Produire et consommer du cannabis, c’est désormais légal au Canada. De là à considérer l’investissement dans les entreprises du secteur comme responsable, il y a un fossé que beaucoup n’osent pas franchir.
À la Financière des professionnels, la décision est claire et sans appel : l’investissement dans l’industrie du cannabis est totalement exclu, sauf, bien sûr, si un client le demande expressément. Forte de 10 000 clients principalement dans le domaine médical et paramédical (médecins, dentistes, pharmaciens, etc.) et d’un conseil d’administration mené par la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la Financière des professionnels a senti tout de suite que ses membres n’étaient pas partants pour investir dans l’industrie du cannabis.
«La décision du conseil d’administration de l’exclusion générale est due aux conséquences du cannabis sur la santé physique et mentale, explique François Landry, premier vice-président et chef des placements de la Financière des professionnels. Les psychologues parmi nos clients étaient particulièrement opposés à l’investissement dans l’industrie du cannabis, car ils connaissent les effets comme la dépression, les psychoses, etc., causées par la consommation de cannabis. Un consensus existe aussi pour dire que la consommation a un effet négatif sur le développement cérébral des jeunes.»
La légalisation du cannabis a posé beaucoup de cas de conscience aux firmes de placement. Elles sont encore nombreuses à ne pas avoir tranché la question. Placements NEI, pour sa part, a publié un rapport qui peut guider la réflexion. Sa conclusion, pourtant, «n’est pas tranchée, avance Daniel Solomon, vice-président principal et chef des placements de Placements NEI. Après la parution de notre étude, il faudrait maintenant procéder à une analyse entreprise par entreprise. Certaines seraient sûrement admises.»
Pour déterminer si un investissement peut être considéré comme responsable, il faut qu’il passe au crible des critères ESG. C’est au regard du critère social bien sûr que le bât blesse le plus : les conséquences sur l’organisme humain de la consommation de cannabis en font un produit considéré comme dangereux par de nombreuses études.
«C’est un produit légal, mais, au même titre que le tabac et l’alcool, il a des effets négatifs. On sait qu’il peut être un déclencheur de psychoses», affirme Roger Beauchemin, président et chef de la direction d’Addenda Capital, qui a écarté les investissements dans les industries de l’alcool, du tabac et du cannabis, même si la firme se refuse à toute élimination définitive.
L’étude de Placements NEI soulève aussi la question de la sécurité des produits fabriqués par l’industrie : «Les risques sociaux les plus importants pour les producteurs de cannabis concernent la sécurité du produit, et donc le contrôle de la qualité.»
Un mauvais bilan environnemental
Dans son rapport, Placements NEI observe aussi que «la majeure partie des plants de cannabis sont cultivés à l’intérieur (sans lumière naturelle) ou dans des serres. Les deux méthodes sont particulièrement énergivores, contribuant ainsi aux émissions de carbone, et consommatrices d’eau, posant ainsi des risques environnementaux et sociaux.»
Sur le plan de la gouvernance, des enjeux existent aussi. «Les sociétés actives dans le domaine actuellement sont en émergence, donc c’est rare que leurs conseils d’administration respectent les règles : ils sont souvent peu diversifiés, le PDG occupe souvent plusieurs rôles, les administrateurs externes sont rares, les structures organisationnelles sont encore immatures, etc.», énumère François Landry.
Placements NEI voit aussi là un enjeu important : «Les conseils d’administration des sociétés de cannabis doivent […] briller par leur indépendance et par les compétences de leurs membres, afin d’assumer leurs responsabilités auprès des parties prenantes, notamment les investisseurs.»
Cependant, Placements NEI ne prône pas l’exclusion des investissements dans l’industrie du cannabis, car la firme estime que «les producteurs de cannabis récréatif et médical seront en mesure d’assumer la responsabilité que leurs produits nécessitent, sous réserve de mettre en oeuvre des systèmes de gestion du risque qui réduisent au maximum les incidences environnementales et sociales et de garantir une sécurité maximale sur un marché pour lequel [ils] disposent du contrat social et réglementaire nécessaire à l’exploitation de leurs activités».
Une question de valeurs
Même le cannabis thérapeutique n’a pas toujours grâce aux yeux des investisseurs. D’abord, «c’est difficile de dissocier cannabis thérapeutique et récréatif dans les titres», constate François Landry. Ensuite, «on n’a aucune référence pour recommander le cannabis même comme traitement de la douleur», estime Roger Beauchemin.
Au final, «la question est surtout liée à des valeurs personnelles», note Milla Craig, fondatrice et présidente de Millani. Elle rappelle que, même dans le domaine de l’investissement responsable, le premier critère pris en compte pour évaluer un investissement reste la performance financière.
«Le principe est de choisir les investissements qui promettent le meilleur rendement en prenant en compte les facteurs ESG, dit-elle. Certains pensent qu’au regard de ces critères, l’investissement dans l’industrie du cannabis est trop risqué. Pour le reste, on rentre dans le domaine des valeurs personnelles.»
Or, sur le plan de la performance financière, les voyants ne sont pas tous au vert non plus. L’industrie étant jeune, les acteurs ne sont pas tous connus et les premiers résultats sont en dents de scie, rappelle François Landry.