La difficulté provient du fait que les plus jeunes d’entre nous cotisent beaucoup plus qu’ils ne devraient le faire, en raison des largesses du RRQ à ses débuts. Ce dernier a versé de pleines rentes à des retraités qui n’avaient cotisé que quelques années et à des taux de cotisation très faibles de surcroît. D’où la double comptabilité afin de s’assurer que les nouvelles cotisations ne servent pas à renflouer le régime de base. Pourquoi ne pas pousser la réflexion plus loin ?
Trop grosse, la caisse ?
Un des premiers risques qui se posent est celui de l’ingérence politique. «Il est arrivé dans l’histoire qu’on ait utilisé la CDPQ à des fins plus interventionnistes que ne le veut le mandat actuel de cette dernière», souligne Thomas Dorval, président-directeur général du Conseil du patronat du Québec.
Il ne s’agit en aucun cas de remettre en question la direction de la CDPQ, insiste Thomas Dorval. «Concentrer autant d’épargne entre les mains d’une seule équipe, même si son travail est excellent, pose des risques», poursuit-il.
Il rappelle d’ailleurs qu’entre 2040 et 2045, selon les projections de Retraite Québec, les réserves du régime supplémentaire seront supérieures à celles du régime de base. En fait, les réserves du RRQ constitueront alors un des plus gros portefeuilles, en proportion du PIB du pays d’origine, géré par une seule équipe, selon Thomas Dorval.
Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), n’adhère pas à cette vision des choses. «Il y aura une comptabilité distincte entre les deux régimes, mais je suis convaincu que la Caisse conservera le mandat de gérer la totalité des cotisations, avance l’ancien vice-président de la CDPQ. On a besoin au Québec d’un acteur capable d’oeuvrer sur la scène internationale. Par exemple, si une société d’envergure internationale envisage de faire un road show, elle s’interrogera à savoir si elle s’arrêtera à Montréal. Or, il y a très peu d’institutions au Québec qui ont la taille requise pour attirer ces firmes internationales ici.»
Michel Nadeau rappelle que, parfois, la taille d’un gestionnaire lui permet de prendre des risques qu’un plus petit acteur ne pourrait pas se permettre de courir : «Prenons, par exemple, le Fondaction de la CSN. Il ne peut pas se permettre d’investir 100 M$ dans un projet un peu plus risqué. Souvent, pour être invité à participer à une offre d’achat ou un financement public, il faut être en mesure de contribuer un ticket d’entrée de 100 ou 200 M$, voire plus.»
Richard Guay, qui enseigne maintenant la finance à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, abonde. «Prenez l’exemple du REM [projet de train électrique dans la région de Montréal]. On peut être pour ou contre, mais si l’on suppose pour les fins de notre discussion qu’il s’agit d’un bon projet, il est évident qu’une caisse qui n’aurait que 50 G$ d’actif ne pourrait pas investir 5 G$ ou 10 % de ses actifs dans ce projet», illustre-t-il.
Michel Nadeau fait un lien avec le fonds souverain norvégien, dont les actifs dépassent déjà les 1 200 G$. «Chaque famille norvégienne serait millionnaire si l’on redistribuait les actifs du fonds», avance-t-il. En comparaison, les actifs totaux sous gestion de la CDPQ (286,5 G$) représentent environ 35 500 $ par Québécois, soit environ 75 % du PIB québécois contre 270 % pour le fonds norvégien.
Richard Guay met quelques bémols. «Oui, les nouvelles entrées prévues constituent une somme colossale, mais à partir de quel seuil tranchera-t-on que la Caisse est trop grosse ?» Il préfère souligner les avantages et les inconvénients des diverses options.
Richard Guay rappelle d’ailleurs que le gouvernement fédéral a fait le choix d’avoir deux institutions plutôt qu’une seule. Le Régime de pensions du Canada (l’équivalent du RRQ) est géré par l’Office d’investissement du RPC, établi à Toronto (317 G$ d’actifs, soit plus que la Caisse) ; quant aux caisses de retraite des fonctionnaires fédéraux, des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie royale (136 G$, équivalent du RREGOP au Québec), elles sont gérées par l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public (Investissements PSP), installé à Montréal.
Quelle option choisir pour le Québec ? «Si la Caisse dispose d’une bonne équipe de gestion avec des mécanismes de gouvernance adéquats en place, sa taille ne pose pas de problèmes», dit Richard Guay. Quels seraient alors les avantages de diviser les actifs entre plusieurs institutions ?
«Une grosse institution permet d’avoir accès à de nombreux outils de placement et d’investir partout sur la planète. Si l’on a des gestionnaires bien formés soumis à des règles de gouvernance adéquates, le risque de dérapage est faible. Or, cela ne se passe pas toujours comme cela en réalité, relativise Richard Guay. Si l’on n’a qu’une seule caisse, il est plus difficile d’évaluer sa performance. Avec deux ou plusieurs institutions, il peut s’installer une forme de concurrence entre elles. Les gens pourraient se demander pourquoi l’une a de meilleurs résultats que l’autre.»
De plus, compte tenu de la sous-capitalisation du régime de base, il pourrait être tentant de puiser dans le régime supplémentaire pour compenser. «Cela serait plus difficile si deux organismes indépendants gèrent chacun des régimes. Si je me mets dans la peau de mes enfants qui sont dans la vingtaine, je peux comprendre que cela soit rassurant», explique Richard Guay.
Le risque le plus important associé au fait d’avoir une grosse caisse ne serait donc pas du côté de la concentration excessive de l’épargne, mais plutôt de celui de la gouvernance. «Si l’on adhère à des règles de bonne gouvernance, cela ne devrait pas poser de problèmes», considère Richard Guay.
Et les gestionnaires locaux ?
Pourquoi ne pas confier une partie de ces actifs à des gestionnaires québécois afin de solidifier l’écosystème financier ? Pour Thomas Dorval, il peut s’agir d’une piste intéressante : «Nous n’avons pas de position à ce sujet, mais il y a là une réflexion à faire.»
Richard Guay se fait plus sceptique. «En théorie, c’est beau, mais de là à concevoir qu’un gestionnaire à la CDPQ, qui gagne, disons, 150 000 $ [un salaire concurrentiel si l’on considère la sécurité d’emploi et autres avantages] et qui gère 150 M$, accepte de donner, sans se faire tordre le bras, un mandat de 50 M$ à un gestionnaire de Jarislowsky Fraser ou d’une autre firme qui gagne deux ou trois fois son salaire…»
Il y aurait donc énormément de réticence à surmonter au sein de la CDPQ pour arriver à une solution semblable. Surtout que cela risquerait d’inciter des gestionnaires à quitter cette dernière en faveur des firmes privées.
La problématique est-elle la même pour les plus petits gestionnaires ? «L’écosystème montréalais a besoin de nouveaux investissements vers les acteurs locaux et plus petits», affirme Philippe Hynes, président du CGE. Selon lui, les acquisitions entraînent une concentration de l’industrie, ce qui est défavorable à la formation de nouveaux acteurs.
Le Conseil a d’ailleurs mis sur pied le Programme des gestionnaires en émergence du Québec, en collaboration avec Finance Montréal, afin que des mandats soient confiés aux gestionnaires en émergence. «L’objectif serait que de 1 à 5 % des actifs des grandes caisses soient confiés à des gestionnaires émergents. Plusieurs États américains ont de telles politiques en place», remarque le CFA et président de Tonus Capital.
Richard Guay croit qu’il serait plus probable que cela se fasse dans des domaines bien précis. «Ce serait possible cependant dans des secteurs très précis, comme la biotechnologie, les jeux vidéos, etc. Un gestionnaire qui connaît très bien ces secteurs à Montréal pourrait se voir confier 50 M$, par exemple, afin d’investir dans les meilleures firmes qu’il aurait choisies, étant donné sa connaissance du milieu», concède-t-il.