Une bonne planification financière recèle de nombreuses subtilités, notamment au chapitre du portefeuille de placement. Au gré de discussions avec des conseillers, Finance et Investissement a relevé certaines ambiguïtés, des incohérences même, que nous avons jugé bon de clarifier auprès de spécialistes de la planification financière. En voici le fruit.
Revenu fixe
Une incertitude importante que nous avons relevée a trait au traitement des titres à revenu fixe, tout particulièrement lorsqu’ils font partie d’une société de gestion (GESCO). Selon un planificateur financier qui n’a pas souhaité être identifié, l’Institut québécois de planification financière (IQPF) propose d’assigner ces titres à la partie «croissance» du portefeuille d’un client. Une telle classification, juge-t-il, a un impact disproportionné sur la part à réserver aux actions dans le portefeuille du client.
Après vérification auprès de l’IQPF, aucun doute possible : «Les titres à revenu fixe, qu’ils soient à l’intérieur d’une société de portefeuille ou ailleurs, demeurent du revenu fixe», affirme Sophie Brûlotte, planificatrice financière et analyste, environnement professionnel, à l’IQPF.
Denis Preston, planificateur financier et formateur pour l’IQPF, est également formel : «L’Institut et l’AMF considèrent qu’il n’y a que deux catégories d’actifs : les titres de créance et les titres de participation. Les obligations, les CPG et les hypothèques font partie des titres de créance ; les actions font partie des titres de participation.»
Où classer les immeubles ?
On relève aussi des ambiguïtés quant au classement des immeubles. Notre interlocuteur anonyme constate que l’IQPF classe les immeubles parmi les titres de «croissance» (de façon plus rigoureuse : les titres de participation). Vérification faite, c’est exact.
Or, peut-on vraiment considérer un immeuble comme un actif de «croissance», surtout quand on considère les dépenses qu’il entraîne ? Encore une fois, si l’actif immobilier d’un client est à classer dans la partie «titres de participation», cela aura un impact démesuré sur l’allocation en actions du portefeuille.
Les immeubles sont considérés comme des titres de participation, «peu importe qu’ils entraînent des dépenses», tranche Sophie Brûlotte. Si on les classe du côté des actions, c’est parce qu’ils impliquent un risque de propriétaire, et non de créancier, explique Denis Preston. En tant que propriétaire, on «participe» à tout ce à quoi l’actif est soumis (notamment les dépenses et les coûts).
Pas de doute possible : l’immobilier se classe dans les titres de participation… théoriquement. En pratique ? Doit-on lui réserver une partie – potentiellement importante – de la part d’actions du portefeuille ?
Ici, traçons une distinction entre immeubles pour usage personnel (résidences principale et secondaire) et immeubles à revenus. Ces derniers «font partie de la répartition de placement du client, affirme Denis Preston. Aucune personne ayant investi dans un immeuble locatif ne m’a dit qu’elle ne le considérait pas comme un investissement».
D’accord pour mettre les immeubles à revenus dans la répartition de placement, mais dans ce cas, leur valeur de titres de participation va rogner l’allocation réservée aux actions. C’est un geste que certains planificateurs financiers sont réticents à poser, d’autant plus que «l’IQPF ne publie pas de normes pour la répartition d’actif, mais des recommandations», comme le note Denis Preston.
«J’ai peine à catégoriser les immeubles dans les actions ou les revenus fixes, d’autant plus qu’ils n’ont pas la même volatilité que les marchés», dit Martin Dupras, planificateur financier et président de ConFor financiers, et ancien président de l’IQPF.
«Pour ma part, je les classe dans une catégorie séparée. La résidence personnelle, puisque le client va plus probablement la vendre un jour, c’est son rôle dans le décaissement qui m’intéresse», ajoute-t-il. Quant à l’immeuble locatif, puisqu’il sera probablement vendu lui aussi, «ce qui m’intéresse, c’est comment il influera sur le capital du client».
Même son de cloche de la part de Jean-François Labbé, planificateur financier chez Investia Services financiers. «Je ne mets pas l’immeuble à revenu d’un client dans son portefeuille. Si je le considérais comme les actions, ça veut dire que je devrais en tenir compte dans le REER, par exemple», dit-il.
«Pour moi, c’est un placement « autre ». C’est comme l’entreprise dont un client peut être propriétaire. Je n’en tiens pas compte dans l’allocation d’actifs à l’intérieur de son portefeuille», précise Jean-François Labbé.
Ici, une distinction s’impose entre le bilan financier et le portefeuille de placement. Les immeubles et l’entreprise constituent des composantes importantes du bilan et ont un impact majeur sur les flux financiers présents et futurs, mais Martin Dupras et Jean-François Labbé les distinguent nettement du portefeuille.
Cependant, Denis Preston fait une mise en garde importante à l’égard de ce qu’il appelle les «biais d’ancrage» : «Un vieux réflexe est d’intégrer dans la répartition des placements du client seulement ce que le représentant contrôle. C’est une vision centrée sur le représentant, et non sur le client. Cela entraîne une diversification sous-optimale et une mauvaise gestion des risques pour le client.»
Impôt latent
L’impôt latent est devenu une considération prioritaire dans l’allocation du portefeuille de placement. Il n’est pas certain que tous les conseillers maîtrisent bien cette question.
Dans un passé pas trop lointain, rappelle Martin Dupras, «en prévision de leur retraite, les gens optaient automatiquement pour un REER. Mais le CELI a changé la donne».
Les impôts possibles qu’un retraité sera appelé à payer (l’impôt latent) sont devenus prioritaires dans le plan financier. Cette question détermine, par exemple, «la part qu’on réserve au CELI ou au REER, souligne Jean-François Labbé. C’est de première importance. Je vois beaucoup de clients qui sont mal structurés à ce chapitre. Les sociétés de placement et les banques ont poussé sur leurs fonds de fonds et ça déséquilibre les portefeuilles».
Selon lui, pour certains clients, il est davantage optimal, par exemple, d’inclure les titres à revenu fixe dans le REER, et les actions, dans le CELI, ce que ne permettent pas les fonds de fonds ou des fonds équilibrés.
Denis Preston fait référence à une page de l’IQPF où une matrice permet de prévoir l’impact sur le capital futur de différents taux d’imposition, taux de rendement et d’emprunt. Un tel calcul aide non seulement à évaluer s’il faut privilégier un REER, un CELI ou un compte non enregistré, mais il permet aussi de voir s’il ne vaut pas mieux de rembourser en priorité une hypothèque.
Évidemment, fait ressortir Denis Preston, «tout le défi est de bien prévoir le taux d’imposition à la retraite».