Après avoir cessé les ventes de rentes fixes individuelles à la fin de juin, l’assureur fait une offre inusitée à de nombreux détenteurs de FPG Sélect assortis de l’option RevenuPlus afin qu’ils abandonnent leurs contrats.
D’ici le 14 décembre, des conseillers en sécurité financière devront rencontrer bon nombre de ces clients détenteurs de la version originale du produit et évaluer avec eux l’offre unique à durée limitée de transformer la valeur marchande de leur Série RevenuPlus en fonds distinct ordinaire de type 75/75, en plus de recevoir un dépôt complémentaire fourni par Manuvie.
Les clients ne sont pas obligés d’accepter l’offre. Manuvie rémunérera les conseillers 500 $, que l’issue de cette rencontre mène à son acceptation ou à son refus.
La valeur du dépôt complémentaire varie pour chaque client selon, notamment, la valeur marchande des dépôts en date du 31 mars 2018, la valeur des garanties et l’âge. Le calcul est fondé sur des hypothèses économiques et démographiques.
Dans une communication aux conseillers, l’assureur note que : «puisque Manuvie doit conserver du capital pour soutenir les garanties au contrat de la Série RevenuPlus, la modification du contrat apportera une plus grande flexibilité à Manuvie pour dégager ce capital et en faire une meilleure utilisation».
«Il y a un avantage financier pour Manuvie par rapport à cette offre-là. On écoute aussi nos clients et conseillers qui disent que ce contrat ne répond pas nécessairement aux attentes des clients dont les besoins ont changé», indique Marie Gauthier, responsable des produits d’investissement garantis chez Manuvie.
Certains clients pourraient aussi préférer la souplesse qu’offre le dépôt supplémentaire. «Certains clients ont besoin de faire des retraits plus élevés que les retraits garantis, ils ont besoin de sortir plus d’argent. En faisant cela, il y a un impact négatif sur leurs garanties futures, ce qui n’est pas nécessairement la meilleure façon d’utiliser leur contrat», note Marie Gauthier.
Il y a aussi eu des plaintes au sujet des frais élevés de ces contrats, lesquels réduisent les rendements, ajoute-t-elle. Enfin, d’autres clients semblent ne plus avoir besoin des garanties, dit-elle.
«On voit la détermination des nouveaux gestionnaires à continuer le travail de derisking [atténuation des risques au bilan] qui a été entrepris à la suite de la crise financière de 2009», explique Robert Landry, consultant et ex-vice-président exécutif chez AXA Canada.
Selon lui, certaines garanties de RevenuPlus forcent Manuvie à adosser un capital réglementaire important. «Ce capital n’est pas déployé dans des actifs rentables, ou dans des occasions d’affaires rentables ou dans les marchés les plus rentables», note Robert Landry.
Gare à la conformité
Considérant la complexité du produit et l’aspect irréversible de l’offre, les conseillers doivent bien l’analyser et bien informer le client.
De plus, ce type d’analyse unique en son genre accroît la responsabilité fiduciaire du conseiller à l’égard de son client, par rapport à une analyse habituelle, juge Robert Landry : «Par conséquent, les directeurs de cabinet et les responsables de la conformité doivent redoubler d’exigence et de diligence dans le traitement des dossiers. Les risques sont très élevés qu’on commette une erreur ou que le client revienne un jour et dise qu’il a mal compris. Et ça va arriver.» Selon lui, les risques de poursuites judiciaires sont aussi élevés.
«On a consulté les associations réglementaires canadiennes parce qu’on voulait vraiment s’assurer que ce qu’on faisait était équitable. Pour toutes les communications et tous les documents qu’on a préparés, on a fait le nécessaire pour que, d’un côté légal ou réglementaire, ce soit une offre bien pour le client. On a mis beaucoup d’efforts sur ce plan», explique Marie Gauthier.
Garanties expliquées
RevenuPlus est un contrat de rente à capital variable qui vise notamment à aider le client à financer sa retraite grâce à un revenu viager. Un client qui y renonce perdrait plusieurs avantages, d’où la raison pour laquelle Manuvie offre une compensation forfaitaire. Parmi ces avantages, notons la manière dont peut évoluer le montant d’argent à partir duquel sera établie la rente viagère que touchera le client lorsqu’il sera en phase de décaissement.
Ce montant, appelé solde du retrait garanti (SRG), est bonifié de 5 % à la fin de toute année civile au cours de laquelle aucun retrait n’a été effectué. Cette bonification annuelle, calculée selon un intérêt non composé sur les dépôts faits par le client, n’est pas un dépôt en espèces supplémentaire : elle augmente le montant garanti pour le calcul de la rente.
De plus, le SRG peut aussi augmenter si la valeur marchande du fonds sous-jacent croît de manière supérieure à la bonification annuelle. Le cas échéant, une réinitialisation triennale peut venir cristalliser le SRG à un niveau qui deviendra le nouveau montant à partir duquel est calculée la rente.
Notons que les frais annuels de RevenuPlus, qui vont de 0,55 % à 1,25 %, limitent la progression et les rendements du fonds. Par exemple, un fonds mondial équilibré neutre pourrait payer des frais annuels totaux atteignant 4,16 %, soit un ratio des frais de gestion de 2,91 % plus des frais RevenuPlus de 1,25 %.
Par ailleurs, lorsque le client est en mode décaissement, il peut avoir droit à une rente viagère correspondant à 5 % du SRG à compter de 65 ans. Un client peut aussi toucher un revenu garanti de 5 % pendant 20 ans avant l’âge de 60 ans.
L’un des autres avantages de RevenuPlus est l’accès au capital. Contrairement à une rente viagère, pour laquelle le client s’aliène tout son capital en échange de sa rente, la Série RevenuPlus permet au client de recevoir la valeur marchande de son fonds distinct en cas de besoin. Le cas échéant, il perdrait alors plusieurs garanties.
Le fonds distinct de remplacement que propose Manuvie, la Série 75, n’a aucune des garanties précédentes, excepté l’accès au capital. C’est un fonds distinct standard avec une garantie de 75 % à l’échéance et de 75 % au décès. La Série RevenuPlus est assortie d’une garantie de 75 % à l’échéance et de 100 % au décès.
La Série 75 a des frais annuels moins élevés que RevenuPlus. Par exemple, le même fonds mondial équilibré neutre cité précédemment a un ratio des frais de gestion de 2,91 %.
Les clients qui détiennent la Série RevenuPlus dans un compte non enregistré recevront un feuillet fiscal T3 et, dans le cas des résidents du Québec, un relevé RL-16 distinct à l’égard du dépôt complémentaire pour l’année d’imposition en cours. Ces feuillets s’ajoutent aux autres feuillets fiscaux annuels habituels, ce qui vient réduire la valeur nette d’impôt de cet avantage. Cependant, aucun feuillet fiscal ne sera produit lorsque la Série RevenuPlus est détenue dans des régimes enregistrés et immobilisés.
Par ailleurs, Manuvie a retiré du marché RevenuPlus en 2012 et l’a remplacé par un autre produit, RetraitePlus, dont les garanties sont moins avantageuses pour le client.
Tout dépend du client !
«Est-ce que ça vaut la peine d’accepter l’offre ? Ça dépend», résume Louis Thibault, vice- président assurances chez MICA Cabinets de services financiers.
Selon lui, un conseiller méthodique devrait rencontrer son client, vérifier l’état de sa situation personnelle et comparer des scénarios de retraite dans les cas où il accepterait l’offre de Manuvie par rapport aux cas où il garderait RevenuPlus. Louis Thibault note qu’il ne s’agit pas d’une mauvaise offre, mais que les garanties au contrat ont aussi une valeur dont on doit tenir compte.
«Si le client a pris ce produit pour les bonnes raisons et que sa situation n’a pas changé, probablement qu’il va le garder», estime Louis Thibault.
Un client qui aurait, par exemple, une santé très précaire, ce qui réduirait de façon significative son espérance de vie, pourrait accepter l’offre et profiter de cette porte de sortie. Un client qui a subi des revers financiers importants et qui envisageait déjà d’abandonner ce produit parce qu’il a besoin de son argent pourrait aussi profiter de cette occasion.
Toutefois, si un client a souscrit ce produit dans un compte non enregistré, le fait que le dépôt complémentaire soit imposable réduit la valeur après impôt de ce dépôt. «Pour ce type de client, l’offre vaut moins la peine», explique Louis Thibault.
Il donne aussi l’exemple d’un client qui a opté pour RevenuPlus dans le seul objectif d’avoir une rente de retraite et qui arrive à la retraite dans la prochaine année. Dans ce cas, son conseiller pourrait évaluer quel serait l’effet d’utiliser la somme forfaitaire et la valeur marchande, puis d’acheter une rente viagère à partir d’un compte enregistré.
«À ce moment, quel sera mon revenu de retraite par rapport à mon revenu avec RevenuPlus ? Il faudra l’évaluer au cas par cas. Toutefois, avec RevenuPlus, je peux en tout temps prendre mon argent à sa juste valeur marchande. Si j’achète une rente, je n’ai pas accès à mon argent au besoin. J’ai un inconvénient que je dois considérer», note Louis Thibault.
Selon lui, un client qui est loin de la retraite et qui peut profiter encore de plusieurs années où il touchera une bonification annuelle de 5 % pour absence de retraits pourrait refuser l’offre. «Il faut faire des calculs, mais on est à une étape du cycle économique où on se dit qu’il va possiblement y avoir une crise. Est-ce que c’est le bon timing de débarquer d’un produit qui a de belles garanties alors que le risque de baisse de marché est présent ? Ça dépend du client, mais à mon avis, non.»
«S’il y a une baisse des marchés, les garanties vont coûter encore plus cher à Manuvie, parce que l’écart entre la valeur marchande du fonds et la valeur garantie va augmenter avec le temps», ajoute Louis Thibault.
Manuvie note que seuls les clients admissibles à un dépôt complémentaire supérieur à 5 000 $ recevront une offre cet automne. Les autres clients admissibles recevront une offre en 2019.
Le fait qu’un assureur demande à des clients d’abandonner un produit est, en quelque sorte, une fracture du « code d’honneur » des assureurs, estime Robert Landry, consultant et ex-vice-président exécutif chez AXA Canada.
Selon une pratique communément admise, lorsqu’un assureur se trouve avec un produit peu rentable ou mal vendu ou dont les réclamations posent problème, il cesse de le vendre et essaie de trouver des solutions de rechange, explique Robert Landry : «Dans ce cas, Manuvie va plus loin : on veut que les clients abandonnent leur contrat. C’est assez exceptionnel.»
«D’après ce « code d’honneur », un assureur émet des garanties, peut arrêter de les émettre, mais honore celles qu’il a émises. S’il revient et dit au client « je vais honorer les garanties, mais j’aimerais bien que tu sortes de cela », alors j’ai un petit malaise», explique Robert Landry. Selon lui, tout ce processus peut créer des frustrations dans les réseaux de distribution, en plus d’exposer les conseillers à des risques élevés de poursuites judiciaires, ce qui peut nuire à l’industrie.
Pour cette raison, Robert Landry ne croit pas que d’autres assureurs se précipiteront pour faire une offre équivalente à celle de Manuvie. Cependant, la porte est ouverte, selon lui : «Manuvie est un leader du marché. Quand un leader annonce des décisions comme celle de se retirer de rentes individuelles ou invite des clients à se retirer de RevenuPlus, c’est plus facile pour d’autres de dire que la situation touche tout le monde et de les imiter.»