Il est temps que l’industrie des services financiers place les intérêts des petits investisseurs au premier plan. Cela passe par l’imposition d’une norme fiduciaire claire, accompagnée de mesures concrètes visant à limiter les conflits d’intérêts, et par l’accessibilité de l’information nécessaire à la prise de décision d’investissement.
Prenons l’exemple des conflits d’intérêts liés aux frais et à la rémunération. On conçoit facilement que des courtiers et des conseillers soient tentés de proposer des placements parmi ceux qui leur rapportent le plus. De fait, il a été démontré que les frais et commissions intégrées des fonds d’investissement faussent les flux d’investissements, parce que les ventes sont influencées par d’autres facteurs que l’intérêt des clients, nommément le paiement de commissions.
Certains participants du marché jugent que le paiement de commissions maintient l’accessibilité des services-conseils aux investisseurs ayant des actifs en deçà d’un certain seuil de rentabilité. Néanmoins, ces dernières années, dans la foulée de la controverse relative aux conflits d’intérêts liés aux commissions à la transaction, de nombreux conseillers en placement ont adopté la rémunération à honoraires basée sur un pourcentage fixe des actifs qui leur sont confiés. En 2018, 64 % du revenu brut généré par un conseiller en placement qui travaille pour une firme de courtage de plein exercice provenaient de ces honoraires, selon le Top des courtiers québécois 2018 de Finance et Investissement. Des conseillers ont fait valoir que remplacer les commissions à la transaction par des honoraires fixes ne fait que déplacer les conflits d’intérêts potentiels. Par exemple, un client qui payait peu de commissions à la transaction parce qu’il négociait peu ses titres pourrait devoir payer davantage dans un compte à honoraires.
Émettre cet argument équivaut à admettre le problème : le risque fiduciaire et le mode de rémunération sont intimement liés. L’abolition de ces commissions et l’imposition d’une norme législative claire exigeant que les conseillers et les courtiers travaillent dans l’intérêt supérieur de leurs clients, comme l’a maintes fois recommandé FAIR, sont un enjeu crucial.
L’autre danger est de prêcher dans le désert. Le Canada est l’un des pays où les frais des fonds communs sont les plus élevés au monde. Or, les investisseurs ne sont pas en mesure de calculer les frais qu’ils paient, parce que ceux-ci sont, sinon cachés, difficiles à cerner. De toute évidence, l’utilisation de formules empiriques pour évaluer la somme des commissions et des frais qui seront payés au cours de la vie active d’un investisseur n’est pas à la portée de tous ! Or, une variation de frais minime peut faire une différence énorme sur les avoirs à la retraite. Par exemple, une étude a démontré que, sur une période de 40 ans et pour un investisseur qui épargnerait 10 000 $ par an, une augmentation des frais d’environ 110 points de base peut résulter en une réduction des avoirs à la retraite de 156 000 $.
Si les investisseurs ne connaissent pas les frais réels – et s’ils sont même incapables d’accéder à cette information -, ils seront certainement vulnérables aux abus. Et que penser de ceux qui ne sont pas en mesure de prendre des décisions averties, par exemple les investisseurs âgés ou malades ? Comment s’assurer qu’ils bénéficient du soutien et de la protection nécessaires ? La société et les autorités de réglementation doivent s’intéresser à la question. FAIR Canada a d’ailleurs publié un rapport à ce sujet.
Il appartient peut-être aux autorités de prendre des initiatives visant à rendre l’information nécessaire accessible, gratuitement, facilement et de manière standardisée. Pourquoi pas par l’intermédiaire d’un portail national des valeurs mobilières, créé par les autorités de réglementation provinciales ou en collaboration avec elles ? Sortir les petits investisseurs de l’ombre, leur donner les outils nécessaires pour évaluer leurs options et exercer leur jugement pourrait permettre une plus grande pression sur le marché et l’émergence de meilleures options.
À la fin de 2019, les réformes axées sur le client des Autorités canadiennes en valeurs mobilières entreront en vigueur au Canada. Ces réformes au règlement 31-103 viennent obliger courtiers et conseillers à donner préséance aux intérêts des clients. D’ici à ce que les conflits d’intérêts patents soient éliminés et qu’une norme fiduciaire soit bel et bien intégrée au Canada, nous espérons que ces nouvelles règles permettront d’améliorer l’expérience des petits investisseurs.
FAIR Canada est un organisme neutre qui s’intéresse au sort des petits investisseurs et défend leurs intérêts depuis 2008. Depuis sa fondation, les experts de FAIR Canada se mettent volontairement au service des petits investisseurs, en offrant des ateliers juridiques en collaboration avec l’École de droit Osgoode Hall de l’Université York et en soumettant des recommandations aux autorités de réglementation, par exemple. Ces 10 dernières années n’ont pas suffi toutefois : la lutte pour faire passer les intérêts des petits investisseurs au premier plan est encore criante d’actualité et les intervenants neutres et compétents, tels que FAIR, sont plus pertinents que jamais. Si vous vous intéressez à la mission de FAIR, abonnez-vous à ses bulletins électroniques en vous rendant à cette adresse.
Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada)