Divers groupes, dont Option consommateurs et la Chambre de la sécurité financière (CSF), estiment qu’il permet à n’importe qui d’en offrir. C’est tout le contraire de la lecture qu’en font le Mouvement Desjardins et l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), qui jugent que le conseil sera réservé aux représentants certifiés.Les consultations sur ce projet de loi devant la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale du Québec ont été le théâtre de ce choc d’interprétations. Le mémoire de la CSF souligne que le projet de loi 141 abolit l’intervention exclusive d’un conseiller certifié pour le conseil en assurance : «N’importe qui pourra dorénavant offrir et donner des conseils et des services en assurance, notamment dans le cadre de l’offre de produit d’assurance par Internet.»
Selon l’organisme d’autoréglementation, une personne non certifiée pourrait notamment, sans aucune exigence de formation ni de compétence, recueillir les renseignements d’un client nécessaires à l’analyse de ses besoins ; analyser ses besoins d’assurance ; lui expliquer les produits d’assurance qu’il détient déjà et l’aviser sur leur convenance ; et conseiller le client sur le type de produit d’assurance qu’il devrait souscrire.
«Le seul acte qu’une personne ne pourra plus poser en assurance sans être certifiée sera d’offrir elle-même le produit d’assurance au client, précise la CSF dans son mémoire. Cela constitue un recul majeur pour la protection du public dans le domaine de l’assurance, alors qu’en épargne collective et en valeurs mobilières, l’activité de conseil continuera pourtant d’être réservée à des conseillers certifiés.»
Une note rédigée par un cabinet d’avocats, dont Finance et Investissement a obtenu copie, confirme que le projet de loi 141 ne modifie pas l’exclusivité des activités de conseil en valeurs mobilières par un représentant certifié, laquelle prévaut selon l’état actuel du droit et de la jurisprudence.
La CSF est d’autant plus inquiète qu’un client victime d’une malversation ou d’un acte frauduleux commis par une personne non certifiée qui n’agit pas pour un cabinet ne pourrait pas bénéficier de la protection du Fonds d’indemnisation des services financiers, puisque les actes de ces personnes ne seraient pas couverts.
Option consommateurs estime aussi que le projet de loi 141 permet à des personnes qui n’ont pas les compétences nécessaires d’exercer des actes qui sont actuellement réservés à des professionnels certifiés : «L’on semble ouvrir la porte à ce que le consommateur puisse parler à un simple vendeur. Cela pose problème pour la protection des consommateurs, d’autant plus que ceux-ci pourraient ne pas savoir qu’ils parlent à une personne qui n’est pas qualifiée.»
Devant la Commission des finances publiques, Guy Cormier, président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, semblait irrité par ce débat ainsi que par les publicités de la CSF. Dans celles-ci, l’organisme affirme que «Pierre, Jean, Jacques pourront donc prodiguer des conseils sans en avoir ni la formation ni la certification».
«S’il y a des besoins de clarification sur des articles de loi pour régler ce supposé enjeu-là, réglez-les, monsieur le ministre, et mettez-les dans le projet de loi le plus rapidement possible pour qu’on arrête de parler de ça le plus rapidement possible», a-t-il dit lors de son passage devant la Commission, interpellant ainsi le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão.
«Je fais abstraction des enjeux techniques, comme une personne qui a des problèmes avec sa tablette, a aussi soutenu Guy Cormier devant la Commission. Si quelqu’un parle au téléphone avec Desjardins, et ça devrait être de même partout dans l’industrie, la personne devrait être certifiée. S’il y a des dispositions dans le projet de loi qui ne sont pas claires, rendez-les plus claires. Pour qu’une personne offre des services financiers au Québec, il faut qu’elle soit certifiée.»
L’ACCAP arrive à la même interprétation du projet de loi, soulignant qu’un client n’a pas besoin d’un représentant certifié afin de l’aider, par exemple, à retrouver son mot de passe oublié. «À partir du moment où la personne est sur Internet, elle veut des conseils ; la personne [qui donne des conseils] doit être un représentant certifié», a déclaré Lyne Duhaime, vice-présidente principale, distribution de l’ACCAP et présidente d’ACCAP-Québec, devant la Commission.
«Les conseillers seront mieux équipés et plus efficaces grâce à la technologie. Ils auront plus de temps pour analyser les besoins de leurs clients et se consacrer aux fonctions à valeur ajoutée, le conseil», écrit par ailleurs l’ACCAP dans son mémoire.
Le projet de loi 141 atteint un équilibre entre la volonté du client de pouvoir utiliser Internet pour ses besoins d’assurance et l’assurance que le consommateur disposera en temps opportun de toute l’information et de tous les conseils nécessaires pour prendre des décisions éclairées, selon le mémoire du Mouvement Desjardins.
«Certains auraient souhaité le maintien d’un illusoire statu quo. Une telle chose est impossible et pourrait même s’avérer préjudiciable pour le consommateur québécois. Au-delà des balises déjà introduites pour encadrer la distribution par Internet, l’Autorité des marchés financiers (AMF) disposera des pouvoirs réglementaires suffisants pour baliser et encadrer, au besoin, la distribution par Internet», lit-on dans ce document.
À ce chapitre, quelques juristes consultés pour la rédaction de cet article soulignent que l’encadrement législatif sera complété par une réglementation qu’adoptera l’AMF après consultation publique et approbation du ministre des Finances. L’AMF pourrait effacer les inquiétudes de certains groupes, mais rien ne le garantit, compte tenu qu’un règlement ne va généralement pas à l’encontre de sa loi, estime un avocat interrogé.
Quoi qu’il en soit, «il est clair pour [l’AMF] que la personne qui interviendra dans le cours d’une transaction en vue d’aider et de répondre aux questions du consommateur relativement au produit d’assurance qu’il souhaite se procurer devra être un représentant certifié, contrairement à la personne qui offre un soutien technique ou administratif», lit-on dans le mémoire de l’AMF.
L’AMF ajoute que «sauf certaines exceptions bien précises prévues à la loi […] ni un assureur ni un cabinet ne pourront offrir des produits d’assurance par l’entremise de personnes physiques qui ne sont pas des représentants certifiés».
Devant la Commission, Carlos Leitão a souligné qu’il n’est pas vrai que n’importe qui pourra faire n’importe quoi si le projet de loi 141 est approuvé. «Nous ne modifions pas l’article 12 de la loi, qui dit que « nul ne peut agir comme représentant ni se présenter comme tel à moins d’être titulaire d’un certificat délivré à cette fin par l’Autorité ». Donc, on ne laisse pas les consommateurs livrés à eux-mêmes. Les personnes qui parlent au nom d’une compagnie d’assurance doivent continuer d’être certifiées.»
Sur le plan de la perte de l’exclusivité du conseil en assurance que dénonce la CSF, Carlos Leitão a répondu que «donner un conseil, c’est une activité qui ne doit pas être exclusive. […] De prétendre que seulement les courtiers peuvent donner des conseils, c’est très limitatif. Mais quand on passe à l’acte suivant, donc de contracter une assurance, faire un contrat, on prend quelqu’un qui parle au nom d’une compagnie d’assurance, alors là, on n’est pas dans le conseil. Là, on est dans le contractuel, et là, il faut un représentant certifié. Donc, je pense que d’empêcher le conseil ou de vouloir restreindre le conseil, au contraire, ça serait de priver les consommateurs d’une source d’information qui peut leur être très utile.»
«D’une manière générale, on observe que les commentaires que nous avons entendus concernant l’affaiblissement de la protection du consommateur relèvent d’une mauvaise compréhension du projet de loi», a par ailleurs précisé le cabinet du ministre des Finances du Québec dans un courriel.
Au moment de mettre sous presse, on ignorait si le projet de loi 141 allait être amendé.