«Je suis énormément déçu de l’absence des agents généraux dans le projet de loi 141. Les assureurs nous incitent à superviser les conseillers alors que nous n’avons pas les moyens de le faire !» s’exclame James McMahon, président Québec du Groupe Financier Horizons.
Rappelons qu’à l’heure actuelle, les agents généraux ont le même statut juridique, auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de la Chambre de la sécurité financière (CSF), qu’un conseiller solo qui générerait 150 000 $ de primes par année.
«Et pourtant, notre rôle n’est vraiment pas le même. Nous avons besoin d’un statut juridique pour exercer les fonctions de supervision que les assureurs nous demandent de plus en plus d’exercer auprès des conseillers», affirme Guy Duhaime, président-fondateur du Groupe Financier Multi Courtage. Le patron de l’agent général de Saint-Hyacinthe s’en désole. «Le projet de loi 141 est une occasion manquée !» dit-il.
De son côté, Yan Charbonneau, président-directeur général d’AFL Groupe financier, avait «espoir» que la refonte de la loi sur l’encadrement du secteur financier aboutisse à la reconnaissance juridique des agents généraux.
«En étant juridiquement reconnus, tous les agents généraux auraient eu les mêmes obligations. Or, en 2019, certains agents généraux n’ont pas de services de conformité dignes de ce nom. Par conséquent, ils n’ont pas à en payer les coûts élevés, ce qui fausse le jeu de la concurrence. De plus, les conseillers faisant affaire avec ces agents généraux sont moins bien encadrés, ce qui peut avoir un impact négatif sur la clientèle», affirme Yan Charbonneau.
Selon Dominic Demers, président de la Financière S_Entiel, nul doute : la situation actuelle ne saurait perdurer indéfiniment. «Il est temps que l’AMF reconnaisse les agents généraux. Et si cela entraîne l’agent général unique, ce sera pour le mieux. Nous pourrons alors faire adéquatement notre travail de conformité, ce qui rendra les conseillers plus efficaces», signale-t-il.
Dominic Demers résume ainsi l’enjeu de la conformité : «Les agents généraux ne voudront pas s’occuper de la conformité d’un conseiller s’ils ne reçoivent pas 100 % de ses affaires. Ils ne verront pas tout et ils vont forcer les conseillers à faire un choix. En étant mieux outillés, les conseillers serviront mieux leurs clientèles.»
Réactions mitigées
Président et directeur des opérations du Groupe Financier Maestro, Mario Couture n’est pas mécontent de l’absence des agents généraux du projet de loi 141. À ses yeux, la reconnaissance juridique pourrait susciter une dynamique qui finirait par éliminer les agents généraux de moins grande taille et ainsi affaiblir la concurrence.
«Je ne suis pas malheureux du fait que la loi 141 ne fasse pas mention des agents généraux. Souvenons-nous du mémoire de 2012 d’un regroupement d’agents généraux. On y trouvait les ingrédients de la disparition des petits agents généraux» dit-il.
Présenté à l’AMF et à la CSF en 2012, ce mémoire demandait alors que le rôle d’intermédiaire des agents généraux soit inscrit dans la Loi sur la distribution de produits et services financiers. Il proposait également que chaque représentant ne fasse affaire qu’avec un seul agent général.
Le directeur des finances et chef de conformité chez Aurrea Signature, Adrien Legault, signale avoir eu une «réaction mitigée» à l’égard du projet de loi 141.
«Notre crainte, c’est d’avoir éventuellement des obligations de surveillance et de conformité trop rigides à l’égard des conseillers. Chaque conseiller a ses opinions professionnelles sur divers dossiers et nous pensons qu’il faut en tenir compte. Par exemple, ce n’est pas parce qu’un client a 65 ans qu’il a nécessairement les mêmes objectifs financiers que la moyenne des clients de 65 ans. Il faut préserver l’indépendance professionnelle des conseillers», signale l’avocat Adrien Legault.
Le chef de conformité d’Aurrea suggère ainsi que la question de la reconnaissance juridique des agents généraux pourrait être formulée trop tôt. Le secteur devrait débattre au préalable de la nature de son rôle éventuel de supervision des représentants.
La question était prématurée
La question de la reconnaissance légale des agents généraux était-elle prématurée ?
C’est ce que croient Gino-Sébastian Savard, président et chef de la direction de MICA Services financiers, et Caroline Thibeault, directrice générale du Groupe SFGT.
«Ce n’était pas dans l’air du temps. L’industrie n’avait d’yeux que pour les thématiques de la vente sur Internet et de l’abolition possible de la Chambre de la sécurité financière», évoque le patron de MICA.
D’après Caroline Thibeault, l’AMF pourrait être en train de préparer le terrain pour une future intervention.
«Depuis 2018, l’AMF demande, lors du processus d’inscription des cabinets, de dire si le cabinet est un agent général. L’AMF veut aussi connaître les liens d’affaires entre cabinets et agents généraux. Une fois cette étape de reconnaissance de terrain franchie, l’AMF pourrait décider d’aller de l’avant par rapport à la reconnaissance juridique des agents généraux», dit-elle.
Même son de cloche chez Gino-Sébastian Savard : «En dressant la carte des forces en présence, l’AMF me semble vouloir mieux comprendre l’écosystème de l’assurance de personnes.»
Quelle forme pourrait prendre une éventuelle intervention de l’AMF ? Caroline Thibeault se dit en faveur d’une reconnaissance qui reposerait sur un code de déontologie ainsi que sur un ensemble de normes, par exemple la capacité d’exercer des fonctions de conformité.
De cette façon, estime Caroline Thibeault, les assureurs renonceraient à leurs critères officieux de production minimale. «Les assureurs définissent actuellement les agents généraux selon leur volume d’affaires. Cela entraîne des problèmes déontologiques», dit-elle.