Le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) a déclaré l’ex-représentant de courtier en épargne collective Michel Marcoux (certificat numéro 122 786, BDNI 1 755 241) coupable des 24 chefs d’accusation qui pesaient contre lui.
«Après avoir analysé la monumentale preuve documentaire contenant des milliers de pages de même que la preuve matérielle et testimoniale qui lui ont été soumises par la plaignante [la syndique de la CSF], le comité est d’opinion qu’elle a prouvé de façon prépondérante, claire et convaincante que l’intimé est coupable de tous et chacun des chefs d’infraction de la plainte», lit-on dans le jugement du comité de discipline de la CSF daté d’août 2019. Dans le présent article, l’intimé désigne Michel Marcoux.
Michel Marcoux a été reconnu coupable de neuf chefs d’accusation d’avoir «détourné ou […] permis que soit détourné» un montant cumulatif de 1,58 M$, selon le jugement de près de 200 pages. Pour un client, dénommé P.N. dans le jugement et qui est bénéficiaire du compte Snake, Michel Marcoux a détourné ou permis que soient détourné environ 232 000 $. Pour un autre client, dénommé O.B. et bénéficiaire du compte Insect, il aurait fait de même pour environ 356 000 $.
Comme nous ne pouvons révéler l’identité des clients en cause, nous utiliserons leurs initiales pour les désigner.
Michel Marcoux est aussi coupable d’avoir détourné ou d’avoir permis que soit détourné 1 M$ à partir de comptes Dominion Investments (DI) au profit d’autres comptes Dominion Investments détenus auprès d’Avantages Services financiers inc. (ASF), dont il était le représentant, apprend-on dans le jugement.
Ces gestes ont été commis entre août 2002 et avril 2010, d’après ce même document.
Par ailleurs, Michel Marcoux est aussi coupable d’avoir «fait défaut de remettre» une somme cumulative de 516 500 $ à un troisième client, dénommé E.L et bénéficiaire du compte Gala, entre novembre 2005 et avril 2010, selon le jugement.
Michel Marcoux est également coupable d’avoir donné à deux clients et à leurs procureurs des informations fausses ou mensongères pour justifier son omission de leur remettre leur argent. Il est aussi coupable d’avoir transmis des explications fausses au sujet des placements détenus dans le compte Insect.
De plus, Michel Marcoux est coupable d’avoir «fait défaut de s’assurer que tout solde débiteur en fidéicommis de chacun de ses clients soit comblé sans délai» et d’avoir «déclaré faussement aux enquêteurs du syndic de la CSF, qu’il n’était pas et qu’il ne savait pas qui était le propriétaire véritable du compte « Dominion Investments DI […]14 (Fremiol) »».
«Pas d’accord»
Joint par téléphone, Michel Marcoux a dit : «Je ne suis pas d’accord [avec les conclusions du comité de discipline].» Il n’a pas voulu préciser sa pensée.
«J’ai tourné la page là-dessus, il y a quelques années. Je ne me suis pas défendu, parce que je n’avais pas les moyens de me défendre. On m’a fait des procès les uns à la suite des autres. J’ai dépensé tout ce que j’avais en frais d’avocats – 1,5 M$ depuis 2004 -, je ne pouvais pas me défendre. On voulait ma peau et on l’a eue», a-t-il expliqué à Finance et Investissement.
En mai 2014, Julien Béliveau, un expert de Services financiers du Square Victoria inc., avait préparé un rapport à la demande de Jeansonne Avocats qui représentait Michel Marcoux à l’époque.
Selon cet expert, «il n’y a pas eu de détournement de fonds au niveau d’ASF». «Tout ce que l’intimé pouvait faire en bout de piste, c’était d’exécuter les transactions demandées par DI et en « classer » les soldes selon les ordres de DI dans les « cases » désignées par des pseudonymes à l’intérieur du compte omnibus», écrivait-il dans son rapport de mai 2014. D’après ce rapport, «ASF ne pouvait accepter d’ordres que de DI». Il était donc attendu qu’ASF refuse de retourner directement aux clients leurs avoirs, car «aucun autre client de DI n’a jamais ouvert de comptes chez ASF».
En conséquence, «les allégations portées contre l’intimé ne peuvent qu’être le résultat d’une incompréhension des règles de gestion des comptes clients», peut-on lire dans le rapport de Julien Béliveau, dont Finance et Investissement a obtenu copie.
«Le bien-fondé des 17 allégations de la CSF n’a pas été démontré dans la documentation remise. En conséquence, le comité de discipline doit les rejeter», lit-on dans le rapport. Ce dernier n’est pas arrivé aux mêmes conclusions. «Le rapport d’expert préparé à la demande des avocats de M. Marcoux n’a jamais été déposé en preuve devant le comité de discipline», précise le secrétariat du comité de discipline de la CSF.
Déclin d’un conseiller
Le jugement du comité de discipline d’août 2019 raconte l’histoire d’un ex-conseiller qui a été représentant de 1996 à 2014 et qui a frustré trois clients plus d’une fois.
Ceux-ci finiront par poursuivre Michel Marcoux et sa firme, Avantages Services financiers, devant la Cour supérieure du Québec dans les années 2010. L’un d’eux a obtenu l’indemnisation maximale de 200 000 $ du Fonds d’indemnisation des services financiers, en décembre 2016. Michel Marcoux, qui a fait faillite en septembre 2016, n’était pas présent à l’audition de la cause devant le comité de discipline.
Dans un autre jugement daté d’avril 2017, pour lequel on rejette l’arrêt des procédures du comité de discipline demandé par Michel Marcoux, ce dernier se disait alors victime de l’acharnement de la syndique de la CSF, ce que contestait cette dernière.
Michel Marcoux n’a pas renouvelé son permis en avril 2014, au moment où son assurance responsabilité arrivait à échéance. «Il est actuellement « adjoint administratif » et il travaille environ une journée par semaine pour la compagnie Gestion de Patrimoine ASF qui est contrôlée par son fils», lit-on dans le jugement de 2017.
Revenons au jugement du comité de discipline de la CSF d’août 2019. Selon celui-ci, le comité de discipline s’est fié à divers témoins, dont trois anciens clients d’Avantages, qui ont entamé des poursuites judiciaires pour récupérer leurs avoirs. Le comité de discipline a jugé leur témoignage crédible.
La confiance aveugle d’un client
Selon le jugement, le client O.B., bénéficiaire du compte Insect, a remis à Michel Marcoux en argent comptant des sommes importantes qu’il avait accumulées dans l’exploitation de sa pourvoirie, soit, de 2001 à 2003, des montants de 240 000 $ CA et de 125 000 $ US.
Michel Marcoux, qui lui avait suggéré de faire des investissements aux Bahamas, ce qui lui permettrait de payer moins d’impôt, «lui remettait alors un reçu plus souvent rédigé à l’arrière d’une carte professionnelle».
Le client bénéficiaire du compte Insect «avait une confiance aveugle en l’intimé», lit-on dans le jugement.
En septembre 2002, Michel Marcoux décide de changer de prête-nom pour les investissements détenus aux Bahamas pour les clients d’Avantages, lesquels passent de la Banque HSBC à Dominion Investments (Nassau), où travaille un certain Martin Tremblay, qui a été arrêté en 2006 aux États-Unis.
Le compte Insect est alors intégré au compte identifié «Fremiol», qui était contrôlé par Michel Marcoux, une fois que Dominion est devenu le prête-nom d’Avantages.
Selon le jugement, «les parts de fonds communs de placement transférées de HSBC à Dominion en septembre 2002 du compte « Insect » qui existaient à la fin août 2002 et totalisant 184 094,44 $ CA et 116 384,32 $ US ont bien été vendues par l’intimé et le produit des ventes n’a pas été remis immédiatement à O.B., mais qu’il a été détourné à d’autres fins par l’intimé».
De plus, Michel Marcoux a liquidé plus tard en 2009 les deux derniers actifs restants dans le compte Fremiol, et qui étaient au nom d’Insect. «Le produit de vente […] a été détourné du compte Insect d’O.B. par l’intimé et utilisé à d’autres fins», lit-on dans le jugement.
Selon le témoignage d’O.B., depuis le début de 2010, ce dernier a requis Michel Marcoux «de lui transmettre la valeur de ses placements, mais qu’il a toujours fait défaut de ce faire en lui donnant des raisons toujours plus fausses les unes que les autres», lit-on dans le jugement. Après avoir tenté en vain de récupérer son argent, O.B. a poursuivi au civil Michel Marcoux, en 2014.
Un client en «rembourse» un autre
Par ailleurs, le client P.N., bénéficiaire du compte Snake, avait déjà un portefeuille offshore, lequel s’est retrouvé par la suite chez Dominion Investments en septembre 2001, pour une valeur marchande totale de 320 381,28 $ US. En janvier 2003, Dominion ouvre un compte portant le pseudonyme de «Snake».
En 2004, P.N. transfère dans le compte Snake d’autres actifs sous la gestion d’Avantages.
«En janvier 2006, P.N. est informé par l’intimé que M. Martin Tremblay a été arrêté aux États-Unis et que les comptes de Dominion chez Avantages font l’objet d’une ordonnance de blocage au Québec par le BDRVM [Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières] et que Dominion est en liquidation», lit-on dans le jugement.
Au moment de l’ordonnance de blocage obtenue par l’Autorité des marchés financiers, laquelle sera annulée en avril 2008, P.N. détient dans son compte Snake des parts dans BluMont Hirsch pour environ 354 818 $ en dollars canadiens et environ 189 000 $ US en fonds communs de placement Scivest, selon le jugement.
En juillet 2009, quelque 270 000 $ provenant du produit de la vente des parts dans BluMont Hirsch sont déposés dans le compte en fidéicommis d’Avantages et ne sont pas remis à P.N., d’après le jugement.
En novembre 2009, le compte Snake sert plutôt à envoyer 172 728,97 $ au bénéfice du cabinet De Grandpré Chait, de même qu’à envoyer un autre transfert électronique de 20 000 $ au bénéfice de ce cabinet, selon le jugement.
«La preuve prépondérante est à l’effet que ce détournement de 20 000 $ fait à partir des fonds détenus en fidéicommis au bénéfice de P.N. à son compte Snake a servi au remboursement partiel effectué à E.L. [alias le client bénéficiaire du compte Gala] pour cette même somme», lit-on dans le jugement.
Enfin, en mars 2011, Michel Marcoux a effectué une autre sortie de fonds du compte en fidéicommis d’Avantages afin qu’un transfert de 19 000 $ soit effectué pour le client Dominion «Wok», à partir du compte Snake.
«Manque d’intégrité»
Le cas du client E.L., bénéficiaire du compte Gala, montre aussi «le manque d’intégrité» de Michel Marcoux, selon le jugement.
À l’été 2005, ce client avait donné instruction à Michel Marcoux de vendre des parts de fonds communs du compte Gala pour 160 000 $ afin de lui permettre de faire un investissement immobilier avec des amis.
«Plutôt que de remettre ladite somme sans délai à E.L., celle-ci a plutôt été détenue sans justification dans le compte en fidéicommis d’Avantages jusqu’à ce que le BDRVM rende son ordonnance de blocage le 27 janvier 2016», lit-on dans le jugement.
En avril 2008, soit après le jugement rendu par la Cour du Québec qui annulait l’ordonnance de blocage du BDRVM, le client E.L. aidé de son procureur a tenté de récupérer auprès du liquidateur de Dominion ses avoirs. Il a recouvré en tout 120 000 $, en juillet et novembre 2009.
E.L a tenté en vain de récupérer le solde de 40 805,35 $, mais Michel Marcoux ne le lui a pas remis. En juin 2012, il entreprend donc des poursuites judiciaires contre Michel Marcoux et Avantages.
De plus, en mars 2005, Michel Marcoux aurait vendu pour 53 140 $ US de parts de différents fonds communs, selon le jugement. Michel Marcoux et Avantages «n’ont jamais remis à E.L.» cette somme.
Gestion incorrecte des comptes
Selon la syndique de la CSF, la gestion incorrecte et non autorisée des comptes en fidéicommis d’Avantages par Michel Marcoux lui a permis de détourner des fonds qui appartenaient à certains clients en faveur d’autres pour l’équivalent d’environ 1 M$.
En effet, «certains clients bénéficiaient d’un crédit comme s’ils bénéficiaient d’une marge de crédit auprès d’Avantages», lit-on dans le jugement.
«Le comité considère que l’existence de tous ces sous-comptes négatifs à l’intérieur des comptes en fidéicommis d’Avantages […] démontre bien que l’intimé détournait des fonds en faveur de certains clients au détriment de certains autres», lit-on dans le jugement.
«Les écritures comptables du 20 avril 2010 exécutées par l’intimé faisaient en sorte que la preuve des soldes négatifs existant pour certains clients et des soldes positifs existant pour certains autres disparaissait», y ajoute-t-on.
Suspension des procédures
Enfin, pour les 24 chefs d’accusation pour lesquels Michel Marcoux est déclaré coupable, le comité ordonne la suspension conditionnelle des procédures en raison de l’application du principe interdisant les condamnations multiples pour le même geste.
«Dans le dossier Marcoux, le comité de discipline a reconnu l’intimé coupable pour avoir contrevenu à chacun des articles de loi, mais a ordonné la suspension conditionnelle pour tous, sauf un. Et la sanction sera imposée sur l’article de loi restant», a indiqué Julie Chevrette, directrice des communications de la CSF.