Les retraités craignent couramment de manquer d’argent avant de décéder. Toutefois, de nombreux aînés canadiens finissent par perdre la vie bien avant d’être à court d’argent, et se privent peut-être d’une retraite plus agréable.
Les Canadiens qui n’ont pas de régime de retraite à prestations déterminées ont peu d’options – à part les rentes, qui peuvent convenir à de nombreux retraités – pour se constituer un flux de revenu garanti à la retraite. Le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec ainsi que les prestations de la pension de la Sécurité de la vieillesse procurent des revenus réguliers, indexés à l’inflation, mais ne fournissent pas assez de revenus pour couvrir entièrement les dépenses de la plupart des retraités dont le coût de vie est de moyen à élevé.
Étant donné que les taux d’intérêt nominaux n’ont jamais été aussi bas et que les rendements réels sont négatifs, les certificats de placement garanti sont beaucoup moins attirants qu’auparavant. Les contrats de fonds distincts assortis d’une garantie de retrait à vie, une forme de rente que les compagnies d’assurance ont lancée au début des années 2000, offraient des prestations garanties et une certaine liquidité. Toutefois, l’offre a été fortement réduite après la crise financière de 2008.
Un certain nombre de nouveaux produits visent à remédier au manque de revenus de retraite.
Un nouveau fonds de Purpose Investments, de Toronto, offre à la fois un versement annuel régulier, à vie (mais non garanti) et l’engagement à maintenir un capital liquide.
Le Fonds de pension Longévité Purpose, lancé en juin dernier, est à la fois innovateur et classique. L’un des premiers fonds de son genre au Canada, ce fonds se base sur un concept identique à celui d’un instrument financier séculaire: la tontine. Les membres d’une tontine, dont l’idée remonte au 17e siècle en Europe, mettaient leur argent en commun et, par la suite, des intérêts annuels leur étaient versés jusqu’à leur décès. Au fur et à mesure que les investisseurs décédaient, les versements aux survivants augmentaient (ce qui créait des crédits de mortalité) jusqu’à ce que le dernier investisseur en vie « remporte » le solde.
Ce fonds de Purpose intègre à la fois la mutualisation de la longévité et les crédits de mortalité associés au système de tontine, en offrant un versement annuel à vie de 6,15 % du capital aux investisseurs à partir de 65 ans. À mesure que les participants vieillissent, les versements peuvent augmenter graduellement. Toutefois, à la différence d’une tontine, ce versement n’est pas garanti.
«Les garanties coûtent cher», dit Alexandra Macqueen, une planificatrice financière agréée et rédactrice de Toronto, qui se spécialise dans la planification de la retraite et les pensions. Elle a noté que le manque de garantie est compensé par la liquidité du produit de Purpose – les investisseurs peuvent retirer et conserver leur investissement initial, dont sont déduits les versements qu’ils ont reçus et les rendements des placements – et par des rendements potentiellement plus élevés ainsi que par des niveaux de risque plus élevés.
Moshe Milevsky, professeur de finance à la Schulich School of Business de l’Université York, à Toronto, a abondamment écrit sur les tontines et est un partisan d’une plus grande intégration de ce qu’il appelle « la notion de tontine » dans le contexte financier canadien.
Selon lui, le lancement de ce fonds Purpose résulte d’au moins trois forces motrices: des taux d’intérêt nominaux et réels historiquement bas; un manque de connaissance des stratégies de décaissement chez les retraités; et le fait que « les gens détestent la conversion en rente. Ils détestent le fait de confier leur argent de façon irréversible à une compagnie d’assurance. Alors, tout fonds qui leur permet de résoudre ces trois problèmes sera attirant. »
Cependant, Moshe Milevsky apprécierait des niveaux de transparence semblables à celui de la tontine: « Comment ces fonds décideront-ils exactement de ce que sera mon flux de dividendes de revenu le mois prochain ou l’an prochain ? Que verseront-ils si le marché chute de 20 %, ou s’il y a une pandémie et que [le fonds] perd la moitié des [investisseurs]? » Selon un porte-parole de l’entreprise, Purpose a mis au point un modèle propriétaire – soumis à une étude actuarielle par une tierce partie – qui utilise des hypothèses « très conservatrices » pour établir les rendements cibles du fonds. Par exemple, le modèle suppose des rendements des placements à long terme de 3,75 % et des rachats volontaires de 2 % par an, ainsi qu’une espérance de vie des investisseurs supérieure à la moyenne. Les modifications apportées à ces variables orienteront les distributions réelles, selon Purpose.
Les 75 % de travailleurs canadiens n’ayant pas de régime de retraite à prestations déterminées et tous ceux qui ne veulent pas immobiliser leur capital dans une rente sont les clients potentiels pour les fonds de longévité, a dit Moshe Milevsky. Cependant, les participants doivent avant toute chose disposer d’un capital suffisant pour investir.
Les fonds de longévité peuvent moins convenir aux retraités qui veulent transmettre un patrimoine important. Moshe Milevsky ajoute: « Une personne en mauvaise santé ne serait pas un très bon candidat. »
D’autre part, a dit Alexandra Macqueen, la structure du fonds offre un certain attrait pour le retraité en bonne santé jusqu’à maintenant et qui, après avoir investi dans le fonds, reçoit un diagnostic de maladie potentiellement mortelle. Ce client peut décider de retirer son argent et de perdre les distributions futures, afin de payer des soins infirmiers à domicile ou des soins palliatifs coûteux, par exemple, ou d’emmener sa famille en vacances une dernière fois.
Deux produits supplémentaires pourraient bientôt être disponibles au Canada. La rente viagère différée à un âge avancé (RVDAA) et la rente viagère à paiements variables (RVPV), proposées dans le budget fédéral de 2019, ont obtenu le feu vert en juin 2021 avec l’adoption du projet de loi C-30.
Les RVDAA permettront aux retraités d’allouer jusqu’à 25 % (jusqu’à un maximum de 150 000 $) des fonds qu’ils détiennent dans des comptes de retraite enregistrés à une rente différée jusqu’à l’âge de 85 ans (à la différence de l’âge de 71 ans qui était l’âge le plus avancé auquel les retraités pouvaient commencer à recevoir une rente). Les objectifs seraient de gérer le risque de longévité, de réduire la probabilité de récupération de la pension de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti, de réduire l’impôt sur le revenu en diminuant les retraits du fonds enregistré de revenu de retraite, et de se prémunir contre le risque de survivre à ses économies – tout en fournissant un flux de revenu garanti.
Les RVPV, actuellement limitées aux régimes de retraite à cotisations déterminées et aux régimes de pension agréés collectifs, intégreraient les crédits de mortalité et la mutualisation du risque de longévité aux régimes de retraite. (Les RVPV ne sont pas totalement inconnues au Canada; par exemple, l’Université de la Colombie-Britannique administre un tel régime depuis presque 60 ans, a remarqué Moshe Milevsky.)
Il faudra tout de même du temps pour que les provinces élaborent des lois portant sur ces produits, notamment les fonds de longévité, et pour que les compagnies d’assurance commencent à les offrir. Les assureurs peuvent avoir besoin que les taux d’intérêt soient régulièrement plus élevés avant de vouloir investir dans le développement et le marketing de ces produits, a dit Moshe Milevsky.
Malgré tout, les Canadiens souhaitent clairement des produits de retraite « qui dépassent les solutions traditionnelles », ajoute Alexandra Macqueen. « Ils veulent quelque chose qui se situe entre “Je donne tout mon argent à la compagnie d’assurance et c’est garanti, mais je n’ai plus mon capital” et “Je garde tout mon argent et je le gère moi-même, mais cela signifie que j’assume tous les risques”. »