De nouvelles règles, des marchés difficiles et des impératifs stratégiques mènent les produits ESG vers une autre phase, alors que les manufacturiers se tournent vers des thèmes précis et privilégient les produits axés sur les rendements ou la réduction du risque.
Les lancements de produits ESG se sont multipliés ces dernières années, mais ils ont ralenti à la fin de 2022. Selon Morningstar, un seul fonds durable a fait son entrée sur le marché canadien au quatrième trimestre, le plus faible total en près de quatre ans.
Ce ralentissement a contrasté avec un premier trimestre record, pendant lequel 28 fonds durables ont été lancés.
Ces fluctuations qui ont ponctué l’année reflétaient la situation générale des marchés, alors que la hausse des taux et la guerre en Ukraine ont nui aux rendements, selon Fate Saghir, cheffe du développement durable à Placements Mackenzie.
« Beaucoup d’entre nous essayaient de prendre du recul et de vérifier s’ils avaient mis en place les bonnes stratégies, dit Fate Saghir. Cela reflète le marché au sens large et pas seulement celui de l’investissement durable. »
Toutefois, la baisse des titres de croissance, qui avaient généré des rendements exceptionnels pendant la pandémie et la réémergence du secteur de l’énergie comme leader du marché ont compliqué encore plus la situation pour les manufacturiers de fonds ESG.
Le moment n’était pas idéal pour lancer des produits durables, d’après Ian Tam, directeur de la recherche sur les placements pour le Canada à Morningstar. De nouvelles règles pour les gestionnaires de fonds peuvent également avoir contribué au ralentissement, selon lui. En janvier 2022, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié , à l’intention des gestionnaires de fonds, des indications quant à l’information sur les fonds d’investissement en matière d’ESG afin de lutter contre l’écoblanchiment dans ce secteur.
« Avant 2022, au Canada, il n’y avait pas vraiment de directives réglementaires sur ce qui devait être mentionné dans un prospectus, mais maintenant oui, affirme Ian Tam. Cela hausse immédiatement la barre pour les sociétés de fonds. »
Ian Tam ajoute que les exigences en matière de rapports aussi ont probablement eu une répercussion sur les types de fonds durables lancés l’an dernier. Se fondant sur les six catégories du cadre d’identification de l’investissement responsable du Comité de normalisation des fonds d’investissement du Canada (CIFSC), il a noté que beaucoup plus de nouveaux fonds ont été lancés l’an dernier en utilisant les exclusions ESG (64), l’intégration et l’évaluation ESG (55), et les meilleurs de la catégorie ESG (52) qu’en se référant aux activités d’engagement et de gestion ESG (41), à l’investissement thématique ESG (33) et à l’investissement d’impact (32). (Soixante-huit fonds durables ont été lancés l’an dernier, mais de nombreux fonds peuvent appartenir à plus d’une catégorie.)
Les trois premières catégories sont axées sur la réduction du risque ou la hausse des rendements, indique Ian Tam. Les trois autres sont censées avoir des retombées positives sur la planète ou sur la société, et exigent des rapports plus rigoureux.
Les fonds « meilleurs de la catégorie ESG » s’appuient généralement sur un indice, dit Ian Tam, tandis que les fonds d’exclusion peuvent utiliser des données provenant de manufacturiers indépendants dans leurs divulgations. Ils sont donc un peu plus faciles à émettre.
D’autre part, les manufacturiers de fonds d’engagement ESG sont tenus de déclarer leurs votes par procuration et leur engagement auprès des émetteurs, souligne Ian Tam. Les fonds d’impact doivent démontrer leur action – par exemple, en réduisant leur empreinte carbone et en expliquant le processus d’obtention de la réduction.
« C’est beaucoup de travail pour le gestionnaire de portefeuille, juge-t-il. Selon moi, il y en a moins parce que la barre est plus haute. »
Après le lancement d’un si grand nombre de fonds ces dernières années, le secteur a peut-être aussi atteint un point de saturation, du moins sur le plan des types de fonds ESG existants.
« La plupart d’entre nous ont maintenant sur leurs tablettes un fonds de marché large de type meilleur de sa catégorie, fait remarquer Fate Saghir. Ce qui sera vraiment intéressant – à mesure que les classifications et les normes de divulgation émergent –, c’est ce que nous pourrons faire avec ces données en matière d’investissements plus thématiques. »
Les ACVM réexaminent maintenant leurs propositions de normes de divulgation sur le climat pour les émetteurs après que la Securities and Exchange Commission et l’International Sustainability Standards Board ont publié leurs propres propositions. Quand des règles définitives seront établies, les sociétés de fonds surveilleront la manière dont les informations peuvent être utilisées dans les produits, observe Fate Saghir.
Considérant tous ces éléments, les produits ESG pourraient entrer dans une nouvelle phase.
Selon Tiffany Zhang, analyste en FNB à la Financière Banque Nationale, de nombreux produits ESG ressemblaient traditionnellement aux produits indiciels larges, avec une faible part active. Mais maintenant, estime-t-elle, « le concept d’ESG devient plus concret et plus tangible. » Cela signifie que les investisseurs peuvent maintenant sélectionner des thèmes comme l’énergie renouvelable, les équipes de gestion de fonds exclusivement féminines ou l’or exploité de manière responsable.
« Les investisseurs peuvent vraiment choisir ce qu’ils croient être ESG », précise Tiffany Zhang.
Au moment de mettre sous presse, les seuls FNB ESG lancés au Canada cette année étaient une série de produits à dividendes d’Invesco Canada.
Fate Saghir s’attend à ce que davantage de produits soient lancés avec un objectif précis.
« J’ignore si nous avons actuellement les composantes nécessaires à la construction d’un portefeuille [ESG] réellement diversifié. J’imagine que des lancements combleront certaines de ces failles. »
Entre-temps, la classification CIFSC peut aider les conseillers à faire un tri parmi les centaines de produits offerts, mais les conversations avec vos clients sur l’importance de l’ESG à leurs yeux resteront importantes.
Charles Provost, conseiller en gestion de patrimoine au Groupe de gestion de patrimoine Vo-Dignard Provost de la Financière Banque Nationale, à Montréal, explique que son équipe ne se limite pas aux fonds identifiés ESG lorsqu’elle bâtit des portefeuilles durables pour les clients.
« Nous avons remarqué que certains fonds sont étiquetés ESG, mais quand on creuse, on constate qu’ils ne sont peut-être pas parfaits, dit-il. À l’inverse, des fonds qui ne sont pas étiquetés ESG répondent à nos critères. Nous ne nous limitons pas aux produits étiquetés ESG. »