Le propriétaire d’une entreprise ne peut pas se contenter de rédiger un testament. Une planification successorale complète s’impose afin de comprendre les conséquences tant légales et fiscales que financières et administratives découlant de son décès.

Quelle que soit la complexité de la structure ou la taille de l’entreprise, il ne faut pas faire fi de la situation personnelle et familiale ni du régime matrimonial dans un contexte corporatif. Par exemple, un enfant héritier qui est résident des États-Unis pourrait connaître des problèmes fiscaux ailleurs qu’au Canada s’il hérite d’actions d’une société privée canadienne.

Les règles régissant le régime matrimonial et le patrimoine familial qui ont priorité sur les legs testamentaires peuvent faire en sorte que le conjoint peut avoir droit aux valeurs accumulées dans les actions de l’entreprise, même s’il n’est pas actionnaire.

Ce serait le cas si le couple était marié sans contrat de mariage sous le régime de la société d’acquêts et si les actions de l’entreprise avaient été souscrites après le mariage.

Lors de la planification successorale, il est donc important de considérer la chronologie des événements – tels que la date du mariage, le moment de la souscription d’actions et les liquidités utilisées pour la souscription -, afin de confirmer si le conjoint survivant a droit à une certaine valeur ou non.

Outre la dissolution du régime matrimonial et ses impacts, le type d’actions doit aussi être scruté à la loupe. Le legs des actions à droit de vote et de contrôle au partenaire d’affaires peut créer une certaine ambiguïté si les actions détenues par le défunt sont à la fois à droit de vote et participantes. Puisqu’il n’est pas rare que deux actionnaires souhaitent se léguer mutuellement le contrôle de l’entreprise opérante qu’ils détiennent ensemble, une réorganisation corporative avec émission d’actions différentes, certaines détenant le vote, et d’autres, la valeur, est souvent nécessaire pour effectuer ce legs sans tracas.

Il est aussi important de considérer que les clauses prévues à une convention entre actionnaires sont prioritaires sur les legs testamentaires. Ainsi, avec un rachat automatique des actions lors d’un décès stipulé dans une convention entre actionnaires, la succession et les héritiers recevront des sommes liquides, pas des actions. Dans un tel scénario, il est important de s’assurer que la société puisse procéder à ce rachat d’actions en ayant les liquidités disponibles pour le faire. La souscription d’assurance vie par la société dont les actions sont visées servira généralement à financer la convention en fournissant les liquidités nécessaires au rachat des actions du défunt sans impact fiscal pour la succession en recevant un dividende du compte de dividende en capital. Le dividende pourrait bien être imposable pour la succession si rien de tel n’est prévu à cet effet dans les documents légaux. À vérifier.

Pour des raisons de planification fiscale, il peut aussi être opportun que la convention entre actionnaires contienne une clause de double option permettant, entre autres, le roulement des actions au conjoint survivant, tout en faisant en sorte que le coactionnaire survivant pourra racheter les actions du conjoint survivant sans soucis ni tracas… mais à quel prix ?

En présence d’actions participantes, le produit de l’assurance vie, qui n’est pas considéré dans la valeur des actions au moment du décès pour calculer les impôts du défunt, le sera pour l’évaluation de la juste valeur marchande (JVM) des actions après le décès. Mieux vaut préalablement discuter d’un mode d’évaluation de la valeur marchande qui convient aux deux parties.

Dans un contexte corporatif, il n’est pas rare de retrouver une ou des fiducies dont les biens ne sont pas transférables par testament, mais plutôt par les clauses prévues à la fiducie. Le testament devrait compléter ces clauses.

N’oublions pas non plus de considérer les legs prioritaires si l’actionnaire est, par exemple, un participant à un régime de retraite individuel (RRI), ainsi que les impôts et autres frais qui pourraient s’appliquer aux biens détenus ailleurs qu’en sol québécois.

Bref, dans le monde des affaires, des gestes sont posés trop souvent à la pièce sans que les conséquences globales soient considérées. Certains entrepreneurs sont discrets et, par souci de confidentialité, ils refusent de divulguer l’ensemble de leur situation, ce qui peut complexifier la liquidation de leur succession et entraîner des factures fiscales.

À défaut d’une bonne planification successorale, il peut être possible de faire certains choix lors du règlement de la succession, à condition que les liquidateurs agissent rapidement et consultent les bons experts. Le seul moyen de ne rien oublier dans un contexte corporatif est de prendre le temps de faire «mourir l’entrepreneur sur papier»…

Annie Boivin *

* Pl. Fin., D.Tax., TEP et vice-présidente, planification fiscale et successorale, Services Conseils, Gestion de patrimoine TD