Par exemple, lorsqu’il a été approché afin de succéder à Richard Gagnon à la tête d’Humania, Stéphane Rochon a rapidement annoncé ses couleurs. «Si vous voulez continuer « petit train va loin », ce qui est une stratégie très légitime, je ne suis pas la bonne personne. Cependant, si vous voulez regarder vers l’avenir, c’est-à-dire procéder à la numérisation complète de l’organisation, je vais être votre gars. Sachez toutefois que lorsque l’on parle de numérisation, c’est du risque, du changement de compétences, de la restructuration interne. Bref, c’est complètement autre chose.»
Sa nomination, rendue publique en novembre 2016, a réjoui Richard Gagnon, qui quittait Humania pour la retraite après 13 ans passés en poste.
«J’étais très content de le voir me remplacer, confirme Richard Gagnon. Stéphane, c’est un hyper-actif, un visionnaire intuitif qui a une soif insatiable d’apprendre. C’est monsieur innovation et, bien qu’il soit très centré sur les résultats, il documente ses intuitions avant de sauter dans la mêlée.»
Richard Gagnon connaît bien Stéphane Rochon, qui est entré une première fois chez Humania, alors connu comme La Survivance, en 2003. Il y a passé plus de 12 ans à titre de vice-président aux ventes avant d’aller chez Munich Re Canada, en janvier 2016.
À l’époque, l’assureur de Saint-Hyacinthe venait de faire le virage des agents captifs vers le courtage. «Le problème, c’est que le portfolio de produits n’était pas du tout adapté à ce marché et que parmi les 120 gars ayant passé du statut d’agent à celui de courtier, il y en a 60 qui n’ont pas suivi. Mon mandat a donc consisté à refaire le portefeuille de produits et à bâtir un réseau de distribution», évoque Stéphane Rochon.
Une série de produits a alors été lancée et de nouveaux marchés ont été ouverts. Au tournant des années 2010, le nombre de conseillers était trop élevé et il a fallu revoir le modèle d’affaires, indique Stéphane Rochon. «Déjà, Amazon et compagnie commençaient à lever et je comprenais que des changements importants étaient requis.»
Stéphane Rochon a amorcé en 2012, à temps partiel, un MBA en Affaires électroniques, E-Commerce à l’Université Laval, qu’il a terminé en 2016. Humania a lancé pour sa part en 2013 son premier produit en ligne : Assurance sans examen médical permet notamment d’assurer des gens souffrant du sida ou atteints du cancer, «ce qui était exceptionnel, car à l’époque, personne ne le faisait».
Le choix du Web s’est imposé pour ce produit. «On ne s’est alors pas dit qu’on allait devenir numérique. Seulement, c’était la meilleure solution pour aborder ce marché, puisqu’elle permet d’apporter des changements en quelques minutes, que ce soit dans le taux, les questions ou la police. Ce fut un succès, ça nous a apporté une agilité formidable et, en 2014, la décision fut prise : plus rien ne sort en format papier de chez nous et nos prochains produits seront tous numériques», raconte Stéphane Rochon.
Le lancement des produits Enfants360, puis de la plateforme web HuGO, qui intègre le recours à l’intelligence artificielle, ont suivi. S’il estime que c’est la voie qu’il fallait prendre, Stéphane Rochon confirme que ce ne fut pas facile pour autant, car le réseau de distribution n’était pas prêt. «Il faut dire que les courtiers sont assez âgés, mais nous n’avons pas voulu faire de bimode, avec du papier et du Web. Nous avons dit : » Vous voulez vendre chez nous, vous allez vendre comme ça ».»
HuGO connaît un grand succès commercial, affirme Stéphane Rochon. Plus de 1 400 conseillers à l’échelle du Canada utilisaient la plateforme HuGO à la fin de décembre 2017, et la valeur des couvertures d’assurance vie souscrites par cette plateforme était de 2,5 G$. Rappelons que HuGO est une plateforme web qui utilise l’analyse prédictive pour évaluer les risques de décès. Elle permet aux conseillers en sécurité financière d’offrir jusqu’à 1 M$ d’assurance vie temporaire en 15 minutes pour environ 65 % des clients, sans papier ni signature.
Bien qu’au 31 décembre 2016 40 % des ventes d’Humania étaient effectuées en ligne par l’entremise de conseillers indépendants, Stéphane Rochon est formel : «Notre plus grand défi, c’est de changer le comportement du courtier.»
Le retour de Stéphane Rochon dans le giron d’Humania en 2016 a accéléré le virage numérique de l’assureur. Aujourd’hui, dit-il, la culture de l’entreprise est à la limite d’une culture de start-up. Les produits sont développés dans un mode agile, les livrables sont toutes les deux semaines et les projets sont conclus en quatre mois. Auparavant, il fallait des mois pour penser un produit.
Cette évolution a nécessité une adaptation de la part des employés, et elle ne fut pas aisée, confirme-t-il. Humania a investi beaucoup en formation continue et mise sur la rétroaction. «C’est fou à quel point, quand tu reconnais les succès, tu récoltes de l’adhésion. Et je le répète, le but, c’est de faire grandir l’entreprise à Saint-Hyacinthe.»
Humania Assurance, dont les origines remontent à 1874, compte environ 200 employés en incluant ceux de ses filiales, et sert plus de 200 000 mutualistes. Son actif totalisait 535 M$ au 31 décembre 2016, en hausse de 21 M$ par rapport à 2015.
S’il évalue le taux de croissance du chiffre d’affaires enregistré au Québec à 10 %, Stéphane Rochon est d’avis que le développement d’Humania viendra de l’extérieur du Québec, principalement de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. En 2016, 43 % des ventes d’assurance individuelle d’Humania Assurance et de sa filiale La Survivance-Voyage ont été réalisées hors Québec.
Coup du destin
Dès l’âge de 15 ans, ce natif de Joliette a un plan : étudier à l’Université McGill afin d’en ressortir bilingue, puis évoluer dans le monde des affaires. Stéphane Rochon obtient son diplôme de McGill en marketing et entrepreneuriat, avec distinction, en 1995. Pour la suite, une rencontre avec Michel Desbiens, alors chez Great-West Life, l’amène à revoir ses plans.
Lorsque Michel Desbiens commence à lui faire découvrir le secteur de l’assurance, Stéphane Rochon se souvient de son père, impliqué dans un accident de voiture lorsqu’il avait 15 ans.
«Il était avec un ami, qui est mort dans l’accident. Mon père a été en incapacité pendant près de 18 mois. Il exploitait à cette époque une vitrerie industrielle qui avait notamment installé les fenêtres à la Place Ville-Marie. Cette journée-là, il a tout perdu, y compris sa business. Alors, lorsque Michel Desbiens m’a parlé d’assurance invalidité, j’ai fait le lien. Si mon père avait pu compter sur un certain montant chaque mois, ça aurait changé totalement le cours de sa vie et de la mienne.»
Stéphane Rochon a travaillé chez Great-West de 1995 à 1999. Il a quitté l’assureur au profit du Groupe Cloutier, pour des raisons familiales. «J’avais deux enfants en bas âge, ma conjointe était aux études et le pas suivant chez Great-West était d’aller travailler à Winnipeg. Ça ne cadrait pas dans mon plan de carrière.»
Le Groupe Cloutier l’a recruté à titre de spécialiste en prestations du vivant. «Aujourd’hui, c’est commun, mais à l’époque, engager quelqu’un en prestations du vivant était très innovateur.» Stéphane Rochon a passé quatre ans au sein de l’entreprise familiale, puis La Survivance l’a approché, en 2003.
En 2016, il quitte La Survivance, maintenant appelée Humania, pour Munich Re. Il y reste un an. Stéphane Rochon mentionne : «J’étais très heureux chez Humania, mais Munich Re avait un mandat très intéressant, à forte saveur technologique, qui m’a intéressé.»
Il estime d’ailleurs que l’industrie a beaucoup de retard en matière technologique, et pour cette raison, il est favorable à la modernisation de la législation telle que proposée dans le projet de loi 141, bien qu’elle ne soit pas parfaite.
Il se dit d’ailleurs déçu de certaines interventions relatives au projet de loi 141. «Des organismes ont choisi de se battre contre le vent en s’opposant à tout, plutôt que de cibler des éléments clés visant à améliorer l’ensemble. Par exemple, devrait-on exiger l’uniformisation du texte d’une temporaire 10 ans ? Est-ce que la loi devrait dire : 500 000 $ et plus, c’est interdit sur le Web ?»
Une partie de la population est mal servie par le réseau traditionnel, tout simplement parce qu’il n’est pas rentable pour un conseiller de s’occuper de certains types de clients. Commençons par là, lance Stéphane Rochon : «Marie, 24 ans, qui achète une copropriété de 200 000 $, elle n’est pas assez payante avec sa police de 180 $.»
C’est pourquoi il est d’avis que la vente par Internet a sa place – avec un accès à un conseiller certifié – et il compte sur la complexité des produits pour limiter le volume d’achats transitant par ce canal. «Je crois au multicanal. Je ne crois pas à Internet, je crois dans le fait d’offrir le choix. Donner le choix d’un modèle flexible va permettre d’ouvrir un marché d’assurance à des gens qui n’en ont pas, et d’assurer des gens qui, présentement, ne sont pas assurables.»
L’implantation de plateformes web permettrait au consommateur de magasiner, de s’instruire et d’entamer une transaction, et ferait migrer le rôle de conseiller qui prospecte vers un rôle de conseiller de bureau attendant les appels et offrant davantage de services-conseils, croit-il. «Les marges seraient moindres, mais le volume beaucoup plus grand.»
Stéphane Rochon estime que ce sont les distributeurs et non les assureurs qui vont vendre en direct et offrir du multicanal. «Les cabinets ou les courtiers, parce que leur présence sur le Web est minimale, ne sont pas structurés pour générer du trafic. C’est pourquoi il est si intéressant d’être proche d’un réseau de distribution, comme nous le sommes avec Aurrea Signature, qui travaille depuis longtemps sur le référencement.»
Quant à l’avenir, Humania prévoit lancer en mai, sur le Web, un portefeuille de produits destinés aux baby-boomers. Le véritable grand chantier sera toutefois celui de l’assurance invalidité, prochaine étape d’évolution d’HuGO, confirme Stéphane Rochon.
Après, difficile de dire comment évoluera Humania. «Ce que je sais, c’est que 100 % de ce que nous ferons sera numérique, et que je ne veux pas me battre contre les gros assureurs. Nous avons fait du temporaire 10 et 20 ans parce que le marché était énorme et que personne n’en faisait. Le jour où il y aura 50 assureurs qui feront du numérique, moi, je serai ailleurs», lance Stéphane Rochon.