Malgré les récents ajustements au Régime de rentes du Québec (RRQ), on devrait accroître la flexibilité des prestations publiques de retraite et faire de leur report une option plus prisée pour les futurs rentiers.
C’est l’avis des auteurs de l’étude « Quand débuter ses prestations publiques de retraite : les avantages de la flexibilité », de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke.
Selon cette l’étude, l’âge à partir duquel les Québécois demandent le début des prestations est plus élevé en 2022 qu’en 2017. « Même si seulement 8 % des nouveaux prestataires du RRQ ont 66 ans ou plus, ils n’étaient que de 4 % cinq ans plus tôt », écrivent les auteurs.
Or, demander ses prestations le plus tôt possible reste bien ancré dans la population, compte tenu des récentes années marquées par la pandémie et le télétravail.
Malgré l’avantage pour bon nombre de clients de retarder le moment où ils touchent leurs rentes du RRQ et de la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV), il y a encore beaucoup à faire pour convaincre les Québécois d’adopter cette option, selon les chercheurs.
« Reporter les rentes pour faire des gains financiers et gérer le risque de longévité est une recommandation que l’on donne depuis très longtemps », précise Daniel Laverdière, l’un des auteurs de l’étude, qui est aussi actuaire et planificateur financier.
Selon lui, les conseillers ont un rôle à jouer : « Sans être une obligation, il est du ressort du conseiller, entre autres, de mentionner à ses clients le potentiel financier de reporter des prestations. »
Il reconnaît que ce genre de conseil crée un petit conflit d’intérêts potentiel, dans la mesure où si un client n’anticipe pas ses prestations, il devra puiser davantage dans ses placements. « Cela peut moins faire l’affaire d’un conseiller. »
Cependant, si un conseiller évite le sujet ou suggère même d’anticiper les prestations publiques alors que la santé du client ne le justifie pas, il devrait se faire « taper sur les doigts », d’après Daniel Laverdière.
Au nombre des mesures proposées pour améliorer le système actuel, les chercheurs suggèrent de bonifier le facteur d’ajustement des prestations lors du report, à la fois pour la PSV et le RRQ. « [Il] devrait augmenter progressivement afin de mieux estimer l’équivalence actuarielle. » Selon eux, la méthode de calcul linéaire actuelle « n’offre pas une pleine équivalence actuarielle ». Par exemple, pour le RRQ, le facteur d’ajustement proposé serait de 0,8 % par mois à 70 ans, 0,9 % par mois à 71 ans et augmenterait progressivement par la suite, au lieu d’être stable à 0,7 % par mois entre 65 ans et 72 ans. Une telle modification encouragerait un report plus tardif, à la fois du RRQ et de la PSV.
À l’instar des membres du comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois, qui ont déposé un mémoire à la Commission des finances publiques du Québec à la suite des consultations publiques sur le Régime de rentes du Québec, les chercheurs recommandent de repousser à 75 ans l’âge maximal où une personne peut commencer à recevoir une rente de retraite du RRQ et de la PSV. « Cette modification offrirait plus de flexibilité aux retraités, tout en permettant aux travailleurs de planifier des revenus à la retraite viagers plus élevés, indexés et prévisibles. »
Les auteurs suggèrent aussi de rendre facultatives les cotisations à tous après 65 ans, ce qu’il n’est actuellement possible de faire que si un individu est bénéficiaire d’une rente du RRQ. « Malheureusement, en n’offrant qu’aux bénéficiaires d’une rente le choix de ne plus cotiser après 65 ans, on craint que plusieurs travailleurs demandent les prestations dès 65 ans […]. » Les simulations de leur étude démontrent que de se prévaloir plus tôt de sa rente n’est pourtant pas le choix optimal, au contraire.
Prolonger la période au cours de laquelle il est possible de changer d’idée après un versement du RRQ ou de la PSV serait une autre façon d’ajouter de la flexibilité au système de retraite, selon les chercheurs, qui suggèrent de faire passer le délai de 6 à 12 mois. « Pour certains, ce délai leur permettrait d’observer l’impact dans leur déclaration fiscale subséquente. »
Entre autres suggestions, les auteurs recommandent d’assouplir les règles d’immobilisation afin de permettre le retrait plus hâtif des sommes d’un REER ou d’un compte de retraite immobilisé (CRI), ce qui inciterait les gens à retarder le recours à leurs prestations publiques. « Il serait plus souhaitable que ces contraintes soient retirées », affirment les chercheurs, mentionnant que cela optimiserait leur situation à la retraite. Pour les mêmes raisons, ils suggèrent aussi de repousser l’âge limite de conversion d’un REER en FERR de 71 ans à 75 ans.
Selon deux des auteurs de l’étude, ces propositions ne mettraient pas à risque la viabilité du RRQ. « Du côté de la RRQ, c’est un régime solide. La réserve du fonds est en croissance, selon la plus récente analyse actuarielle. Et le taux de cotisation à l’équilibre est de 10,5 %, et en ce moment on cotise à 10,8 %. Il y a donc du jeu à cet égard », explique Frédérick Hallé-Rochon, chercheur à la CFFP. « C’est un ensemble de petites mesures avec un impact mineur sur la viabilité des régimes. L’idée, c’est que les gens gèrent leur retraite pendant une période avant de tomber dans un mécanisme de mutualisation », indique de son côté Daniel Laverdière.
Si les clients se mettaient tout à coup à reporter massivement leurs prestations publiques de retraite, il y aurait un coût pour ces régimes. « Une variation de 7 mois de l’âge moyen au début du versement de la rente de retraite a un effet de 0,10 % sur le taux de cotisation d’équilibre et de 0,03 % sur le taux de cotisation de référence », apprend-on dans la dernière évaluation actuarielle du RRQ.
Par contre, les réserves du RRQ augmenteraient temporairement et ce mouvement massif est peu probable : « Probablement que les rendements des trois prochaines années vont avoir plus de conséquences que lesdits reports », dit Daniel Laverdière.
Sur le plan de la PSV, ce régime n’est pas capitalisé et est basé sur la volonté à payer du gouvernement du Canada. « Elle est toujours à risque d’être modifiée », rappelle Daniel Laverdière, par exemple en diminuant le seuil minimal de revenus à partir desquels un client paierait l’impôt de récupération.
S’ils avaient à choisir une mesure à appliquer le plus rapidement, les chercheurs choisiraient la bonification du facteur d’ajustement et le relèvement de l’âge à 75 ans pour reporter la rente du RRQ. « Ce sont des avenues qui vont de pair », précisent-ils.