«Afin d’être compétitif, il y avait intérêt à unir des forces qui sont d’ailleurs complémentaires. La région de Québec aura un grand siège social. Dans le cadre du processus de consolidation, on a déjà vu des sièges sociaux être délocalisés en Ontario. On ne retrouvera pas cela avec cette fusion», résume Isabelle Larouche, professeure à l’École d’actuariat de l’Université Laval.
Dans le secteur de la distribution, les commentaires sont louangeurs.
«C’est une très bonne nouvelle pour l’industrie québécoise de l’assurance. Nous avons un acteur plus important qui se dote d’une plus forte capacité à s’imposer dans le marché pancanadien», affirme Yan Charbonneau, président-directeur général d’AFL Groupe Financier.
«Deux joueurs moyens qui fusionnent donnent un grand joueur. En principe, les forces de chacun combleront les faiblesses existantes», dit Daniel Guillemette, président du cabinet Diversico Finances humaines.
Voilà qui rejoint les propos de Jean-François Chalifoux, président-directeur général de SSQ, tenus lors de l’annonce du projet de fusion, en janvier dernier. «Nous avons les mêmes défis, la même volonté de nous développer à l’extérieur du Québec, et s’unir prend tout son sens si l’on veut percer dans le marché canadien», avait-il dit.
«Il y avait urgence»
Selon l’ancien président et chef de la direction d’Humania Assurance, Richard Gagnon, les dirigeants de SSQ et de La Capitale ont eu l’intelligence d’agir avant d’être acculés au mur.
«Les dirigeants des deux assureurs ont eu la sagesse d’aller de l’avant alors que leurs affaires vont bien. Les attentes des consommateurs ont radicalement changé. Ils ne veulent plus attendre deux mois avant d’avoir leur police d’assurance. Les nouvelles technologies exigent des investissements massifs et les réseaux de distribution sont extrêmement coûteux», dit-il.
Maintenant administrateur et conseiller d’entreprises, Richard Gagnon rappelle que les mutuelles ont beaucoup plus de difficulté à lever des capitaux que des firmes privées ou des entreprises inscrites en Bourse. Comme elles ne peuvent pas faire d’appels publics à l’épargne, la fusion facilitera les choses.
Et le temps commençait à jouer en leur défaveur.
«Je suis de moins en moins certain que l’avenir appartient aux petits joueurs, qu’on a longtemps dit être plus agiles que les grandes organisations. Aujourd’hui, il faut une masse critique. Dans 20 ans, il aurait peut-être été trop tard, car les géants auraient pris une avance irrattrapable. Au fond, je crois qu’il y avait urgence», affirme Richard Gagnon.
Se déroulant aussi sur le front des talents, la guerre entre assureurs exige plus de ressources que jamais.
«Dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, les plus talentueux choisissent les organisations où les perspectives de développement semblent les plus prometteuses. Les grandes organisations deviennent plus attractives», dit Richard Gagnon.
Énormes défis
Les dirigeants de SSQ et de La Capitale ont certes pris un tournant historique, mais la suite ne s’écrira pas comme dans un conte pour enfants. D’énormes défis se posent.
«Le prochain défi de la fusion consistera à cerner les compétences de pointe des deux organisations, secteur par secteur. Et ensuite à donner les rênes, secteur par secteur, au partenaire ayant les meilleures compétences», dit Richard Gagnon.
En principe, l’assurance de dommages et les services aux employés de la fonction publique du gouvernement du Québec sont des places fortes de La Capitale, alors que l’assurance collective et l’assurance de personnes ont davantage été développées par SSQ.
D’après Joseph Iannicelli, président et chef de la direction de la Standard Life du Canada de 2005 à 2012, «il reste toutefois beaucoup à déterminer et à raffermir».
Selon lui, le secteur de l’assurance collective n’est pas facile à piloter. «C’est un domaine à la fois très compétitif et très volatil. Il suffit que quelques groupes fassent faux bond pour modifier la situation d’ensemble», dit-il.
«Les marges bénéficiaires ne sont pas très élevées. Il faut également immobiliser de grandes masses de capitaux à titre de réserves statutaires. L’importance de l’assurance collective chez SSQ n’est pas spontanément rassurante», poursuit Joseph Iannicelli, dont l’analyse n’épargne pas, non plus, La Capitale.
«Les secteurs d’affaires de La Capitale n’avaient pas l’envergure (scale) nécessaire pour s’imposer de façon durable dans le marché canadien», juge-t-il.
En revanche, les deux assureurs réunis pourraient-ils avoir cette envergure nécessaire pour bien performer hors Québec ?
«Au Québec, ces marques ont beaucoup d’écho auprès des consommateurs et des entreprises. Mais pas dans le reste du Canada, où ces deux assureurs sont peu connus», rétorque Joseph Iannicelli.
Selon lui, la nouvelle organisation devra concentrer sa puissance de feu dans les secteurs où les concurrents font moins bonne figure ; là où des produits uniques ou innovants seront difficilement imités par d’autres assureurs.
«C’était la stratégie que nous avions suivie à la Standard Life. Nous étions le quatrième assureur en importance au Canada. Par exemple, en assurance collective, nous avions choisi de miser à fond sur les produits d’assurance invalidité. En épargne collective, nous avions choisi de mettre l’accent sur les fonds de revenu de type croissance», dit-il.
Après avoir ciblé des produits à potentiel différenciateur dans chaque secteur d’activité, le nouvel assureur aurait ensuite à repérer des distributeurs et des courtiers pouvant influencer le marché.
«Avec de meilleurs produits que ses concurrents et de bonnes commissions de vente pour ses distributeurs, le nouvel assureur pourra faire sa place. Mais cela prendra du temps. Et il y aura des batailles internes», évoque Joseph Iannicelli.
Batailles en vue
«Toute fusion implique une rationalisation des emplois – particulièrement dans la direction -, des gammes de produits, des réseaux de distribution et des fournisseurs. La nouvelle entité aura comme objectif d’augmenter la rentabilité de son capital et l’efficacité de ses opérations», convient Robert Landry.
Ancien vice-président principal d’AXA Canada, Robert Landry a déjà vécu cette expérience lors de l’achat des activités d’assurance vie d’AXA par SSQ.
L’impact de la rationalisation sera «tout d’abord visible au chapitre du conseil d’administration, des hauts dirigeants, puis des gestionnaires des réseaux de distribution», souligne Robert Landry.
Toutefois, à long terme, le modèle d’affaires mutualiste sera sous très forte pression.
«Pour devenir un joueur de premier plan au Canada, il faut du capital. Quelle sera la prochaine étape de la nouvelle entité ? La démutualisation, à l’image de Manuvie ? La fusion avec une ou d’autres mutuelles ? En assurance de personnes ou en assurances générales ?» se demande Robert Landry.
Chose certaine, conclut-il, «la SSQ a le vent dans les voiles. Elle entraînera La Capitale dans son sillage et ensemble, elles ne s’arrêteront pas là !»