Un client a quitté le cabinet il y a 30 minutes après avoir signé une dizaine de documents en deux, trois ou quatre endroits. Oups ! Son conseiller constate qu’on a oublié une signature. Bon. Une petite signature imitée, et le tour est joué. Vite fait, bien fait, sitôt oublié. Non, pas toujours oublié…
«J’ai recensé 276 cas de signatures imitées qui se sont retrouvés devant le syndic de la Chambre de la sécurité financière [CSF] au cours des sept dernières années, dit Michel Mailloux, président-fondateur du Collège des professions financières. C’est la deuxième ou troisième infraction alléguée en importance. De quoi tomber de sa chaise. Je ne peux pas comprendre ça.»
Le petit geste apparemment innocent d’un conseiller qui signe à la place de son client «peut avoir de graves conséquences pour lui», rappelle Me Gilles Ouimet, syndic de la CSF. «Quelles que soient les explications que le conseiller pourrait fournir au syndic ou au comité de discipline en cas de plainte, elles pourront difficilement excuser ce manquement à ses obligations déontologiques», poursuit-il.
Un conseiller se met dans une situation délicate en imitant la signature d’un client, souligne également Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques et chef de la conformité chez MICA Cabinets de services financiers. «Les comités de discipline portent condamnation, même si la signature imitée était faite pour aider un client et expédier le traitement de son dossier, dit-il. Quant aux sanctions, elles ne sont jamais en dessous de 2 000 $.»
Les incartades ressortent plus facilement aujourd’hui, pense Yvan Morin. «L’appareil de conformité est devenu plus exigeant et raffiné, dit-il. Il y a plus de contrôles. Avec l’imagerie numérisée, on peut comparer plus rapidement des signatures. Pas besoin d’aller chercher dans une boîte perdue au sous-sol.»
À ne pas faire
Les trois intervenants à qui Finance et Investissement a parlé font une recommandation claire : «Ne jamais signer à la place du client, même si ça semble être dans son intérêt», insiste Yvan Morin.
Pourtant, certaines situations semblent imposer le recours à une imitation de signature. Par exemple, un client joint son conseiller en vacances en Europe parce qu’il a urgemment besoin de fonds pour conclure une importante transaction. Un conseiller bien intentionné veut évidemment dépanner son client. Ça presse. Et une signature imitée règle vite les choses.
«Non», tranche Yvan Morin, qui recommande dans de telles situations de nommer un remplaçant sur place avec lequel le client peut traiter. Évidemment, une telle mesure peut s’organiser assez facilement dans un cabinet où un conseiller peut compter sur l’appui de collègues.
Le client ne pourrait-il pas signer à l’avance un document préautorisant son conseiller à signer à sa place ? «C’est une pratique que je ne recommanderais pas, dit Yvan Morin. Le représentant se mettrait alors dans une situation de conflit d’intérêts potentiel. Un représentant ne peut pas être en position de faire une transaction à la place du client et, en plus, signer pour lui.»
Michel Mailloux n’est pas aussi réfractaire à cette idée. Un document ou un courriel de la part du client pourrait autoriser le conseiller à signer pour une transaction, mais une seule. «Et dans un tel cas, je signerais mon nom, Michel Mailloux, dit le spécialiste. Je n’imiterais pas la signature du client.»
Mais encore là, tout dépend du type de document et du type de transaction. «Je ne suis pas certain qu’une compagnie d’assurance accepterait que Michel Mailloux signe une nouvelle police à la place de son client.»
Une solution acceptable
Pour contourner le problème, certains conseillers font signer en blanc certains documents, comme des documents d’autorisation d’ordres d’achat ou de vente, ce qui constitue toujours une infraction, selon la CSF.
Celle-ci suggère plutôt de convenir avec le client d’une politique d’autorisation limitée d’opérations spécifiques au cas où le client ne peut apposer sa signature au bas d’un document. Si une telle politique est mise en place, le conseiller doit s’assurer de bien documenter les transactions effectuées, notamment en notant l’heure, la date, le nom de la personne ayant fait la transaction, le moyen de communication et la teneur de la conversation, tout cela en vue d’obtenir du client une autorisation après-coup de la transaction conclue.
Précisons qu’il ne s’agit ici en aucun cas d’imiter la signature du client.
Signer dans le nouveau millénaire
«En 2019, on n’a plus beaucoup d’excuses pour justifier d’imiter une signature, pense Michel Mailloux. Dans les années 1950, on aurait pu comprendre qu’un conseiller signe pour un client qui vivait à Sept-Îles. Ce n’est pas à la porte. Et se rendre jusqu’à Sept-Îles…»
La solution par excellence est la signature électronique, très utilisée dans le monde du courtage immobilier, mais presque inexistante chez les conseillers en services financiers.
«Chez MICA, on travaille à la mise en place d’un portail sécurisé permettant d’échanger des documents et d’authentifier la signature du client, nous apprend Yvan Morin. C’est valable pour l’épargne collective. Pour l’assurance, c’est autre chose. Les compagnies d’assurance demandent la signature originale du client.»
Michel Mailloux croit que dans cinq ans, les technologies sécurisées de chaînes de blocs vont prendre le relais et permettre d’identifier et d’authentifier les clients de façon incontestable. D’ici là, juge-t-il, la technologie la plus pratique – et légale – demeure l’envoi de documents par courriel, documents que le client imprime, signe, numérise et retourne au conseiller par courriel.
Pas aussi simple et élégant que la signature électronique, mais certainement mieux que la signature imitée !