Essentiellement, les assureurs, les cabinets de services financiers et les sites de comparaison de prix auraient chacun leur propre encadrement réglementaire, avec les risques que cela comporte pour la protection du public, d’après une analyse du projet de loi 141 d’Option consommateurs et des Chambres.
L’Autorité des marchés financiers (AMF) ne partage pas cette crainte et promet de créer des règles additionnelles selon lesquelles «la barre sera élevée pour les cabinets et les assureurs qui voudront mettre en place» une offre entièrement automatisée.
Ainsi, selon Option consommateurs, le projet de loi 141 adopte une définition trop restrictive des sites Internet de comparaison de prix en assurance. En effet, ces sites devraient s’inscrire comme cabinet lorsqu’ils toucheront «une commission ou une autre rétribution en fonction de la vente de produits financiers ou de la fourniture de services financiers».
Ce libellé ne tient pas compte d’autres modèles qui existent, lit-on dans le mémoire d’Option consommateurs : «L’on peut penser aux sites de comparaison de prix qui ne reçoivent pas ce type de rémunération, voire qui sont « gratuits » pour les consommateurs et les entreprises. Ces sites tirent leur revenu notamment en vendant les renseignements personnels des consommateurs à des tiers (pour des fins de publicité ciblée) ou en obtenant une rétribution en fonction du nombre de visites sur une page.»
«Il y a un réel risque que ces sites se retrouvent régis par les règles de droit commun, et ce, sans bénéficier des protections supplémentaires octroyées aux consommateurs», fait valoir Option consommateurs. Cet organisme redoute que ne s’appliquent à ces sites ni l’encadrement de l’industrie financière ni la Loi sur la protection du consommateur.
Il serait catastrophique, aux yeux d’Option consommateurs, que ces sites soient considérés comme des intermédiaires numériques au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information. Selon cette loi, les intermédiaires numériques bénéficient d’un régime de responsabilité allégé.
Afin de résoudre cet imbroglio, il suffit d’élargir le libellé de l’article 486 du projet de loi 141 afin d’obliger tous les sites qui exercent des activités associées aux sites de comparaison de prix à s’inscrire comme cabinet, indépendamment de leur mode de rémunération, d’après Option consommateurs : «Ce serait une grave erreur de ne pas le faire.»
Deux régimes distincts ?
Par ailleurs, les assureurs et les cabinets auraient des régimes d’encadrement différents, d’après la lecture que font la CSF et la ChAD du projet de loi 141.
Maya Raic, présidente-directrice générale de la ChAD, évoquait les écarts entre les régimes dans un récent éditorial : «Par exemple, l’assureur n’a aucune obligation d’avoir une personne certifiée à son emploi, alors que le cabinet doit en avoir au moins une, peu importe la taille de son cabinet. Par exemple, l’assureur n’a qu’un devoir d’information sur la garantie et les exclusions, les détails pour déclarer un sinistre et l’information concernant une plainte, alors que le cabinet a un devoir de conseil en fonction des besoins identifiés. À cet égard, comment se traduira cette obligation de conseil si un produit est vendu sans l’intervention d’un humain ? Enfin, un délai de résolution permettant au consommateur de résilier sa police est prévu si le produit est acheté via un assureur, mais pas via un cabinet. Obligations différentes : la confusion du consommateur à l’endroit de l’industrie ne peut qu’être amplifiée !»
Selon elle, le consommateur «devrait avoir les mêmes droits, les mêmes protections, les mêmes recours», peu importe le canal de distribution.
La possible mise en place de deux régimes distincts créera de la confusion et un traitement inéquitable qui n’est pas souhaitable pour la protection du public, lit-on dans le mémoire de la CSF : «Lorsqu’une personne voudra se procurer un produit d’assurance en ligne, même si elle pourra parler avec des « personnes physiques » qui pourront l’informer et la conseiller, ces dernières n’auront pas l’obligation d’être certifiées, et ne seront pas imputables personnellement de leurs actes, ce qui constitue un net recul pour la protection du public.» Par exemple, les personnes qui ne sont pas des représentants ne sont pas couvertes par le Fonds d’indemnisation des services financiers, qui peut indemniser les clients en cas de malversation.
La CSF est favorable à l’utilisation de la technologie, mais demande l’intervention d’une personne certifiée, même par Internet.
Option consommateurs souligne aussi que le projet de loi pourrait laisser croire qu’il y a deux régimes applicables. «Cela est apparent en matière d’obligation d’information des entreprises. Cela est également apparent quant au devoir de conseil. Ainsi, un cabinet a une obligation de conseil et d’analyse des besoins, alors qu’un assureur semble n’avoir qu’une obligation d’information», lit-on dans le mémoire d’Option consommateurs.
«Cela peut avoir un impact significatif sur la protection des consommateurs, puisque l’obligation d’information et de conseil est à géométrie variable, ajoute l’organisme. L’obligation de conseil est l’obligation de donner un avis à une personne, dans l’intérêt de celle-ci. Elle implique qu’il faut porter un jugement sur la qualité de l’information. Pour sa part, l’obligation d’information n’implique que la communication de certaines informations.»
Selon Option consommateurs, le projet de loi 141 n’est pas limpide quant à l’obligation ou non, pour les assureurs qui veulent distribuer des produits d’assurance en ligne, de s’inscrire à titre de cabinet.
Protection équivalente
Dans son mémoire sur le projet de loi 141, l’AMF souligne qu’elle veillera à ce que la protection du consommateur soit équivalente, quel que soit le canal qu’il aura choisi pour conclure une transaction d’assurance, que ce soit avec l’intervention d’un représentant certifié ou par Internet.
«Que la distribution d’un produit d’assurance intervienne par Internet ou en personne par un représentant certifié, le consommateur doit être protégé de la même façon, les attentes de l’AMF envers les assureurs et les cabinets demeurant toujours les mêmes», lit-on dans ce mémoire.
Les règles mises en place par l’AMF compléteront la nouvelle loi. Celles-ci verront à ce que le consommateur ait «l’information nécessaire à la prise d’une décision éclairée, pour tout type de produit, et que le produit qu’il choisira finalement lui convienne». L’assureur et le cabinet devront notamment, par des moyens technologiques, aviser le client s’il choisit un produit qui ne correspond pas à ce besoin, note l’AMF.
Dans son mémoire, le régulateur québécois atténue la crainte que n’importe quelle personne physique non certifiée puisse donner du conseil en assurance : «Il est clair pour l’AMF que la personne qui interviendra dans le cours d’une transaction en vue d’aider et de répondre aux questions du consommateur relativement au produit d’assurance qu’il souhaite se procurer devra être un représentant certifié, contrairement à la personne qui offre un soutien technique ou administratif.»
En outre, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) souligne que «la vente par Internet se déroule encore aujourd’hui sans cadre juridique et sans responsabilité précise».
«Jusqu’à présent, les règles étaient floues concernant la responsabilité des assureurs et des cabinets, advenant le cas où les échanges se passent mal entre les utilisateurs, lit-on dans le mémoire de l’ACCAP. Dorénavant, un encadrement est proposé et l’AMF pourra intervenir et accompagner le consommateur lésé, peu importe la plateforme utilisée et le produit acheté.»
Par ailleurs, deux juristes, qui souhaitent garder l’anonymat, estiment que la réglementation qui découlera d’une possible adoption du projet de loi 141 pourrait éviter la présence potentielle de régimes distincts pour l’assureur et pour le cabinet. «Puisque nous ne connaissons pas encore les règlements d’application qui seront tôt ou tard élaborés, il est prématuré de tirer cette conclusion. Au risque de me tromper, l’encadrement à être établi par la réglementation à venir pourrait préciser certaines choses à cet égard», indique l’un de ces juristes.
Par ailleurs, le cabinet du ministre des Finances Carlos Leitão a indiqué par courriel que «d’une manière générale, on observe que les commentaires que nous avons entendus concernant l’affaiblissement de la protection du consommateur relèvent d’une mauvaise compréhension du projet de loi».
«Bien que la vente en ligne de produits d’assurance soit aujourd’hui permise par la loi, il n’y a aucun encadrement régissant les assureurs. Pour les consommateurs moins avertis, ces derniers auront toujours la possibilité de recourir à leur méthode habituelle de prise d’assurance, par ex : téléphone, courtier, etc.», poursuit le cabinet dans son courriel.