La faiblesse relative des taux d’intérêt a fait bondir la somme qu’un client peut recevoir en échange de la rente promise par son régime de retraite à prestations déterminées (PD), ce qu’on désigne comme la valeur de transfert. Lorsqu’un client envisage d’opter pour cette valeur, on doit considérer bon nombre de facteurs. En voici quelques-uns, qui ont été évoqués lors du dernier congrès de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), en octobre.
À cette occasion, on a présenté le cas fictif d’une cliente dans la quarantaine, mariée et toujours en couple, qui participe à un régime à prestations déterminées dans le cadre de son emploi. Elle cotise 5 % de son salaire de base et sa rente acquise est de 1,3 % de la moyenne de ses cinq derniers salaires. Après 10 ans de participation au régime, elle envisage de devenir travailleuse autonome et, à la fin de son emploi, de prendre la valeur de transfert.
Cette dernière option lui serait offerte considérant qu’elle a moins de 55 ans et qu’elle a accumulé dans son régime suffisamment de droits. « Si la valeur accumulée dans le régime est inférieure à 20 % du MGA [maximum des gains admissibles], il y a de grandes chances que le régime de retraite force le transfert. Le régime ne veut généralement pas gérer de petites sommes, à cause des frais administratifs », expliquait Mélanie Beauvais, conseillère principale, Centre d’expertise Planification financière, Banque Nationale Gestion privée 1859, lors du congrès.
La rente ou la valeur de transfert restent équivalentes mathématiquement, selon elle. « Dans la réalité, étant donné que ce sont des hypothèses qui sont utilisées pour le calcul de la valeur de transfert, il faut considérer les éléments qui ont un effet sur la situation personnelle du client par rapport aux hypothèses utilisées », lit-on dans le cahier du participant au congrès de l’IQPF, rédigé entre autres par Mélanie Beauvais.
Profil d’investisseur
Lorsqu’un client choisit la valeur de transfert, il devrait être en mesure d’obtenir un rendement net de frais supérieur au taux d’intérêt utilisé par l’actuaire qui calcule la valeur de transfert. En avril 2021, ces taux étaient de 1,90 % pour les 10 premières années et de 3,50 % par la suite pour les rentes non indexées. Pour les rentes indexées, ces taux étaient respectivement à cette date de 0,80 % et de 1,40 %.
En prenant en considération les taux pour une rente non indexée et des frais de gestion de 2,0 %, le participant doit investir dans les placements pour avoir un rendement moyen d’environ 4,0 % à 5,5 % (avant les frais). « Pour obtenir ce niveau de rendement, il faut la plupart du temps inclure un pourcentage assez important d’actions dans ses placements, c’est-à-dire que le client a un profil d’investisseur avec un seuil de tolérance aux risques élevé », lit-on dans le cahier du congrès.
« On va avoir un biais à prendre la valeur de transfert quand on a un profil plus audacieux, alors que si on a un profil conservateur, on va avoir un avantage à prendre la rente », a noté Mélanie Beauvais.
Il faut également considérer quelle sera l’aversion au risque du client à 85 ans ou même à 90 ans. « Selon différentes expériences et études, il devient de plus en plus difficile de gérer les fluctuations des marchés en vieillissant », lit-on dans le cahier.
Solvabilité du régime
Dans les faits, les rendements que doit obtenir le client, après frais, afin de favoriser la valeur de rachat risquent d’être encore plus élevés pour les régimes sous juridiction québécoise dont le degré de solvabilité est inférieur à 100 %. En effet, le paiement de la valeur, autrement que sous forme de versements périodiques, peut être fait en fonction du degré de solvabilité du régime.
Ainsi, si le degré de solvabilité est de 90 %, la valeur de transfert représentera 90 % du montant qu’un client aurait reçu si le régime était pleinement solvable.
« Si la situation financière du régime est moins bonne, je peux laisser sur la table un certain pourcentage et le régime n’aura pas à me le rembourser dans deux ans ou cinq ans, car le lien est coupé », a expliqué Mélanie Beauvais.
La question de la solvabilité devient importante lorsqu’on considère le risque de faillite de l’employeur. Dans ce cas, les sommes accumulées dans la caisse de retraite restent disponibles. Or, elles ne seraient peut-être pas suffisantes pour payer toutes les rentes promises. Résultat: celles-ci peuvent être révisées à la baisse.
Un client peut potentiellement gérer ce risque en utilisant la valeur de rachat pour souscrire une rente viagère si cette option l’intéresse, même si cela comporte des frais liés à ce type de produit.
Santé et risque de longévité
La valeur de transfert « est essentiellement le montant nécessaire pour payer la rente jusqu’à l’espérance de vie ». Donc, un client qui croit qu’il décédera à un âge supérieur à cette espérance de vie devrait obtenir, de ses placements, vie devrait obtenir, de ses placements, un rendement après frais encore plus élevé que celui présenté s’il choisit la valeur de transfert. L’inverse est vrai.
Selon Mélanie Beauvais, un homme de 60 ans a une chance sur deux de vivre jusqu’à l’âge de 89 ans et une femme de 60 ans, la même probabilité de célébrer son 91e anniversaire. De plus, un couple de 60 ans a 10 % de chances qu’au moins l’un d’entre eux vive au-delà de 101 ans.
« Il ne faut pas faire l’erreur de vouloir épuiser le capital à l’espérance de vie du client, puisque cela amène 50 % de chances qu’il manque d’argent. En choisissant la valeur de transfert, il faut être en mesure de gérer les sommes afin d’en avoir assez puisque le plus grand risque à la retraite est de survivre à son capital », apprend-on dans le cahier du congrès.
Souvent, lorsqu’un client opte pour la valeur de transfert, il décaissera avec prudence et, au final, fera des retraits moins élevés que la rente qu’il aurait eue, a noté Mélanie Beauvais: « La rente était garantie du vivant et même, parfois, sur la vie de son conjoint. Il ne faut pas sous-estimer le risque de longévité. »
Le choix de la rente permet de réduire le risque de longévité, par la mutualisation des risques: l’argent de ceux qui meurent plus tôt équivaut à peu près à l’argent nécessaire pour payer ceux qui vivent plus longtemps, selon le document du congrès.
En choisissant la valeur, le participant sort du groupe et ne participe plus à cette mutualisation du risque de longévité. « Il ne bénéficie plus des décès rapides pour continuer à recevoir le versement de sa rente ou il ne fait plus profiter le groupe de son décès rapide. Inversement, s’il reste au moment du décès des sommes de la valeur de transfert, celle-ci ira aux bénéficiaires, ce qui n’est pas tout à fait le cas pour le choix de la rente », apprend-on dans ce document.
Par ailleurs, si l’état de santé du client fait qu’il risque de vivre plus longtemps que l’espérance de vie, la rente est une bonne option. Dans le cas contraire, il vaut peut-être mieux prendre la valeur de transfert et avoir la possibilité de laisser un héritage.
« Toutefois, une mauvaise génétique ou une mauvaise santé ne garantit pas que l’on meure jeune, mais plutôt que les frais médicaux pourraient être élevés. Il ne faut pas sous-estimer le risque de longévité. Et inversement, une bonne génétique et une bonne santé ne garantissent pas une longue vie », d’après le cahier du participant.
Protection du conjoint
Les mêmes questions sur la génétique et la santé se posent pour le conjoint, qui est souvent couvert par les régimes de retraite. Ainsi, l’un des conjoints pourrait survivre à l’autre pendant une courte ou très longue période et on doit s’assurer que ce dernier aura suffisamment d’argent pour cette période. « La rente versée sera au moins égale à 60 % de la rente du rentier, à moins que le conjoint renonce à ce droit. Dans le cas de la valeur de transfert, il faut gérer les retraits afin qu’il reste suffisamment d’argent pour fournir une prestation de survivant au conjoint », souligne-t-on dans le cahier.
Fait important: la rente au conjoint survivant n’est souvent versée qu’au conjoint qualifié comme tel à la date de la retraite. « Si le client croit que sa situation personnelle risque de changer, par exemple avec un nouveau conjoint, dans la majorité des cas, le nouveau conjoint ne sera pas admissible à la prestation du conjoint survivant », lit-on dans le document. Selon Mélanie Beauvais, opter pour la valeur de transfert offre la souplesse à un client qui pourrait vouloir subvenir aux besoins d’un nouveau conjoint qui ne serait pas admissible au moment de la prise de retraite.
Considérations fiscales
Un client peut transférer à l’abri de l’impôt une valeur qui est limitée par un plafond établi par les règles fiscales. Or, notamment en raison de la faiblesse des taux d’intérêt et de la générosité de certains régimes, la valeur de transfert peut être supérieure à ce qu’il est permis de transférer dans un compte de retraite immobilisé ou dans un REER immobilisé. Résultat, à moins de cotiser la portion excédentaire dans un REER si le client a des droits inutilisés, cette part est imposable immédiatement et peut représenter un montant important.
« C’est comme si on venait immédiatement se couper d’un certain montant, alors qu’avec la rente on peut étaler la facture fiscale, car on est imposé au moment où on recevra sa rente mensuellement », a noté Mélanie Beauvais.
Par ailleurs, le client qui souhaite recevoir une rente avant 65 ans devrait considérer l’avantage fiscal du fractionnement de revenu. En effet, le revenu provenant d’un régime de pension agréé peut être fractionné à tout âge au palier d’imposition fédéral et à 65 ans au Québec.
«Il est donc possible d’égaliser le revenu entre le client et son conjoint, et d’ainsi réduire la facture fiscale sur ce revenu. Le revenu d’un FRV [fonds de revenu viager] ne peut être fractionné qu’à compter de 65 ans », lit-on dans le cahier du congrès.
Avantages sociaux
Certains employeurs offrent à leurs retraités des avantages sociaux. Dans la majorité des cas, ces avantages ne leur sont accordés que s’ils reçoivent une rente du régime de retraite. Opter pour la valeur de transfert peut faire perdre ces droits. « Ces avantages sociaux peuvent représenter une somme importante. Si le client est admissible à ces avantages, il faut y réfléchir avant de les abandonner. Aucun montant concernant les avantages sociaux, ni compensation, n’est inclus dans la valeur de transfert qui est présentée dans le relevé », lit-on dans le cahier du congrès.
Documentez vos dossiers
Conseiller à un client de prendre la valeur de transfert mérite mûre réflexion. « Si, finalement, ça lui a causé un préjudice, vous avez la tête sur le billot. Le client peut avoir un recours en responsabilité professionnelle », a souligné François Archambault, planificateur financier et conseiller senior au Centre d’expertise Banque Nationale Gestion privée 1859, lors du congrès. Selon lui, il est important de bien documenter son dossier. « Le client prend sa décision en toute connaissance de cause. On voit que c’est une décision assez complexe, il y a beaucoup de critères à analyser », a-t-il ajouté.