L’investissement durable, comme toute autre tendance d’investissement de détail en vogue, est vulnérable au battage médiatique. Les régulateurs redoublent désormais d’efforts pour s’assurer que les investisseurs obtiennent bien ce qu’on leur promet quant aux investissements soucieux des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Lorsque l’investissement éthique était une activité marginale, les régulateurs n’avaient pas à s’inquiéter outre mesure de ce que contenaient les fonds d’investissement qui promettaient des placements écologiques ou socialement responsables. Les entreprises impliquées dans ce domaine croyaient pour la plupart en l’investissement responsable (IR), et les actifs en jeu étaient relativement modestes.
Cependant, à mesure que l’investissement ESG se généralise, il fait de plus en plus l’objet de matraquage publicitaire destiné à stimuler les ventes plutôt qu’à répondre aux besoins des investisseurs.
Ce danger n’a pas échappé à l’attention des régulateurs. Ces dernières semaines, les membres des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) – dont la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique – ont examiné les activités ESG des gestionnaires de fonds pour s’assurer que leurs déclarations marketing correspondaient à ce qui se trouvait dans leurs portefeuilles.
«Les ACVM effectuent actuellement un balayage des pratiques de marketing des personnes inscrites afin de surveiller leur conformité aux lois sur les valeurs mobilières, résume Ilana Kelemen, conseillère principale, communications et relations avec les intervenants, aux ACVM. Nous avons davantage ciblé la portée de notre examen des gestionnaires de fonds d’investissement [pour nous concentrer] sur les documents de marketing des produits et services ESG.»
Les résultats des examens des ACVM sont attendus d’ici la fin du troisième trimestre, affirme Ilana Kelemen.
Des préoccupations similaires concernant les activités ESG des gestionnaires de portefeuille et des conseillers en placement ont motivé de récents travaux de conformité de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis. Ce régulateur a découvert une variété de problèmes, y compris des communications «potentiellement trompeuses»de la part des entreprises aux investisseurs concernant les processus d’investissement ESG et leur adhésion aux pratiques ESG mondiales.
La SEC a également découvert que des entreprises avaient adopté des approches inadéquates ou incohérentes pour mettre en oeuvre des filtres de portefeuille positifs et négatifs, que les votes par procuration s’écartaient des pratiques déclarées, que des entreprises faisaient des déclarations de performance sans fondement ou trompeuses, ou que leurs contrôles internes et leurs programmes de conformité étaient insuffisants pour respecter les normes ESG mondiales qu’elles prétendaient suivre.
La SEC a également constaté que les portefeuilles de certains fonds étaient fortement peuplés d’entreprises ayant obtenu de mauvaises notes ESG, alors qu’elles avaient promis le contraire aux investisseurs.
Le temps nous dira si les ACVM découvrent des problèmes similaires lors de leurs examens de conformité, mais les organismes de réglementation du monde entier accordent une plus grande attention à la protection des investisseurs sur le marché croissant de l’investissement durable.
L’année dernière, à la suite d’un examen du secteur de la finance durable, l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) a mis sur pied un groupe de travail chargé de répondre aux nouvelles préoccupations des organismes de réglementation en matière de protection des investisseurs dans l’espace ESG. Il s’agit notamment de l’insuffisance de l’information fournie par les émetteurs et les sociétés de gestion d’actifs, et de ce que l’on appelle l’«écoblanchiment», soit le fait de faire des déclarations exagérées ou inexactes sur les références ESG des stratégies d’investissement.
Veiller à ce que les entreprises fournissent aux investisseurs des informations exactes est une priorité réglementaire traditionnelle. Dans le domaine de l’investissement durable, cependant, le défide garantir la véracité de la publicité est aggravé par l’absence de normes claires et universelles.
Jusqu’à présent, l’élaboration d’une information ESG plus utile s’est concentrée sur les émetteurs –encourageant les entreprises à être franches avec les investisseurs et à fournir des détails sur les risques auxquels elles sont confrontées et les occasions qu’elles voient dans les tendances de durabilité, comme le passage à une économie à faible émission de carbone. Cependant, les régulateurs s’intéressent de plus en plus aux déclarations que les sociétés de gestion d’actifs et les conseillers font aux investisseurs sur leurs activités ESG.
Le groupe de travail de l’OICV devrait publier un rapport sur la communication des émetteurs d’ici la fin du mois de juin et prévoit de publier des rapports sur la communication des sociétés de gestion d’actifs (y compris l’écoblanchiment), les notations ESG et les fournisseurs de données d’ici la fin de 2021.
Dans l’intervalle, certains régulateurs affichent des exigences en matière de rapports spécifiquement axés sur la durabilité. Des règles entrées en vigueur le 10 mars dans l’Union européenne (UE) obligent les gestionnaires de portefeuille à classer leurs fonds dans l’une des trois catégories en fonction du contenu de la durabilité.
Selon une étude de Morningstar, les premiers efforts de classification de l’UE ont révélé qu’environ 25% de l’ensemble du marché européen des fonds peut être considéré comme ayant une composante de durabilité selon les nouvelles normes. Morningstar a déclaré que ses chercheurs prévoient que ces 25 % augmenteront «au fur et à mesure que les gestionnaires améliorent les stratégies, reclassent les fonds et en lancent de nouveaux [pour répondre aux nouvelles normes de classification]».
À l’avenir, l’intérêt émergent pour l’écoblanchiment et d’autres préoccupations de protection des investisseurs axées sur les facteurs ESG pourraient avoir des répercussions sur les courtiers en valeurs mobilières. Mais à ce jour, l’écoblanchiment pour ce qui est des investisseurs de détail n’a pas été une grande préoccupation pour l’Association canadienne des courtiers en fonds mutuels, déclare Karen McGuinness, première vice-présidente, réglementation des membres, conformité.
«Nous n’avons pas vraiment de problèmes [avec les conseillers qui répondent aux critères ESG des clients individuels] dans le secteur du marché de détail de masse, explique-t-elle. Nous sommes confrontés à des situations où des clients ont demandé à ne pas investir dans un secteur particulier ou à investir dans des fonds ESG particuliers, mais c’est peu fréquent.»
L’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) prévoit que les préférences ESG des clients constituent un facteur d’adéquation potentiel, au même titre que la tolérance au risque et d’autres informations essentielles.
«Comme le paysage canadien de l’investissement est en train de se transformer, l’ESG peut être un élément pertinent des conseils, a déclaré l’OCRCVM. Ce sont des conversations importantes que les conseillers devraient [être], et sont, en train d’avoir avec leurs clients.»
Malgré les préoccupations croissantes des régulateurs en matière de protection des investisseurs concernant l’investissement durable, l’offre et la demande dans ce domaine ne font qu’augmenter – en particulier dans le sillage de la pandémie de COVID-19.
Selon les données de la société de recherche, l’activité mondiale de financement durable a atteint des niveaux records en 2020, tant en ce qui concerne les émissions d’actions que celles de titres de créance. Cette dynamique n’a fait que se renforcer cette année, atteignant des niveaux records au premier trimestre, les pays donnant la priorité aux investissements dans les infrastructures durables comme catalyseur clé d’une reprise économique post-pandémie.
Dans le même temps, la recherche de rendements supérieurs et la sensibilisation croissante aux risques ESG devraient contribuer à stimuler la demande des investisseurs en investissements durables. L’investissement ESG n’étant plus un intérêt de niche, le secteur de l’investissement traditionnel peut s’attendre à ce que la surveillance des régulateurs continue de s’intensifier.