Voilà ce qui ressort d’un atelier intitulé «Les risques de conflits d’intérêts liés aux régimes d’incitatifs : est-il possible de les gérer et de les mitiger ?», présenté à l’occasion du 12e Rendez-vous de l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui se déroulait le 14 novembre dernier.

D’abord, plusieurs panélistes l’ont affirmé : aucune forme de rémunération n’est exempte de conflits d’intérêts.

«On sait qu’on n’évitera jamais tous les risques de conflits d’intérêts. C’est probablement une mission impossible, mais il faut qu’on s’assure de disposer des moyens adéquats pour les réduire», a déclaré Louise Gauthier, directrice principale des politiques d’encadrement de la distribution à l’AMF.

Les régulateurs visent à s’assurer de gérer les risques de conflits d’intérêts chez les manufacturiers, les cabinets et les représentants afin de donner la marge de manoeuvre nécessaire au représentant pour qu’il agisse toujours au mieux des intérêts du client, a-t-elle expliqué : «Il s’agit d’avoir en place les mécanismes de surveillance adéquats pour réprimander les comportements non souhaitables.»

«Toute forme de rémunération et d’incitatif va incorporer un conflit d’intérêts. L’objectif d’éliminer le conflit n’est pas atteignable. Pour cela, il faudrait carrément éliminer la transaction, donc il n’y aurait plus de marché. Mais la bonne nouvelle est que nous pouvons encadrer le conflit de manière efficace», a indiqué quant à lui Kia Rassekh, directeur régional, Québec au Conseil des fonds d’investissement du Québec.

Selon lui, cet encadrement se fait «à travers les différents règlements», dont le règlement 31-103. La surveillance des activités des représentants par les services de conformité des courtiers, la formation continue des représentants, le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, la supervision du courtier par le régulateur ainsi que la transparence offerte au client par l’intermédiaire de différents documents et relevés sont toutes des mesures de gestion des conflits d’intérêts.

L’objectif visé ne doit pas être une absence de conflit, mais la détection des problèmes et la gestion des conflits, a souligné Lyne Duhaime, présidente d’ACCAP-Québec et vice-présidente principale Distribution à l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

«L’intérêt du consommateur doit avoir préséance sur une rémunération liée à une vente. L’éducation et la formation des conseillers ainsi que la transparence, donc la divulgation, peuvent contribuer à des résultats équitables pour les clients. Des conseillers compétents et formés suivant des pratiques de vente basées sur les besoins des clients et fournissant des informations significatives conduisent à des résultats équitables et aident à réduire au minimum les risques de conflits d’intérêts», dit-elle

La gestion des conflits d’intérêts repose donc sur une série de mesures, dont la surveillance des acteurs de l’industrie tout comme la mise en place de mesures de détection, ajoute Lyne Duhaime.

«Lorsqu’on cherche des solutions pour gérer les conflits d’intérêts, il ne faut pas perdre de vue que le consommateur est vulnérable», a indiqué Annik Bélanger-Krams, avocate chez Option consommateurs. Selon elle, l’intervention du régulateur est primordiale et celle des manufacturiers et des représentants est importante aussi.

Pas une baguette magique

Lyne Duhaime et Kia Rassekh ont vanté plusieurs mérites de la transparence. Toutefois, aucun panéliste n’a estimé qu’il s’agit d’une solution à toute épreuve, car si un client ne comprend pas l’information qu’on lui divulgue, on n’est pas plus avancé.

«C’est important d’avoir la bonne stratégie de communication. On a beau être aussi transparent qu’on le veut, si le public ne comprend pas le message, la manière dont il est communiqué, eh bien, tous les beaux efforts de transparence ne servent à rien», a indiqué Annik Bélanger-Krams. Elle note par exemple que, selon un sondage mené par Option consommateurs, 15 % des répondants donnaient à tort au mot «prime» le sens de boni ou cadeau.

Selon elle, la communication doit être adaptée selon le client cible, en tenant compte de son niveau de vulnérabilité, et être transmise dans un langage facile à comprendre. «Si la personne est vulnérable, nos obligations doivent augmenter», dit-elle. L’avocate souligne par ailleurs que le consommateur devrait, selon différentes lignes directrices de traitement équitable de celui-ci, connaître la façon dont le représentant est rémunéré et le montant de sa rémunération.

Il faut toutefois faire attention de ne pas noyer le poisson et divulguer trop d’information, ont prévenu Kia Rassekh et Lyne Duhaime. «Attention à ce qu’une surréglementation mène à des documents beaucoup trop complexes pour le consommateur», a dit cette dernière.

Notons par ailleurs que la divulgation au client des conflits d’intérêts eux-mêmes peut amener son lot d’effets pervers.

«La transparence n’est pas une solution suffisante en soi. Le conflit lié à un régime d’incitatifs ne doit pas juste être divulgué dans un rapport, mais c’est un départ. Une discussion doit avoir lieu. Il y a des règles actuelles, mais elles peuvent être améliorées», a indiqué Louise Gauthier en marge de la conférence. C’est pourquoi les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) travaillent actuellement à rehausser les exigences du règlement 31-103. Une nouvelle consultation doit être rendue publique par les ACVM dans le premier semestre de 2018.

Durant le panel, Kia Rassekh a souligné que, selon une étude Pollara menée pour l’Institut des fonds d’investissement du Canada, 86 % des investisseurs disent que le nouveau rapport sur les taux de rendement est clair. Toutefois, «seulement 50 % disent que les informations concernant les frais sont claires. C’est un autre signe évident qu’il y a des améliorations à apporter», a-t-il dit.

«Il y a des signes que la transparence marche. Ce n’est pas la baguette magique qui va régler tous les problèmes. C’est une mesure efficace pour réduire les conflits d’intérêts, mais nous avons du travail à faire par rapport à la sensibilisation du public et, comme les sondages le démontrent, à l’amélioration de la clarté des rapports [découlant de la phase deux du Modèle de relation client-conseiller]», a affirmé Kia Rassekh.

Louise Gauthier a ajouté que les régulateurs ont aussi une responsabilité, tout comme en ont le consommateur, l’industrie, les manufacturiers et les intermédiaires. «Les consommateurs mieux éduqués vont prendre des décisions plus éclairées», a-t-elle dit.

«Peu importe les initiatives de littératie qui vont être prises, ça n’enlève pas le fait qu’il faut un encadrement adéquat. Et la responsabilisation des manufacturiers, des intermédiaires [et des régulateurs] est beaucoup plus importante. Le consommateur est vulnérable. On ne peut pas lui mettre ce fardeau et le placer à égalité avec les autres parties. La plupart des consommateurs n’ont pas les connaissances pour comparer les produits», a dit Annik Bélanger-Krams. La responsabilité de gérer les conflits d’intérêts n’incombe donc pas au client, selon elle.

«Nous croyons que l’intervention du régulateur et l’encadrement doivent toujours être privilégiés. L’industrie doit être encadrée adéquatement. L’encadrement des manufacturiers est primordial. Il ne faut pas oublier l’importance de l’encadrement individuel du représentant ni celle d’un code de déontologie. Cela représente le strict minimum», a-t-elle ajouté.