Les acteurs du secteur des valeurs mobilières ont de quoi être soulagés en lisant la version finale des réformes axées sur le client, qui entreront en vigueur progressivement à partir du 31 décembre 2019.
Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont retiré des éléments des propositions initiales de modifications du règlement 31-103, lesquelles préoccupaient ces acteurs.
Ainsi, les ACVM abandonnent plusieurs éléments, dont certaines restrictions applicables aux ententes de référencement, aussi désignées comme des ententes d’indication de clients. Elles suppriment l’obligation pour la société inscrite de mettre en comparaison les titres qu’elle offre avec des titres semblables offerts sur le marché. Elles ont également retiré l’obligation pour la personne inscrite de se renseigner sur les placements ou sur les avoirs détenus ailleurs par le client.
«Je suis soulagé, parce que le règlement contient des mesures raisonnables qui vont trouver un atterrissage adéquat dans le contexte de la pratique. Personne ne devrait être trop choqué et c’est une amélioration pour le consommateur», dit Maxime Gauthier, chef de la conformité de Mérici Services Financiers.
Il souligne que les réformes actuelles sont issues des documents de consultation 33-403, sur «le devoir légal d’agir au mieux des intérêts du client de détail» (2012), et 33-404, sur le rehaussement des obligations des conseillers et des courtiers (2016). Ces documents de consultation «nous déplaisaient de manière importante et nous les considérions comme préjudiciables», dit Maxime Gauthier.
«L’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) accueille favorablement la rationalisation des changements apportés aux dispositions relatives à la connaissance du client et à l’évaluation de la convenance, lesquelles visent à mettre les intérêts des clients au premier plan, ainsi que l’ajout d’un critère d’importance à la disposition sur les conflits d’intérêts», lit-on dans un communiqué de l’IFIC.
Des membres de l’industrie s’opposaient entre autres à ce que les ACVM les obligent à définir et à gérer «tous» les conflits d’intérêts, y compris ceux qui sont immatériels. Ils craignaient que cela soit trop coûteux et difficile d’application.
Il reste que les ACVM, dont fait partie l’Autorité des marchés financiers (AMF), imposeront une série de nouvelles obligations qui touchent entre autres la connaissance du client et la connaissance du produit. Ces obligations soutiendront les obligations rehaussées en matière d’évaluation de la convenance et de conflits d’intérêts. Les ACVM ajoutent notamment de nouvelles dispositions sur les communications trompeuses.
Voici des éléments du nouveau cadre des ACVM qui donneront du travail aux agents de conformité.
Les ACVM ajoutent une «nouvelle exigence fondamentale pour les personnes inscrites de donner préséance aux intérêts des clients». Conseillers et courtiers devront s’assurer de le faire, entre autres, avant d’ouvrir un compte pour un client, d’acheter, de vendre, d’échanger ou de transférer des titres.
À ces occasions, les conseillers devront tenir compte notamment des risques de concentration dans un secteur donné, des risques d’investissement dans des placements illiquides et de l’incidence réelle et potentielle des coûts sur les rendements des placements du client.
Les conseillers et les courtiers devront également réexaminer la convenance des titres du compte du client et prendre, dans un délai raisonnable, les mesures qui s’imposent dans les cas où une nouvelle personne physique inscrite est désignée comme responsable du compte. Ils devront aussi le faire lorsqu’ils ont connaissance d’un changement dans un titre du compte ou dans l’information recueillie sur le client pouvant faire que le titre ou le compte ne respecte plus les critères d’évaluation de la convenance au client.
«Dans le cas d’achats préautorisés ou de retraits systématiques faits conformément à des programmes établis, il n’est pas obligatoire d’évaluer la convenance avant chaque achat ou retrait ; il faut toutefois l’évaluer avant d’établir un programme systématique et lorsque survient un événement entraînant l’obligation», lit-on dans l’Instruction générale que prévoient adopter les ACVM.»Si nous examinons une évaluation de la convenance, notre examen ne sera pas rétrospectif et portera sur les mesures qu’aurait prises une personne inscrite raisonnable dans les mêmes circonstances», écrivent les ACVM dans leur avis de modification de la réglementation.
Traiter les conflits d’intérêts importants
Selon le cadre, les conseillers et les courtiers devront traiter les conflits d’intérêts importants au mieux des intérêts du client.
Les sociétés inscrites devront, entre autres, repérer les conflits d’intérêts importants entre elles-mêmes et le client ou entre les conseillers et le client. Elles auront l’obligation d’éviter tout conflit d’intérêts important ne pouvant être traité autrement au mieux des intérêts du client «même si cela implique de renoncer à une occasion d’affaires ou à une rémunération intéressante». Elles devront aussi déclarer au client concerné, dans un langage simple, les conflits d’intérêts importants à l’ouverture du compte ou, dans le cas de ceux n’ayant pas été repérés avant l’ouverture, rapidement après les avoir relevés, selon l’avis des ACVM.
«Une personne inscrite ne saurait satisfaire à ses obligations de repérer et de traiter les conflits d’intérêts importants seulement en fournissant de l’information au client», soulignent les ACVM.
Les ACVM ont évité d’interdire un mode de rémunération en particulier ou encore de prohiber l’offre de produits exclusifs. «La volonté était de donner une certaine flexibilité à la façon dont les obligations allaient trouver application. Cette flexibilité était nécessaire pour tenir compte des différents modèles d’affaires», explique Frédéric Pérodeau, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution à l’AMF.
L’Instruction générale propose donc différentes mesures que les courtiers pourraient mettre en place afin de «permettre une véritable gestion des conflits d’intérêts», précise Sophie Jean, directrice de l’encadrement des intermédiaires à l’AMF.
Par exemple, pour gérer les conflits d’intérêts découlant des produits exclusifs, les sociétés pourraient envisager notamment d’«interdire les avantages pécuniaires ou non pécuniaires qui pourraient induire une partialité dans la recommandation de produits exclusifs au détriment des produits non exclusifs», d’après l’Instruction générale proposée.
Quant aux courtiers qui ne distribuent que des produits exclusifs, les ACVM s’attendent à ce que le client en soit pleinement conscient. Ces courtiers pourraient aussi évaluer périodiquement si leurs produits exclusifs sont concurrentiels par rapport à d’autres produits non exclusifs comparables sur le marché, suggèrent les ACVM.
Par rapport aux conflits d’intérêts découlant de la rémunération de tiers, les sociétés devront «démontrer que l’élaboration de la gamme de produits et les recommandations aux clients reposent sur la qualité du titre, sans égard à toute rémunération de tiers qui y est associée».
En ce qui a trait aux conflits découlant des mécanismes de rémunération et des mesures incitatives internes, les ACVM précisent que «les cibles de ventes ou de chiffre d’affaires donnent presque toujours lieu à des conflits importants […], puisque ces cibles peuvent inciter certaines personnes physiques inscrites à faire passer leurs intérêts avant ceux de leur client».
Pour gérer ces conflits d’intérêts, les courtiers pourraient notamment réduire la proportion de la rémunération variable du conseiller par rapport à sa rémunération totale et exiger le remboursement partiel des avantages ou des primes reçus par l’auteur de manquements en matière de conflits d’intérêts.
De plus, le cadre qui sera adopté prévoit d’élargir les dispenses de l’interdiction de prêter des fonds aux clients et d’ajouter une nouvelle interdiction d’emprunter des fonds aux clients, sous réserve de certaines dispenses.
«On n’interdit pas aux courtiers en placement membres de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, qui sont les seuls à pouvoir prêter sur marge, de le faire. On ne touche pas à cela», précise Sophie Jean.
Réviser le dossier client tous les trois ans
En matière de connaissance du client, les ACVM précisent la fréquence minimale à laquelle l’information recueillie sur le client doit être revue par les conseillers ou les courtiers, soit :
Dans le cas d’un compte géré, une fois tous les 12 mois ;
Dans le cas d’un courtier sur le marché dispensé, dans les 12 mois précédant la réalisation d’une opération ou la formulation d’une recommandation ;
Dans les autres cas, une fois tous les 36 mois.
«Ce ne sera pas une surprise pour l’industrie, et pas un fardeau indu. La vaste majorité des personnes inscrites le faisaient déjà», dit Sophie Jean.
«Un délai de trois ans, c’est raisonnable. Ça n’écoeure pas le client pour rien, c’est un délai qui n’est pas insoutenable sur le plan administratif et qui permet que nos obligations soient bien accomplies», dit Maxime Gauthier.
Les personnes inscrites devront mettre à jour leur information sur les clients lorsqu’elles ont connaissance d’un changement signifi- catif dans cette information.
«On parle de perte d’emploi, de divorce, de maladie grave, qui font que le client a besoin de liquidités rapidement. Ça peut aussi être un changement dans les objectifs du client [comme de ne plus vouloir s’acheter une maison ou faire un voyage en famille]. Il faut revoir les informations qui concernent le client, pour s’assurer que le compte et ce qu’il contient continuent de lui convenir», explique Sophie Jean.
Selon l’avis réglementaire, les sociétés inscrites devront s’assurer que les titres qu’elles offrent :
Ont fait l’objet d’une évaluation portant sur leurs aspects pertinents, notamment leur structure, leurs caractéristiques et leurs risques, ainsi que les frais initiaux et continus qui y sont associés, et leur incidence ;
Ont été approuvés pour être offerts aux clients ;
Sont surveillés relativement à tout changement significatif.
Les conseillers, quant à eux, devront aussi comprendre suffisamment les titres qu’ils achètent ou vendent pour un client, notamment l’incidence des frais initiaux et continus. Ils devront aussi comprendre notamment les conflits d’intérêts, le cas échéant, inhérents au titre qui découlent, par exemple, de la structure de rémunération.
Par ailleurs, les ACVM ajoutent une «nouvelle obligation de fournir une description générale des limites relatives à la sélection des produits et services qui seront offerts au client par la société inscrite, en indiquant notamment si la société offrira principalement ou seulement des produits exclusifs au client et s’il existe d’autres limites relatives à la sélection des produits ou services».
Les personnes inscrites devront aussi «transmettre une explication générale de l’incidence possible de chacun des éléments suivants sur le rendement des placements du client : les frais de fonctionnement ; les frais liés aux opérations ; les frais de gestion de fonds d’investissement ; et les frais continus qui peuvent incomber au client».
Finis, les «faux vice-présidents»
Les ACVM sonnent le glas définitivement des titres honorifiques, comme ceux de vice-président, et des autres désignations ou reconnaissances qui se fondent sur le volume de ventes d’un représentant ou le chiffre d’affaires qu’il génère. Au plus tard le 31 décembre 2021, il sera interdit d’utiliser ces titres.
Selon les ACVM, ces désignations pourraient induire un client en erreur quant aux compétences d’un conseiller, son expérience et sa qualification. «Par exemple, si l’appartenance d’une personne physique au « club du président » de la société inscrite est partiellement ou entièrement fondée sur le volume de ventes ou le chiffre d’affaires qu’elle a généré, elle ne peut utiliser cette reconnaissance ou récompense», écrivent-elles dans l’Instruction générale.
«De nombreux professionnels ou organisations vont devoir avaler une pilule de modestie», dit Maxime Gauthier, qui estime que c’est une bonne chose. «J’ai hâte de voir si l’être humain va trouver un moyen détourné de se donner des titres. Et comment vont réagir les régulateurs à ce genre de tentative de se donner un avantage concurrentiel avec un titre», ajoute-t-il.
Les réformes entreront en vigueur dans tout le Canada le 31 décembre 2019. Or, une période de transition progressive a été prévue, selon laquelle les réformes touchant les conflits d’intérêts et les dispositions connexes en matière d’information sur la relation entreront en vigueur le 31 décembre 2020, et le reste des modifications, le 31 décembre 2021.
D’après les ACVM, les personnes inscrites n’auront pas à mettre à jour l’information relative à la connaissance du client et à réévaluer la convenance des placements au 31 décembre 2021, mais doivent plutôt continuer à planifier les réévaluations selon les obligations actuelles d’ici là, et le faire conformément aux modifications par la suite. «Considérant que le projet de règlement est plus consensuel, moins invasif et raisonnable, je vis très bien avec cette période de transition d’un an à deux ans. D’ailleurs, il y a des choses dans le règlement qu’on faisait déjà en tout ou en partie», indique Maxime Gauthier.
Les ACVM prévoient d’élaborer et de proposer pour commentaires d’autres réformes touchant le règlement 31-103, dont entre autres la révision des normes de compétence ; l’imposition d’une obligation fiduciaire légale envers les clients qui accordent un mandat discrétionnaire dans les territoires n’en prévoyant pas actuellement ; la clarification du rôle de la personne désignée responsable et du chef de la conformité ; l’examen des titres et désignations, et l’examen des ententes d’indication de clients.
Maxime Gauthier soutient que la réforme actuelle ne touche que la distribution de valeurs mobilières : «J’ai très hâte de voir des mesures équivalentes qui vont toucher les secteurs des banques et de l’assurance. «
L’AMF dispose d’outils réglementaires différents lorsqu’elle traite des mêmes enjeux dans le secteur des assurances de personnes, explique Frédéric Pérodeau. Or, son objectif de traiter le consommateur de manière équitable est le même, dit-il.