Lorsqu’un client assujetti à un taux d’imposition élevé investit dans un compte non enregistré, il peut être plus avantageux pour lui d’opter pour la version constituée en société par actions d’un fonds d’investissement plutôt que pour celle constituée en fiducie du même fonds. Dans certaines situations, ce n’est toutefois pas le cas.
C’est l’une des conclusions qui découle d’une analyse comparative de 25 fonds d’investissement qui offrent aux clients à la fois une version structurée en société et une version en fiducie. Cette recherche, basée sur les rendements annuels après impôt de cet échantillon au cours des cinq dernières années, permet de tirer différents constats sur les fameux « fonds en catégorie », qui désignent les fonds constitués en société. Les voici.
1. La catégorie d’actif importe.
Les fonds constitués en société par actions (FCS) de titres à revenu fixe réussissent à changer les choses dans le rendement après impôt. Bien qu’ils ne soient plus très nombreux, quelques fonds de ce genre existent et ont été analysés.
C’est le cas du fonds Dynamique obligations à rendement total. En 2017, la version structurée en société a généré un rendement de 2,78 %, comparativement à 2,67 % pour la version en fiducie. Cette dernière a également versé 0,43 $ par part en intérêt, dont 0,19 $ étaient imposables, soit 2,1 % de revenu imposable distribué (la balance étant du remboursement de capital). Pour un particulier dont les revenus seraient taxés au plus haut taux marginal, ce fonds en fiducie a donc fourni un rendement de 1,49 %, et ce, avant les honoraires du conseiller. La version en société n’a quant à elle généré aucune distribution, offrant un rendement supérieur de 129 points de base (pb) pour la seule année 2017. On ne tient toutefois pas compte de l’impôt futur sur la croissance reportée, bien entendu.
En 2016, le scénario pour ce même fonds a été quelque peu différent : le rendement de la version en fiducie de ce fonds a été de 1,66 % et est passé sous la barre de 0 % une fois l’impôt au taux marginal le plus élevé payé, en raison de distributions imposables de 0,32 $ (environ 3,5 % de la valeur liquidative par part). Le rendement net d’impôt du FCS a quant à lui été positif cette année-là.
Sans aller dans le détail, il en va de même pour les années précédentes de la période d’observation.
Toujours dans l’optique d’un investisseur à haut taux marginal d’imposition, tous les fonds et portefeuilles équilibrés ou de revenu de l’échantillon présentaient un rendement après impôt plus élevé avec la version en catégorie. Cet écart de rendement favorable aux FCS est variable, mais est fréquemment supérieur à 100 pb.
L’analyse conduite a permis de constater que le rendement annuel des fonds en fiducie est en moyenne légèrement supérieur à celui de la version en société, mais cet écart ne dépasse 10 pb que très rarement. Il y a quelques occurrences de rendements supérieurs pour la version en société, mais ce n’est pas la norme. De plus, les écarts tendent à se réduire avec le temps, ce qui témoigne du rapprochement entre la composition des fonds fiduciaires et sociétaires.
Le gain fiscal a été, dans toutes les observations effectuées, plus important que la perte de rendement par rapport à la version fiducie des fonds.
Cela n’est toutefois pas aussi vrai pour les fonds d’actions, dont l’avantage en faveur des FCS existe, mais est très négligeable dans la majorité des cas. À mon avis, il est sage d’être vigilant et de bien se préparer avant d’utiliser des fonds en catégorie pour les actions, sous prétexte qu’ils seraient fiscalement avantageux. Pour cette catégorie d’actif, la question du rendement est nettement plus importante que la question fiscale.
Par ailleurs, l’analyse semble montrer qu’il ne sert à rien de choisir un fonds d’actions constitué en société uniquement afin d’éviter la distribution de revenus étrangers, lesquels sont imposés à un taux plus élevé que les dividendes canadiens ou le gain en capital. En effet, même les fonds mondiaux offerts uniquement en fiducie qui sont des leaders de marché, comme ceux d’Edgepoint, de Fiera Capital ou de Mawer, n’ont historiquement presque jamais versé de revenu étranger aux détenteurs de parts. Cela signifie que le ratio de frais de gestion est au moins équivalent aux revenus étrangers reçus. Il existe probablement certaines situations qui débordent du cadre visé par ce texte où des dividendes étrangers seraient avantageusement convertis en gain de capital par des fonds en société.
L’analyse a permis de trouver une exception à la tendance voulant que les fonds d’actions ne sont pas si avantageux dans leur version constituée en société. Les fonds d’actions à revenu de Sentry en catégorie de société ont généré un meilleur rendement après impôt que la version en fiducie.
2.Des mythes doivent être déboulonnés.
Premièrement, les FCS sont à tort perçus (ou vendus) comme des instruments permettant de retarder les gains en capital jusqu’à leur disposition. Or, à moins d’avoir des pertes accumulées dans la société, ce qui n’est le cas que d’une poignée de manufacturiers, les gains réalisés finissent par être distribués. Le timing des distributions variera par rapport à la version en fiducie dans plusieurs cas, ce qui peut permettre un peu plus de planification que pour les fonds en fiducie. Mais ce gain est marginal au point qu’il ne mérite pas qu’on en parle autant dans l’industrie.
Deuxièmement, les conseillers regardent trop souvent à tort la fiche d’information d’un fonds pour évaluer le rendement d’une solution, sans considérer sa fiscalité. Pour les fonds de revenu fixe et les fonds équilibrés d’un investisseur lourdement imposé, il ne faut pas bêtement comparer différentes options en fonction du rendement net des frais. En effet, l’impôt peut faire varier le rendement net du client de plus de 100 points de base dans de nombreux cas !
Troisièmement, il est vrai que la préoccupation fiscale est moins importante pour les clients qui paient peu d’impôt ou n’en paient pas. Cependant, on n’a pas besoin d’avoir un taux d’imposition très élevé pour bénéficier des avantages des fonds de société, puisque le rendement est à toutes fins pratiques le même pour les deux structures de fonds.
Quatrièmement, le revenu piégé (trapped income) est une chimère. Ce terme désigne des revenus étrangers et d’intérêt qui resteraient piégés dans les FCS et seraient imposés en leur sein à taux élevé. Le revenu piégé se reflète dans le ratio des frais de gestion (RFG) des fonds et peut être observé dans les états financiers. Or, après avoir épluché les états financiers des sociétés de fonds, très peu de fonds en avaient et, dans ces cas, l’effet sur le rendement était inférieur à 5 pb.
Ce sont par conséquent les petites différences telles que le nombre de titres, la liste exacte de titres, le timing des achats et des ventes ainsi que la dynamique d’achat et de rachat de titres par les détenteurs de parts (net flows) qui expliquent l’écart de rendement entre la version en fiducie et la version en catégorie d’un même fonds. En conséquence, au fil du temps, les deux portefeuilles finissent par avoir presque exactement le même rendement.
3.La croissance des actifs minimise les distributions potentielles.
Quiconque consulte les états financiers des fonds communs constitués en société constatera sans grand étonnement que les fonds qui affichent des ventes nettes voient le coût moyen des actifs augmenter et le gain en capital latent potentiel fondre, puisque les gestionnaires achètent constamment de nouvelles positions à prix croissant. Par conséquent, un fonds qui connaît une croissance de plusieurs dizaines de pourcentage de son actif chaque année peut réussir à éviter les distributions :
en ayant très peu de rééquilibrages à faire par des ventes ;
en ayant peu de gains réalisés pour honorer des demandes de retraits.
Tout en ne suggérant pas de privilégier des fonds strictement pour leurs entrées nettes, favoriser un fonds en croissance plutôt que stagnant ou en décroissance sur le plan des ventes nettes aidera à limiter les distributions. Il est probable que ceci soit aussi vrai pour les fiducies de fonds communs.
Dans cette optique, des firmes telles que Fidelity, Mackenzie ou AGF, qui ont connu de beaux succès d’entrées nettes et offrent des solutions dont le rendement est pratiquement identique en version catégorie et en version fiducie, génèrent de faibles distributions de gains en capital et devraient continuer d’être en mesure de poursuivre dans le futur.
Cet aspect a pour effet de minimiser le problème des gains latents, surtout pour des fonds qui n’ont pas un haut taux de roulement de titres. Les gains latents des parts de fonds en catégorie créent de grosses bulles d’impôt lorsque des titres connaissent une forte croissance à long terme. L’analyse conduite ne permet donc pas d’évaluer l’impact de ces deux variables sur les distributions passées ou futures des fonds en société.
4.Utiliser des données fiables afin de conduire ses analyses
Les données fournies sur les plateformes de Morningstar ne détaillent pas toujours entièrement ni correctement les données relatives aux distributions. Dans de nombreux cas, plusieurs types de distributions sont englobés sous la colonne « Intérêts », alors qu’il s’agit de revenus étrangers, de dividendes canadiens, d’intérêts ou d’une combinaison de plusieurs types de revenus. Les données relatives aux distributions de gains en capital et de remboursement de capital sont quant à elles plus fiables.
Il vaut mieux consulter les informations fournies par les sociétés de fonds sur leurs documents officiels, comme les estimés de distributions et les états financiers des fonds, ou encore communiquer avec son représentant ou le service à la clientèle afin d’effectuer une demande de service pour avoir des informations de qualité.
Limites de l’étude
Le travail des conseillers est très important dans la sélection des produits. En effet, l’analyse aurait été beaucoup plus longue, complexe et nuancée si on avait tenté de comparer des fonds différents entre eux.
Par exemple, il est fort probable qu’il vaille mieux utiliser certains fonds de revenu fixe offerts uniquement en fiducie même dans un compte pleinement imposé, puisque le rendement net demeure plus intéressant qu’un fonds en catégorie. Entre autres explications, le nombre de fonds 100 % obligations structurés en société est très bas, ce qui laisse peu de choix. De plus, le revenu d’intérêt est plus faible aujourd’hui qu’auparavant, ce qui limite les distributions imposables et augmente la proportion de rendement constitué de gain en capital (ex. : gains sur devises ; gains sur transactions liées à la gestion de la durée ou des écarts de crédit).
À mon avis, la période des cinq dernières années est assez représentative, puisque les fonds constitués en société ne disposaient généralement pas de pertes en capital accumulées. Les distributions des gains en capital sont très difficiles à éviter à long terme, puisque seules des pertes permettent d’annuler des gains sur le plan fiscal. Les frais de gestion permettent d’annuler les intérêts, les dividendes étrangers et les dividendes canadiens de manière plus prévisible que l’évitement des gains, puisque les revenus sont annulés par les dépenses sur une base annuelle. On peut donc dire qu’une des limites des fonds structurés en société est qu’ils réussissent efficacement à requalifier les revenus fiscalement moins avantageux en dividendes canadiens ou en gains de capital, mais qu’ils ne font que très peu quant aux gains en capital.
Ultimement, il ne faut pas oublier que la tolérance au risque, le profil et l’horizon de placement de l’investisseur prévalent sur la fiscalité dans l’évaluation de convenance.
Méthodologie
Pour cet exercice, j’ai fait une sélection de 25 fonds d’investissement largement répandus qui avaient chacun à la fois une version en fiducie et une version en catégorie de société. J’ai comparé les différences de rendement net d’impôt, net de frais et de traitement fiscal sur des fonds offerts en fiducie et en société, afin de dégager des tendances. Les constats s’appliquent pour les clients qui paient de l’impôt, et non pour les clients non imposés.
L’analyse ne visait pas à enquêter sur les pratiques comptables des manufacturiers de fonds communs de placement, ni à établir le degré d’équité entre les différents actionnaires d’une société de placement à capital variable, ni à comparer différents gestionnaires entre eux et à tirer des conclusions sur des fonds à prioriser.
La méthode n’a pas la prétention d’être scientifique. Les fonds ont été sélectionnés selon les critères suivants : actif sous gestion d’importance ; utilisation répandue dans le marché ; versions fiducie et catégorie disponibles pour fins de comparaison ; historique de rendement d’un minimum de 5 ans ; représentativité des maisons des fonds.
Les sources de données des distributions, du revenu piégé et des rendements qui ont été utilisées sont Morningstar, contrevérifiées ou corrigées par les états des distributions rendus disponibles par les maisons de fonds, ainsi que les états financiers et rapports de divulgation des rendements des fonds, à savoir des documents réglementaires publiés sur SEDAR.
*Vincent Cliche est conseiller en placement à la Financière Banque Nationale