Les signaux passent au vert pour le secteur de l’énergie propre, ce sous-secteur de l’investissement ESG (environnement, société, gouvernance). Celui-ci a connu des résultats mitigés au cours des dernières années, alors que s’amorce un cycle de développement et d’investissement d’une ampleur sans précédent dans les énergies renouvelables de la part des pays développés.
La loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act ou IRA) promulguée par le président Joe Biden le 16 août 2022 prévoit quelque 370 milliards de dollars (G$) US de dépenses liées au climat, apprend-on dans une note sur l’ESG de Banque Nationale Marchés financiers (BNMF). Le budget 2022 du gouvernement du Canada a introduit pour sa part des incitations fiscales et un fonds de croissance de 15 G$ pour les dépenses liées aux technologies propres, selon ce document coécrit par l’analyste Rupert Merer, de BNMF. À l’échelle planétaire, avec l’Accord de Paris, les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 G$ US chaque année jusqu’en 2025 pour décarboniser les systèmes énergétiques.
Voilà qui représente une manne d’argent frais pour le secteur de l’énergie propre, qui est au coeur de la lutte aux changements climatiques. Les investissements prévus dans ce secteur devraient atteindre 25 000 G$ dans la production et 75 000 G$ dans la modernisation du réseau et l’efficacité énergétique d’ici 2050, selon le rapport ESG sur l’énergie renouvelable 2021 de Brookfield. L’atteinte de ces objectifs mettra à contribution le secteur de l’énergie et des technologies propres, concluent les auteurs.
Ces perspectives ne sont pas remises en question par l’éventualité d’une prochaine récession, estiment les analystes de BNMF. Ils sont d’avis que les entreprises de technologies propres et d’énergies renouvelables devraient bien se comporter en 2023.
Certes, l’an dernier, des difficultés dans la chaîne d’approvisionnement et la hausse des coûts d’emprunt ont retardé certains investissements dans les infrastructures d’énergie renouvelable. Toutefois, malgré un coût d’emprunt plus élevé, « les actions des technologies propres et de l’énergie renouvelable présentent des occasions de croissance qui résistent à la récession », estiment les analystes de BNMF.
De l’eau au moulin
Cette tendance bénéficie à l’ensemble des catégories d’actifs, selon les experts, en particulier à l’univers des fonds négociés en Bourse (FNB) ESG, notamment en ce qui concerne le E, qui touche à l’aspect environnemental des placements.
« On dénombre actuellement 140 FNB catégorisés ESG au Canada pour un actif total de plus de 12 G$. C’est une démultiplication de l’offre par rapport aux 300 M$enregistrés en 2016 », signale Laurent Boukobza, vice-président et stratège FNB pour l’Est du Canada à Placements Mackenzie.
La catégorie des FNB ESG canadiens compte 8 FNB d’énergie propre qui totalisent un actif de 330 M$ en date du 7 mars 2023, avec des entrées nettes de 4 M$ en février, représentant 3% du volume des FNB ESG canadiens, selon BNMF.
BMO possède les deux principaux FNB canadiens spécialisés dans l’énergie propre, dont la série FNB du Fonds mondial la série FNB du Fonds mondial d’infrastructures d’énergie renouvelable BMO Brookfield (GRNI), créée le 1er mars 2022, qui possède un actif net de 155 M$. En 2021, la banque a lancé le Fonds FNB actions du secteur énergie propre (ZLCN), un fonds indiciel qui a récolté des actifs de 89 M$.
« Malgré le fait que 2022 s’est révélée une année difficile pour les marchés boursiers et obligataires, alors que la plupart des indices ont eu des rendements négatifs, le secteur de l’énergie propre, qui a subi une correction importante en 2021, a moins souffert », signale Erika Toth, directrice, Ventes aux institutions et conseillers pour l’Est du Canada à FNB BMO. En 2022, ce secteur a connu une hausse de 2,14% par rapport à une baisse de 31% en 2021, précise-t-elle.
La spécialiste considère le secteur de l’énergie propre comme « un secteur de croissance à long terme, mais qui peut être assez volati l», notamment chez les entreprises technologiques, davantage soumises aux cycles du marché que les entreprises d’infrastructures. Aussi, les FNB d’énergie propre ne sont pas appelés à jouer un rôle de pierre d’assise dans les portefeuilles, mais ils font bien dans une exposition satellite ou sectorielle, mentionne-t-elle.
Semer des obligations vertes
L’environnement du revenu fixe offre également des perspectives aux investisseurs interpelés par les changements climatiques. « Les obligations vertes permettent d’appuyer et d’accélérer les efforts de transition des entreprises qui cherchent à faire évoluer leur modèle d’affaires pour le rendre plus durable, car elles ont une incidence sur les structures de crédit existantes », apprend-on dans un livre vert de Mackenzie présentant les perspectives environnementales de la firme pour 2023.
De toutes les occasions offertes, John A. Cook, qui codirige l’équipe Greenchip de Mackenzie, croit que la plus grande réside dans l’énergie solaire. C’est l’un des thèmes des six secteurs environnementaux que la firme considère comme des moteurs de croissance, soit l’énergie propre, les technologies d’assainissement, les solutions d’efficacité, l’eau, l’agriculture durable, et les transports.
« Presque tout dans le secteur, de la production d’hydrogène vert aux véhicules électriques, dépend de plus en plus de l’énergie solaire. C’est moins de 3 % de la production mondiale, il y a donc beaucoup de place pour la croissance », rapporte-t-il.
Les prévisions d’installations solaires dans le monde, qui devaient être d’environ 200 gigawatts (GW) l’année dernière, ont plutôt atteint 260 GW, soit la projection établie pour 2025. Les prévisions ont été révisées à 400 GW d’ici deux ans.
La production et le recyclage des batteries électriques ainsi que l’électrification des transports sont d’autres thèmes à surveiller, selon le gestionnaire de placements spécialisé dans les technologies vertes.
Un feu vert s’allume aussi du côté du capital de risque. Après avoir déçu les investisseurs de la première vague des technologies propres (Clean Tech 1.0) de 2006 à 2011, le secteur des technologies climatiques (Climate Tech 2.0) regagne les faveurs de l’écosystème.
« Il y a eu 70 G$ investis dans le secteur des Climate Tech en 2022 à l’échelle mondiale, ce qui représente une hausse de 89 % par rapport à 2021, alors que les investissements totaux en capital de risque étaient en baisse de 42 % au cours de la même période. Cela démontre qu’on est dans un point d’inflexion pour ce marché », estime Meir Rabkin, fondateur de Blue Vision Capital, un fonds d’investissement en capital de risque consacré aux technologies pour le climat.
Selon Holon IQ, les investissements les plus importants en 2022 ont été réalisés aux États-Unis, en Europe et en Chine. En janvier 2023, on dénombrait 83 start-ups dans les technologies propres possédant une valorisation de plus d’un milliard de dollars, du jamais vu dans ce secteur, selon le financier, qui a des participations dans trois jeunes pousses québécoises pour un actif total de 40 M$. Ses secteurs de prédilection : l’efficacité énergétique des bâtiments, les solutions de mobilité, l’économie circulaire, la transition énergétique, les systèmes alimentaires et la gestion du climat.
Craintes d’écoblanchiment
Certaines entreprises pourraient être tentées de « verdir »leur bilan pour s’afficher sur le radar des investisseurs et de verser dans l’écoblanchiment pour profiter de la manne.
L’un des moyens d’éviter ce risque consiste à soumettre les données ESG des entreprises sélectionnées à une vérification rigoureuse, signale Laurent Boukobza. Or, le manque de précision, voire l’absence de réglementation dans certains cas pour définir les critères ESG, suscite des inquiétudes face à cette catégorie d’investissement.
De nouvelles règles sont venues récemment consolider l’approche en la matière. En novembre, lors de la 27e conférence sur les changements climatiques, l’ONU a présenté un rapport visant à encadrer les promesses « zéro émission nette » des entreprises. Son objectif : freiner le phénomène d’écoblanchiment qui nuit à la lutte contre la crise climatique.
Le 7 mars, le Bureau du surintendant des institutions financières a émis de nouvelles règles de divulgation pour les institutions fédérales qui les obligera, d’ici la fin de l’année prochaine, à divulguer les risques climatiques associés aux investissements.
De plus, les deux premières normes de l’International Sustainability Standards Board touchant à la divulgation de l’information financière liée au développement durable devraient être publiées d’ici la fin du deuxième trimestre 2023. L’une de ces normes, IS2, se concentre sur les informations concernant les risques et les opportunités liés au climat.
Éviter les écueils
Le fait de raffiner les critères de sélection des titres ESG contribuera à minimiser les risques que les fonds d’énergie propre soient utilisés d’une manière qui ne corresponde pas aux volontés de l’investisseur, estime Laurent Boukobza.
« Nous avons besoin de plus de transparence dans notre secteur d’investissement et d’un standard de mesure plus développé, opine Meir Rabkin. Quand nous investissons dans une start-up, en plus d’effectuer une vérification diligente complète sur la technologie développée, nous préparons également un rapport d’impact annuellement afin de permettre aux investisseurs de suivre la réduction de dioxyde de carbone que leur dollar a permis de générer. Avec cette approche, le positionnement ESG du portefeuille est beaucoup plus transparent. »
Enfin, Erika Toth souligne que pour profiter des occasions d’investissement dans la transition énergétique, les conseillers doivent avant tout bien comprendre la tolérance au risque des clients ainsi que le niveau de volatilité des fonds d’énergie propre avant de les intégrer aux solutions qu’ils proposent.