Dans un communiqué laconique, Manuvie a informé les conseillers et agents généraux qu’elle cessait «les ventes externes de rentes fixes individuelles à compter du 29 juin».
Ses services de communication ont spécifié qu’il n’y aurait aucun changement aux contrats de rente existants et que la compagnie continuerait d’offrir des contrats de rente à capital variable individuels ainsi que des contrats de rentes collectives.
«Les nouveaux contrats de rente fixe individuels peuvent toujours être ouverts après le 29 juin 2018 pour les transferts internes et nous continuerons d’offrir des contrats de rente à capital variable individuels ainsi que des contrats de rentes collectives», a ajouté l’assureur de la rue Bloor, à Toronto.
En principe, la rente fixe garantit des versements égaux pendant une période de temps déterminée. Par exemple, dans le cas d’une rente fixe de 10 ans, les versements seront faits pendant un terme de 10 ans. Dans le vocabulaire de l’industrie, les termes «rentes fixes» et «rentes certaines» sont interchangeables. La rente viagère verse une somme régulière jusqu’au décès.
Un marché «relativement petit»
«Les beaux jours des rentes fixes et viagères sont derrière nous. Aujourd’hui, leurs rendements ne dépassent pas 2,75 % par année. En conséquence, les ventes ne sont plus ce qu’elles étaient», commente Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage.
Composés d’environ 125 conseillers, les effectifs de l’agent général de Saint-Hyacinthe vendent une dizaine de rentes fixes ou viagères par année. «Il y a eu un temps où on en vendait beaucoup, plus de 75 par année. Aujourd’hui, les consommateurs préfèrent des fonds communs de placement qui peuvent rapporter 4, 5 ou 6 % par année avec un risque relativement limité», précise Guy Duhaime.
Selon le président du Groupe Financier Multi Courtage, la clientèle des rentes fixes ou viagères rétrécit comme une peau de chagrin. «Les 25-30 ans n’iront pas vers ces produits, car ils ont été exposés à la prise de risque et ils ne se contenteront pas de rendements si peu alléchants. Si les taux d’intérêt à long terme venaient à atteindre 7 ou 8 %, cela changerait probablement la donne», estime-t-il.
Directeur, développement des fonds communs et distincts et des garanties chez Desjardins, Jean-François Girard apporte un autre son de cloche. «Le marché des rentes certaines est relativement petit par rapport à nos autres produits. Toutefois, les ventes sont stables. Les rentes certaines répondent aux besoins de décaissement de clientèles plus conservatrices que la moyenne et qui cherchent à sécuriser le paiement de dépenses essentielles», dit-il.
Selon le conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective Marc Gagnon, les rentes de Manuvie n’étaient pas assez concurrentielles. «Dans mes simulations de taux de rente, Manuvie arrivait presque toujours au quatrième rang», évoque le président du cabinet Services Financiers Marc Gagnon.
«Leurs rentes étaient peut-être insuffisamment rentables. Je ne sentais pas chez Manuvie la volonté de développer ce secteur. Au contraire. Manuvie ne retenait pas les clients qui manifestaient l’intention d’abandonner leurs rentes pour d’autres produits», ajoute-t-il.
Objectif : atténuer le risque
Consultant et ex-vice-président exécutif chez AXA Canada, Robert Landry signale la difficulté de garantir des rendements fixes à des clients alors que les assureurs ont peine à faire aussi bien. «Les contrats de rente passés pouvaient garantir davantage que 2,75 % par année !» dit-il.
En outre, «les rentes fixes sont devenues, pour les assureurs, plus difficiles à supporter en raison de l’allongement de l’espérance de vie», ajoute Robert Landry. D’après le consultant, le poids des contrats de rente sur les réserves financières de Manuvie était peut-être devenu trop lourd. «La réglementation est plus exigeante et les taux restent bas», souligne-t-il.
Responsable de la recherche sur les rentes chez Cannex, Tamiko Toland accrédite cette thèse. «Nous croyons comprendre que la décision de Manuvie était liée à des considérations de réserves financières», signale la spécialiste des rentes de Cannex, un fournisseur d’outils de comparaison de prix et d’évaluation de produits de rentes de retraite.
Dans cette perspective, comme le soulève Robert Landry, Manuvie aurait voulu «réduire le risque de son bilan financier et mieux employer le capital immobilisé».
«Libérer du capital»
Cette décision s’inscrirait dans l’objectif de la direction de Manuvie de «libérer» 5 G$ en capital d’ici 2022.
Lors d’une journée des investisseurs tenue le 27 juin à Toronto, Naveed Irshad, chef, Anciens produits, Amérique du Nord chez Manuvie, a littéralement soulevé un coin du voile de la stratégie de l’assureur. «Les rentes fixes comportent un grand potentiel de libération de capital», a-t-il alors signalé.
À l’intention des investisseurs, Naveed Irshad a désigné quatre lignes d’affaires «aux risques bien gérés, mais qui génèrent peu de valeur». Il s’agit des rentes fixes ; de l’assurance soins de longue durée vendue aux États-Unis ; de rentes variables (aux États-Unis ainsi que des contrats FPG Sélect PlacementPlus distribués au Canada) ; et de certains blocs d’assurance vie actuellement fermés à la vente.
Dans cette logique, le délestage des rentes fixes pourrait précéder celui d’autres produits coûteux pour leurs garanties de capital, au premier chef les contrats FPG Sélect PlacementPlus.
Et la filiale américaine John Hancock se trouve sur la ligne de feu.
«Toutes les options concernant John Hancock sont sur la table», avait signalé en novembre dernier Roy Gori, président et chef de la direction de Manuvie, dans une entrevue accordée à BNN Bloomberg. La filiale bostonnaise est reconnue pour l’importance de ses rentes variables et de l’assurance soins de longue durée.
Quelles sont les conséquences ?
Le conseiller Marc Gagnon affirme ne pas s’en faire par rapport à l’offre restante. «Pour moi, c’est business as usual. Les produits de rentes fixes actuels sont suffisants pour répondre aux besoins de ma clientèle», dit-il.
La secousse qu’a amorcée Manuvie risque-t-elle d’ébranler les autres acteurs du secteur des rentes fixes ou certaines ?
«La crainte, c’est de voir d’autres assureurs imiter Manuvie et quitter ce secteur», signale Léon Lemoine, planificateur financier affilié à Whitemont et assureur vie agréé affilié à PPI.
Robert Landry surenchérit. «D’autres assureurs imiteront-ils la stratégie de réduction de risque de bilan financier ? L’environnement est le même pour tous», dit-il.
La décision de Manuvie a surpris Jean-François Girard. «Le nombre d’acteurs dans le secteur des rentes certaines est très limité. Manuvie en était un gros. Certains pourraient se poser des questions, mais en ce qui nous concerne, notre plan d’action reste le même. Les rentes certaines répondent à un besoin de nos membres, il contribue à une offre diversifiée et le produit est très complémentaire», déclare-t-il.
La Financière Manuvie a décliné notre demande d’entrevue.