la transformation numérique du secteur financier s’est accélérée pendant la pandémie. Les consommateurs ont désormais accès à des produits et services plus complexes. Or, l’information les concernant est difficile d’accès, surabondante et souvent incomplète. L’Autorité des marchés financiers (AMF) veut y mettre de l’ordre.
Les utilisateurs ont tendance à minimiser les risques liés à l’utilisation des plateformes numériques des institutions financières et peinent à garder le contrôle sur leurs données, signale l’AMF dans un récent rapport sur les risques et bénéfices des services financiers numériques.
Cette situation limite la capacité des consommateurs à comprendre les conditions d’utilisation de ces services ainsi que les risques qui y sont associés, surtout si l’information financière est consultée dans l’espace restreint des écrans des téléphones intelligents, indique le régulateur.
Les plus jeunes utilisateurs et les investisseurs autonomes s’informent principalement auprès des médias sociaux pour prendre leurs décisions financières. Ils ont également tendance à être influencés par les amis, la famille et par des influenceurs financiers, plutôt que par des professionnels enregistrés.
Certaines plateformes financières utilisent des pratiques d’engagement numérique inspirées du jeu vidéo pour inciter les consommateurs à effectuer des actions qui ne sont pas dans leur intérêt ou qui sont à risque, comme l’investissement dans les cryptoactifs.
Dans ce contexte, la littératie financière traditionnelle ne suffit plus à protéger les clients. Ceux-ci doivent acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour naviguer de façon sécuritaire dans un environnement numérique, signale l’AMF dans son rapport.
Course contre la montre
«Le défi pour les institutions financières est de savoir comment s’adapter à cette réalité», a affirmé Frédéric Laverdière-Pagé, vice-président aux ventes et au développement des affaires chez Investia, lors d’une table ronde sur les risques et bénéfices des services financiers numériques pour les consommateurs présentée dans le cadre du 17e Rendez-vous de l’AMF, le 22 novembre dernier.
«Les institutions financières doivent mettre les outils numériques adéquats dans les mains des conseillers pour qu’ils soient capables de les utiliser pour bien servir les clients», a estimé le gestionnaire.
Lorsque son organisation a commencé à proposer la signature électronique aux conseillers, en 2019, ceux-ci l’ont jugée inutile au début, a noté le représentant d’Investia. Il constate qu’ils ne sauraient plus s’en passer aujourd’hui, cet outil leur permet de gagner un temps précieux.
Or, le temps est le nerf de la guerre, a considéré Frédéric Laverdière-Pagé, car les conseillers en ont de moins en moins en raison de la lourdeur de leurs tâches administratives et de la pénurie de main-d’oeuvre.
L’enjeu est de taille alors que la planification du volume croissant de transferts intergénérationnels nécessite un apport de plus en plus important sur le plan du conseil. Le défi est accentué par la pénurie de main-d’oeuvre, qui rend plus ardu le recrutement de personnel de soutien pour les conseillers.
L’IA au service du conseiller
Les technologies numériques peuvent faciliter le travail des conseillers. Elles peuvent servir notamment à mettre à profit les données des clients pour détecter systématiquement des événements de vie, tels qu’une naissance, l’achat d’une propriété, une séparation ou un décès, qui offrent des occasions d’apporter de la valeur ajoutée aux clients avec du conseil.
Investia travaille ainsi à mettre au point un robot conversationnel qui utilisera l’intelligence artificielle (IA) pour détecter certains besoins des clients. Par exemple, lors d’un clavardage, un avatar demanderait à un client qui souhaite changer d’adresse quelle est la raison de cette modification. S’il s’agit d’un déménagement à la suite d’une séparation, le client sera invité à réviser son testament ou à changer ses garanties d’assurance. L’intelligence artificielle lui suggérera au besoin de prendre un rendez-vous avec un conseiller.
«L’avenir est de développer des avatars avec différents niveaux d’expertise. À terme, ils pourront reconnaître les émotions des clients et leur témoigner de l’empathie», a signalé Frédéric Laverdière-Pagé.
Encadrer plutôt qu’interdire
La nouvelle génération attend plus d’instantanéité et de spécialisation de la part des services financiers, a souligné quant à lui Dominique Samson, vice-président aux affaires corporatives de Flinks, une plateforme qui permet l’échange de données financières entre les comptes bancaires des utilisateurs.
Or, selon lui, la réglementation ne suit pas le rythme. «Le régulateur doit tenir compte de cette réalité pour adapter la réglementation à ces besoins», a-t-il poursuivi.
Il a cité l’exemple d’un jeune qui télécharge une application d’investissement autonome pendant une course en Uber et la relie instantanément à ses comptes bancaires par une application d’open banking. «En quelques secondes, il va interagir avec plusieurs intermédiaires sur différentes plateformes. C’est une tendance massive chez les jeunes de 30 ans et moins», a-t-il dit.
Selon lui, le régulateur doit encadrer ces pratiques et non les interdire. «Le premier réflexe des gens est de contourner une interdiction. Il faut plutôt encadrer les services numériques de façon viable pour que les acteurs les utilisent de manière sécuritaire», a précisé Dominique Samson.
Vive la littératie financière
Selon un sondage de l’AMF, une majorité de jeunes disent investir sur les plateformes d’abord pour acquérir des connaissances financières et s’amuser. Les plus jeunes investisseurs sont les plus à risque: 39 % des 18 à 24 ans estiment qu’il y a peu de danger à investir de manière autonome. De plus, un quart d’entre eux déclarent trouver leur information financière principalement sur les réseaux sociaux et 13% s’endettent pour investir.
«Il y a des risques plus élevés pour ces jeunes», a soulevé Maya Cachecho, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Elle s’est penchée sur les pratiques d’engagement numérique des plateformes, comme le nudging. Par exemple, on propose des solutions et des produits à partir de choix présélectionnés ou on personnalise le message en fonction des goûts et préférences des utilisateurs.
Les pratiques d’engagement numérique peuvent être bénéfiques pour la littératie financière, car elles aident les jeunes à se familiariser avec les produits financiers, a signalé la chercheuse.
Cependant, elles les encouragent également à investir dans des produits complexes et plus risqués. «Dans ce cas, cela devient un phénomène abusif qui peut affecter l’autonomie des consommateurs, car ceux-ci peuvent être amenés à faire des choix dépassant leur tolérance au risque.»
Données des clients difficiles à retracer
La protection des données personnelles, telle que prévue dans la Loi 64, est un autre enjeu soulevé par l’AMF dans son rapport sur les services numériques.
Compte tenu de la quantité imposante de données générées et du temps accru passé en ligne par les consommateurs, il est de plus en plus difficile, voire impossible, pour les utilisateurs de garder le contrôle sur leurs propres données.
De plus, comme elles sont enregistrées à de multiples endroits, il devient complexe pour les conseillers de retrouver la trace de toutes les données fournies par les clients et de les détruire en temps voulu.
Maya Cachecho voyait là un réel danger pour les consommateurs. «L’open banking facilite certains usages pour les consommateurs, car il leur permet d’avoir à un seul endroit un portrait complet de leur situation financière. Néanmoins, il ne faudrait pas que ce soit une caverne d’Ali Baba où n’importe qui pourrait se servir.»
Dans le cadre d’un groupe de discussion avec des consommateurs qui font affaire avec des conseillers, la chercheuse a noté que 9 clients sur 10 ont affirmé ne pas lire les politiques d’utilisation des plateformes numériques.
«Ils cliquent sur le bouton d’acceptation, car ils veulent avoir accès au service immédiatement. On n’attire pas leur attention sur les risques, alors que les plateformes ont l’obligation de décrire leurs politiques dans un langage clair.»
Dominique Samson a indiqué que les plateformes pourraient rendre l’information sur les données plus simple à assimiler pour permettre aux utilisateurs de comprendre à quoi ils s’engagent en cliquant sur le bouton Accepter. «Cela devrait tenir en trois points:quelle information le client donne, pour quel usage et pour combien de temps.»
«Le contrat complet qui tient en plusieurs pages a de la valeur, mais on ne peut pas compter juste là-dessus»pour informer les consommateurs, a-t-il souligné.
La première expérience détermine tout
La littératie financière peut aider les consommateurs à se montrer plus prudents quand ils utilisent des plateformes numériques et à rehausser leur niveau de compétence. Maya Cachecho a observé lors de ses recherches qu’elle s’acquiert davantage dans la pratique que dans les livres.
Elle a constaté notamment que la première expérience d’un client lors de l’utilisation d’un service ou un produit financier numérique était déterminante. «C’est à ce niveau que tous les acteurs de l’écosystème pourraient enrichir l’expérience d’éducation financière», a-t-elle estimé.
Vers une stratégie de données
L’AMF dégage plusieurs réflexions de ces constats. Le régulateur souhaite notamment utiliser les innovations technologiques ainsi que les pratiques d’engagement numérique pour favoriser des comportements financiers sains.
Il entend également développer et mettre en oeuvre une stratégie de données en matière de transformation numérique du secteur financier.
«Les bénéfices de la transformation numérique des produits et services financiers sont multiples et bien réels, mais les risques le sont tout autant», a déclaré le président-directeur général de l’AMF, Louis Morisset, lors de l’allocution d’ouverture de l’événement.
Intervenants du secteur financier et régulateurs doivent donc travailler main dans la main pour rehausser la vigilance des consommateurs et contribuer au développement d’une littératie financière numérique au Québec.