L’année 2019 pourrait s’avérer éprouvante pour les investisseurs, car de nombreuses incertitudes flottent dans l’air : la direction des taux d’intérêt, le spectre d’une récession, le sort du commerce international, la santé de l’économie mondiale et celle de la Chine tout particulièrement. Dans ce contexte, nous avons demandé à quelques stratèges de nous dire quel actif pourrait sortir gagnant de l’année en cours. Certaines réponses surprennent.
Le choix le plus inattendu nous vient d’Alex Bellefleur, économiste en chef et stratège chez Placements Mackenzie, à Montréal. Il privilégie les devises de pays émergents. Ce type d’actif se trouve « avantagé » par « le ralentissement de l’économie chinoise et par la politique restrictive de la Réserve fédérale américaine », explique-t-il.
Ainsi, le peso mexicain et le réal brésilien « sont sous-évalués présentement », note le spécialiste, tandis que « la roupie indienne et la livre turque devraient se renforcer au cours de 2019 ». Cela tiendra en grande partie aux déplacements des capitaux, qui cherchent à quitter ces pays afin de se réfugier dans le dollar américain.
Pour résister à ces flux, « les banques centrales de ces pays ont haussé leurs taux d’intérêt assez fortement », dit Alex Bellefleur. Par exemple, en septembre dernier, la Turquie a relevé de 625 points de base son taux directeur d’un jour, qui est ainsi passé à 24 %.
Le Mexique est le marché préféré du stratège, où les hausses de taux, tout en étant plus modestes, demeurent importantes. L’avantage du marché mexicain tient à sa profondeur et à sa grande liquidité, car beaucoup d’investisseurs, plus particulièrement les fonds de couverture, « adoptent le Mexique comme première destination pour ajuster leurs portefeuilles à la marge », note-t-il.
Le fait que plusieurs monnaies de pays développés affichent des coûts d’emprunt très bas, même négatifs dans certains cas, continuera de rendre attrayantes les opérations de portage (carry trade) dans les marchés de change en 2019. Tandis que le taux directeur est de 2,41 % aux États-Unis, « l’euro et le yen sont des devises affichant des taux négatifs à -0,4 %, ajoute le spécialiste. Les obligations de 10 ans du gouvernement allemand sont à -0,1 % aujourd’hui. On paye l’Allemagne pour avoir le privilège de lui prêter de l’argent ! »
Renversement de situation
Les actions de pays émergents emportent la faveur de Vincent Delisle, cochef des placements chez Hexavest, et de David Tulk, gestionnaire de portefeuille et membre de l’équipe d’allocation d’actifs mondiaux chez Fidelity Investments.
« Comme les prix des actions chinoises et les marchés émergents semblent déjà refléter les nouvelles négatives liées aux tensions commerciales, nous croyons que les perspectives risque-rendement des marchés émergents, des actions chinoises et du Japon sont supérieures à celles des États-Unis », juge Vincent Delisle.
Il pense que la résilience de l’économie américaine a été le fait saillant macroéconomique de 2018. Toutefois, « nous pourrions observer un renversement de situation en 2019, alors que l’économie américaine montre maintenant des signes d’essoufflement ».
« La croissance mondiale demeure positive, et les pays émergents montrent une grande sensibilité aux marchés mondiaux », souligne pour sa part David Tulk.
Ce ne sont pas tant les titres américains que les titres canadiens qui le rendent sceptique. « Le marché immobilier et l’endettement des ménages au Canada, de même qu’un manque d’appui pour les exportations et l’investissement d’affaires, laissent l’économie sans moteur de croissance, explique-t-il. On ne veut donc pas favoriser le Canada à ce moment-ci du cycle économique. C’est pourquoi nous sommes sous-pondérés en actions canadiennes et surpondérés en actions de marchés émergents. »
Se protéger des risques de récession
En raison des risques de récession, aucun des spécialistes que Finance et Investissement a consultés n’a de paroles encourageantes à l’égard des actions canadiennes et américaines, même si l’interruption des hausses de taux d’intérêt par les banques centrales favorise les actions.
Par contre, les titres obligataires regagnent la faveur de la plupart de nos intervenants. « La valeur de diversification revient du côté des obligations, affirme Alex Bellefleur. En 2018, elles faisaient peur parce que leur corrélation avec les actions se renforçait, mais en décembre, avec la forte correction des Bourses, les obligations se sont raffermies. »
Durant toute la dernière année, « les investisseurs se déplaçaient vers les actions, mais il faut maintenant considérer une allocation accrue d’obligations dans les portefeuilles », juge Jean Charbonneau, vice-président principal et gestionnaire d’un portefeuille obligataire chez Placements AGF, à Toronto. « Le revenu fixe pourrait mieux se comporter sur le plan du rapport risque-rendement. Il pourrait constituer la meilleure partie du portefeuille en 2019. »
C’est un point de vue que partage Judith Chan, directrice, solutions de gestion de portefeuille chez Gestion mondiale d’actifs Banque Scotia, à Toronto. « De nombreuses personnes voient le revenu fixe comme un préservateur de liquidité et de capital qui pourrait le mieux s’en tirer en 2019, dit-elle. Même si les taux ne font que demeurer stables, le revenu fixe pourrait remporter les honneurs cette année. »
Jean Charbonneau propose de diversifier le portefeuille obligataire dans tous les types d’actif : les titres de qualité des gouvernements et des provinces autant que les titres à haut rendement d’entreprises. Ces derniers pourraient « bien se comporter si la croissance économique demeure faible et si on ne tombe pas en récession, soutient-il. Par exemple, l’indice High Yield Barclays donne un rendement supérieur à 7 %. Seulement en achetant cet indice, un investisseur peut aller chercher 7 % en 2019. »
Et bien sûr, la possibilité d’une récession demeure présente à l’esprit de tous, ce que Jean Charbonneau envisage avec philosophie : « Si l’économie tombe en récession, les taux d’intérêt vont sans doute baisser, et ça ne peut que favoriser les obligations. »
Enfin, Alex Bellefleur a quelques bons mots pour un des actifs les plus mal aimés de l’économie canadienne : le pétrole, qui pourrait être parmi les secteurs gagnants de 2019. « La baisse de la production en Alberta a rétabli l’équilibre de l’offre et de la demande, souligne-t-il. L’offre s’adapte et les prix se raffermissent. »