Deux directeurs de l’Autorité des marchés financiers (AMF) l’ont évoqué à l’occasion du 12e Colloque de conformité du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ), qui se déroulait à Montréal, le 24 avril dernier.
Les orientations concernant les commissions intégrées devraient faire consensus et seront suivies d’un processus de consultation où le dialogue avec l’industrie sera très important, a indiqué Hugo Lacroix, directeur principal des fonds d’investissement à l’AMF : «Ça va être un document très bien expliqué sur l’approche qu’on a prise. L’arrimage de cette approche avec les réformes ciblées sera très bien défini. On vise une date de publication d’une consultation en bonne et due forme durant l’automne 2018», a-t-il souligné.
Rappelons que les ACVM envisagent d’abolir les commissions intégrées sur les fonds d’investissement, selon leur consultation 81-408. Les commissions intégrées entraînent un décalage entre les intérêts des clients et ceux de l’industrie financière, selon elles, et elles ont évalué l’option d’interdire les commissions afin d’éviter ce conflit d’intérêts.
En 2017, l’AMF a mené une série d’activités de consultation, des tables rondes publiques et privées avec des représentants, des courtiers et des manufacturiers et a reçu 142 lettres de commentaires en réponse à cette consultation. L’AMF a aussi analysé des lettres et des mémoires confidentiels en raison des informations délicates et des données chiffrées qui s’y trouvaient.
«Les gens ont été d’une grande transparence. Ils ont donné des arguments de qualité, pas des arguments dogmatiques. Ils nous ont permis de mieux évaluer les conséquences inattendues de l’abolition des commissions», a indiqué Hugo Lacroix. Il a noté que personne ne souhaite restreindre l’accès au conseil en interdisant les commissions.
L’AMF a aussi sondé 27 investisseurs par l’entremise de groupes de discussion pour connaître leur réelle compréhension de l’industrie. «Si on lui présente l’aperçu du fonds, l’investisseur moyen est capable de comprendre certaines informations par rapport aux frais des fonds. On a aussi observé que les investisseurs qui avaient eu des discussions sur les frais lors d’une rencontre avec leur représentant avaient une meilleure connaissance des frais associés aux fonds et de la rémunération de leur courtier que ceux qui n’avaient pas eu ces discussions», a expliqué Mathieu Simard, conseiller expert, fonds d’investissement, à l’AMF.
En novembre, Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF, soulignait que les orientations qui seront prises en juin devraient «faire largement consensus».
«On pense qu’on va arriver à une proposition réglementaire pragmatique, au sens qu’elle prend en compte la spécificité du secteur de l’épargne collective et aussi des besoins réellement exprimés par les investisseurs», a indiqué Hugo Lacroix.
L’AMF entend maintenir les canaux de communication ouverts avec l’industrie concernant les prochaines étapes réglementaires, a souligné Hugo Lacroix : «On n’arrêtera pas le dialogue parce qu’on propose des modifications. Le dialogue va être aussi important, sinon plus.»
Cinq réformes prioritaires
Par ailleurs, lors du colloque, Louise Gauthier, directrice principale des politiques d’encadrement de la distribution à l’AMF, a indiqué que l’industrie saura mieux en juin comment les ACVM prévoient rehausser les obligations des conseillers, des courtiers et des représentants envers leurs clients, à travers des réformes ciblées.
Comme l’indique le document de consultation 33-404, les ACVM veulent rehausser les obligations notamment en matière de connaissance du client, de connaissance du produit, de convenance, de gestion des conflits d’intérêts et d’information sur la relation. Ces cinq éléments sont prioritaires aux yeux des ACVM. Durant les consultations qui ont suivi la publication de l’avis 33-404, plusieurs membres de l’industrie avaient reproché l’absence de considérations pratiques de certaines réformes ciblées. D’autres avaient souligné que certaines obligations proposées engendreraient une avalanche de poursuites judiciaires.
«On reste avec la conviction que les cinq préoccupations qu’on avait par rapport à la relation client-inscrit demeurent importantes à régler. Oui, ça va être un rehaussement. Ce qui nous a été exprimé, soit les difficultés pratiques à réaliser [certaines mesures proposées], nous en avons tenu compte. Ce n’est pas la fin des discussions. Ça va amener l’industrie à réfléchir sur quelque chose de très précis», a expliqué Louise Gauthier, en marge de l’événement.
«Je pense à l’application des mesures relatives aux conflits d’intérêts. Les règles s’appliquent [actuellement] aux courtiers et on vient les étendre aux représentants. Aussi, pour l’obligation de convenance, par exemple, qui s’applique seulement au moment de la transaction, on va l’élargir pour que la convenance s’applique de manière plus holistique au portefeuille», a ajouté Louise Gauthier.
Les ACVM ont aussi écarté de la première phase l’encadrement des titres et des désignations des représentants inscrits, car elles considéraient avoir besoin d’en discuter davantage avec l’industrie, a-t-elle précisé.
L’AMF entend consulter encore une fois l’industrie afin d’avoir sa rétroaction. «Des tables rondes et des séances d’information, on va en avoir encore beaucoup. On est très conscient que ça amène des changements dans les systèmes de conformité et les processus des firmes», a mentionné Louise Gauthier.
Incitatifs à problèmes ?
Selon Louise Gauthier, l’AMF souhaite aussi pousser la réflexion sur la gestion des incitatifs à la distribution d’assurance de personnes à l’échelle pancanadienne et entend travailler dans les prochains mois à mettre au point un encadrement en ce sens.
Le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA), dont fait partie l’AMF, a diffusé une directive sur la conduite des activités d’assurance et le traitement équitable des clients, au début de mai. Selon celle-ci, entre autres, les assureurs et intermédiaires doivent, «avant de conclure un contrat d’assurance, éviter ou gérer adéquatement tout conflit d’intérêts potentiel». Ils doivent aussi «s’assurer que les conflits d’intérêts sont communiqués adéquatement et que cela ne fait pas porter au client un fardeau déraisonnable».
Les structures de rémunération, les cibles de rendement ou les critères de gestion du rendement sont insuffisamment liés aux résultats attendus par les clients et peuvent encourager «l’adoption de comportements ayant pour conséquence des ventes inadéquates, une incidence négative sur la qualité du service fourni ou un manquement aux obligations de l’assureur ou de l’intermédiaire envers le client», selon la directive.
L’un des incitatifs les plus contestés est celui des concours de vente en distribution d’assurance de personnes. Depuis des années, l’AMF soulignait les risques des concours de vente notamment sur le plan du décalage entre les intérêts des représentants et ceux de leurs clients. En janvier 2016, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) recommandait aux assureurs et aux cabinets de distribution de produits d’assurance d’adapter leur pratique pour chasser la perception de conflits d’intérêts associée à ce genre de concours de vente. Plusieurs assureurs ont alors retiré leurs concours de vente, mais pas tous et pas de manière uniforme dans l’industrie.
«L’industrie s’est autoréglementée. Est-ce que nos craintes sont complètement disparues par rapport aux concours de vente ? Non», a noté Louise Gauthier.
«Les assureurs s’autodisciplinent en matière de concours de vente. Mais ce ne sont pas l’ensemble des assureurs qui ont pris les mêmes décisions. Il va falloir qu’on soit plus clair dans nos attentes à l’échelle pancanadienne», a-t-elle ajouté.
Selon Louise Gauthier, les concours de vente sont un des éléments de la réflexion sur la gestion des incitatifs qui ont fait l’objet d’une consultation auprès de l’industrie de l’assurance de personnes en 2017.
«La réflexion, on va la faire avec l’industrie. Du côté de l’assurance de personnes, on a des discussions avec l’ACCAP qui nous laissent croire qu’ils nous voient très bien revenir», a-t-elle noté.
Par ailleurs, la gestion des conflits d’intérêts découlant des incitatifs en valeurs mobilières sera abordée dans le cadre de la consultation réglementaire sur le rehaussement des obligations des courtiers et des représentants, qui devrait être rendue publique en juin. «Ça va finir par arriver tout en même temps, les consultations en valeurs mobilières, celles en assurance du côté des conflits d’intérêts et de la gestion des incitatifs pour éviter les conflits. On voit que ça chemine différemment. Ça chemine en parallèle et on va s’organiser pour que tout cela soit harmonisé», a dit Louise Gauthier.