Qu’on les appelle chefs de vente, démarcheurs, vendeurs institutionnels, vice-présidents régionaux ou vice-présidents de district, ces intermédiaires sont sous forte pression.
«Les chefs de vente sont le point faible des manufacturiers de fonds communs de placement. Il faut repenser leur rôle», lance la société-conseil torontoise Investor Economics dans l’édition de juin 2017 de sa publication Investor Economics Insight.
Rejoint par Finance et Investissement, le directeur général d’Investor Economics, Carlos Cardone, s’explique.
«À peu près tous les manufacturiers prélèvent des frais moins élevés qu’il y a, disons, trois ans. Les marges bénéficiaires ont diminué. Pour la plupart des manufacturiers, le démarchage [wholesaling] constitue la plus grosse dépense de fonctionnement. Nombreux sont ceux qui ont pris des mesures concrètes afin de réduire ces coûts. Ou ils y réfléchissent», précise-t-il.
Ont-ils le choix ? Comme le dit Jean Morissette, consultant et un des fondateurs de Partenaires Cartier, les frais de distribution des fonds négociés en Bourse (FNB) sont par nature bien moins élevés que ceux des fonds communs. «Les démarcheurs de FNB n’ont pas à expliquer les styles de gestion», relève ce consultant en gestion de patrimoine.
Nouvelles générations
Au cours des dernières années, un changement de garde s’est effectué parmi certaines équipes de démarcheurs.
Le cas de Placements Mackenzie l’illustre bien. Un examen rapide (et non exhaustif) effectué sur LinkedIn montre que, depuis janvier 2015, au moins neuf nouveaux démarcheurs ont été embauchés par Mackenzie afin de couvrir le territoire québécois. Principalement dans la jeune trentaine et parfois dans la vingtaine, ils sont titulaires de diplômes universitaires, certains affichant un MBA et le titre convoité de CFA (Chartered Financial Analyst).
Cette infusion de sang neuf a coïncidé avec l’amélioration des ventes de Mackenzie.
«Ce n’est pas accidentel ! Les bonnes performances de fonds sont essentielles aux ventes, mais il faut aussi entretenir de solides relations avec les conseillers», affirme Robert Lachance, vice-président, ventes, investissements et retraite au Groupe Cloutier.
Au cours des dernières années, Mackenzie est ainsi devenue une machine de démarchage moderne et bien huilée.
«Les responsables des ventes de Mackenzie savent expliquer leurs produits de façon cohérente et concrète afin que les conseillers puissent faire la même chose avec leurs propres clients. Mackenzie n’est pas seul dans le milieu, mais ce qu’ils font, ils le font bien», précise Robert Lachance.
Il explique que les responsables des ventes aident les conseillers à choisir des fonds qui correspondent aux besoins de leurs clientèles. Il donne en exemple le cas de grands manufacturiers qui pourraient avoir trois ou quatre fonds d’actions canadiennes.
«Lequel choisir ? Par exemple, un bon directeur des ventes pourrait recommander à un conseiller ayant une clientèle jeune de privilégier le fonds qui serait davantage orienté croissance», dit Robert Lachance.
Changements à la rémunération
Carlos Cardone signale que des manufacturiers «ont rajeuni leurs équipes de vente et modifié leurs formules de rémunération en intégrant des critères de ventes nettes et de rétention d’actifs».
Toutefois, la rémunération en fonction de la rétention d’actifs n’est pas facile à implanter.
«Si la performance n’est pas au rendez-vous, il pourrait être impossible de stopper les sorties de fonds. Car si les produits d’un manufacturier sont peu performants dans une catégorie donnée, les chefs de vente n’y changeront rien étant donné l’absence de solutions de rechange… autres que les concurrents», convient Carlos Cardone.
Changements technologiques
C’est peut-être sur le terrain technologique que les changements à venir pourraient être les plus importants. Personne n’évoque l’arrivée de «chefs de vente robots», mais que préparent dans leurs laboratoires les jeunes pousses en technologies financières (fintechs) ?
À l’heure actuelle, convient Norman Raschkowan, président et gestionnaire de portefeuille chez Investissements DixCarré, les démarcheurs utilisent des outils technologiques à bas coûts, comme les blogues et LinkedIn, afin de communiquer plus fréquemment avec les conseillers. Cela dit, les manufacturiers de fonds communs veulent aller plus loin.
Carlos Cardone croit que les manufacturiers «introduiront davantage d’outils numériques afin de mieux rejoindre les conseillers».
Aux yeux de Norman Raschkowan, «les manufacturiers investiront dans les technologies afin d’aider leurs chefs de vente. Ils investiront aussi pour offrir aux investisseurs d’autres solutions de rechange à bas coûts. C’est la raison pour laquelle je présume que la Financière IGM a investi dans des fintechs», dit-il.
Cela dit, la technologie est une arme à double tranchant.
«Les wholesalers pourraient tôt ou tard avoir des outils technologiques permettant de rejoindre les conseillers à meilleurs coûts. Toutefois, ces technologies pourraient aussi faciliter l’entrée de nouveaux acteurs dans le marché», prévient Norman Raschkowan.
«Les manufacturiers pourraient utiliser certains outils technologiques afin de contourner les wholesalers et de rejoindre directement les conseillers. La vague des robots-conseillers amplifiera la chose», évoque-t-il.
La base reste la même
Au milieu des années 2000, rappelle Dan Hallett, vice-président au HighView Financial Group, les conseillers ont commencé à réduire le nombre de manufacturiers de fonds avec lesquels ils faisaient affaire.
«Depuis ce temps, les wholesalers ont traversé une période difficile. De plus, les banques ont bâti leurs propres équipes de démarcheurs. Il y a également eu l’arrivée de nouveaux acteurs, manufacturiers de fonds négociés en Bourse et firmes d’investissements alternatifs. Les démarcheurs qui survivent sont ceux qui créent une réelle valeur ajoutée au bénéfice des conseillers», signale Dan Hallett.
Cette valeur ajoutée consiste à bien écouter les conseillers et à leur offrir des services additionnels.
«Être à l’écoute amène parfois la création de nouveaux produits», dit Norman Raschkowan en donnant l’exemple des fonds en catégorie de société.
L’ex-gestionnaire de portefeuille d’Investissements Standard Life et de la Financière Mackenzie ajoute que les manufacturiers de fonds pourraient un jour ou l’autre élargir la palette de services des démarcheurs, par exemple en planification fiscale.
«Je crois que la survie des wholesalers pourrait passer par davantage de spécialisation, un peu comme les agences de voyages, qui se sont adaptées à Internet», précise Norman Raschkowan.
Jusqu’à quel point les manufacturiers voudront-ils automatiser le travail de leurs démarcheurs ? «Les manufacturiers de fonds prendraient de grands risques s’ils tentaient de se faire connaître des conseillers uniquement par Internet», affirme Robert Lachance.