabilités devrait aider Marjorie Minet, car «l’ambiance n’est pas bonne» chez VMD, dit cette source. «Comme elle est organisée, je ne suis pas inquiète pour elle [Marjorie Minet]», poursuit-elle. «C’est une personne de très grande qualité», déclare une autre source.
Finance et Investissement a tenté en vain d’interviewer Marjorie Minet, Éric Lachaîne, premier vice-président, Réseau des caisses et Services aux membres et clients, du Mouvement Desjardins, et Guy Cormier, chef de la direction et président du conseil d’administration de l’institution financière.
Chez Desjardins, on explique que ceux-ci ne sont pas prêts à parler de leur plan d’action pour VMD. «Il est prématuré d’accorder une entrevue au sujet de la réorganisation, que ce soit avec Éric Lachaîne ou Marjorie Minet. Dans quelques mois, probablement que Mme Minet pourra vous expliquer sa vision et comment elle a mis en place sa stratégie», a indiqué Chantal Corbeil dans un courriel.
D’«ennemi» à «grand patron»
Cette ambiance difficile découle notamment d’une restructuration qui perdure au Mouvement Desjardins et qui touche VMD, entre autres. En avril 2018, Vincent Hogue a quitté son poste de premier vice-président et chef des services aux particuliers de Desjardins Gestion de patrimoine. Luc Papineau l’a remplacé dans une partie de ses fonctions.
Au début de 2019, Éric Lachaîne surprenait les conseillers en annonçant une forte baisse des recommandations à VMD en provenance du réseau qu’il dirige.
À ce moment, une source de l’industrie prévoyait que le Mouvement Desjardins se dirigerait, comme d’autres institutions financières, vers la mise en place de services financiers offerts par des conseillers salariés. Les marges bénéficiaires de tels services seraient peut-être plus élevées que celles des divisions de courtage de plein exercice. Or, cette soi-disant rentabilité supérieure reste à démontrer (lire «En quête d’un meilleur modèle avec le SSD», ci-contre).
En 2016, VMD avait accru la rémunération de recommandation qu’elle remet aux caisses, car celles-ci s’en seraient plaintes. En conséquence, la rémunération des conseillers en placement de VMD a été réduite.
«Le niveau de référencement qu’il y avait chez VMD était beaucoup plus élevé que dans d’autres grandes banques canadiennes. Ce qui est en train d’être fait, c’est de rétablir l’équilibre et de s’assurer que les services de gestion privée, le Service Signature et le courtage aient chacun leur juste part. Il y avait peut-être un déséquilibre dans le passé. Il y a un réajustement qui est fait. C’est comme n’importe quel changement, ça crée peut-être un peu de remous», expliquait Luc Papineau, en mars dernier, à Finance et Investissement.
Cette annonce avait provoqué de l’incertitude, selon les commentaires recueillis anonymement auprès des conseillers en placement interrogés dans le cadre du Top 8 des courtiers québécois de 2019. «Il y a une culture de changement en ce moment. On ne sait pas où on s’en va. Il y a de l’inquiétude», révélait un conseiller.
Certains conseillers soutenaient alors que les relations avec le réseau des caisses étaient conflictuelles. «On est en train d’adopter la culture de Desjardins. On n’a plus notre âme chez Valeurs mobilières Desjardins», disait un conseiller. «Il y a du changement et la direction n’a pas d’intérêt à développer activement VMD. Nos pires compétiteurs sont à l’intérieur de la firme, ce qui rend notre travail délicat», affirmait un autre.
Éric Lachaîne était alors «un peu perçu comme un ennemi» des conseillers en placement, d’après une source.
Marc Jobin explique ainsi l’inquiétude des conseillers : «Si tu te fais dire que la croissance de tes affaires par recommandation va diminuer ou qu’il n’y en aura plus, cela crée de l’incertitude. Il faut alors penser différemment et faire grossir ta business de manière plus traditionnelle.» Les nouvelles directives relatives aux recommandations rendent incertaine la valeur des blocs d’affaires des conseillers, lesquels équivalent à leur régime de retraite, ajoute-t-il.
La restructuration s’est poursuivie. À la fin de septembre, Gregory Chrispin, qui assumait le rôle de premier vice-président Gestion de patrimoine et Assurance de personnes du Mouvement Desjardins depuis plus de trois ans, a quitté ses fonctions. Denis Dubois lui a succédé. Ce dernier est aussi désormais président et chef de l’exploitation, Desjardins Sécurité financière. À la fin d’octobre, c’était au tour de Luc Papineau de «partir à la retraite».
Selon une source, Éric Lachaîne serait devenu le premier vice-président qui gère maintenant VMD. Il n’a pas été possible de discuter de cette situation avec la porte-parole Chantal Corbeil.
L’une des craintes des conseillers découlerait justement du fait de tomber sous la gouverne d’un premier vice-président «qui connaît plus ou moins le domaine», indique Yves Néron, ancien haut dirigeant de VMD et aujourd’hui consultant.
Le Service Signature prend du galon
«C’est clairement le Service Signature Desjardins qui prend du galon», affirme une source. Le Service Signature Desjardins (SSD) vise les clients qui ont des actifs de 250 000 $ ou plus à investir ; il leur offre une panoplie de services financiers, allant des valeurs mobilières à l’assurance de personnes en passant par les prêts hypothécaires.
Le SSD permet aux directeurs des caisses de conserver certains clients qu’ils auraient recommandés à VMD à une autre époque, selon une source. Beaucoup de conseillers de VMD ont bénéficié de ces recommandations au fil des ans, si bien que bon nombre auraient dans leur bloc d’affaires une part importante de clients codés comme «recommandés». De plus, dans certaines régions, l’omniprésence de Desjardins aurait comme résultat que la majorité des clients de VMD sont recommandés.
Chez Desjardins, une personne ne cesse jamais d’être cliente du réseau des caisses lorsqu’elle est recommandée, contrairement à ce qu’on voit chez d’autres courtiers de plein exercice détenus par des banques. Cette liaison perpétuelle a créé au fil du temps des tensions entre le réseau des caisses et celui des conseillers de VMD.
«Les conseillers n’ont pas besoin d’inquiétudes comme celles-là. Ils doivent se soucier des clients, des mouvements des marchés financiers. Il ne faut pas qu’ils perdent le focus sur ce qui se passe parce qu’il y a trop de politique», affirme une source.
Le SSD rachèterait des blocs d’affaires
Selon deux sources, le SSD serait prêt à racheter les blocs d’affaires de certains conseillers en placement afin qu’ils deviennent des salariés, employés des caisses. «C’est un gros changement. Plusieurs conseillers vont accepter cette offre, parce qu’ils n’ont pas d’autre choix», dit une source.
Les conseillers ayant les blocs d’affaires les moins importants ou les représentants dont le bloc d’affaires n’intéresse pas leurs pairs pourraient s’en tirer à bon compte, selon cette source. D’autres conseillers ayant des blocs d’affaires plus importants seraient frustrés par cette situation, poursuit-elle.
Une chose semble certaine : les concurrents de VMD risquent d’accentuer leurs activités de maraudage compte tenu de la turbulence des derniers mois. Dans l’industrie du courtage de plein exercice, il est commun qu’un conseiller ayant un gros bloc d’affaires soit courtisé par des concurrents qui souhaitent croître par l’acquisition de nouveaux talents.