En raison de la pandémie et des fortes baisses connues dans les marchés financiers en mars, malheureusement, l’année 2020 risque d’être un terreau fertile pour qu’un client «profite» de pertes en capital latentes sur ses placements.
Il est toutefois opportun de bien planifier la réalisation de ces pertes afin de tenir compte des règles sur les pertes apparentes. C’est en quelque sorte le message qu’ont livré Paule Gauthier et Nathalie Fisette-Caza, toutes deux vice-présidente, Services de planification, clientèle fortunée, chez Services de gestion de patrimoine RBC, à l’occasion du congrès de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), en octobre.
«Dans un contexte d’investissement, l’objectif n’est jamais vraiment de réaliser des pertes, mais, si ça arrive, on peut amortir le coût net des pertes avec le jeu de la fiscalité», a indiqué d’emblée Nathalie Fisette-Caza.
Les règles sur les pertes apparentes sont relativement connues des conseillers et des planificateurs financiers. À la fin d’une année civile, bon nombre de conseillers travaillent avec leurs clients afin d’effectuer des ventes à perte à des fins fiscales dans leurs comptes non enregistrés.
D’ailleurs, dans l’article «Pertes apparentes : attention au traitement fiscal» publié dans Finance et Investissement le 15 novembre 2019, Dany Provost, directeur planification financière et optimisation fiscale, SFL Expertise, énonçait les grandes lignes de cette question.
Selon ce document, lorsqu’une personne dispose d’un bien en faveur d’une personne affiliée et qu’une perte en capital est déclenchée, celle-ci sera réputée nulle si le même bien ou un bien identique est acquis par la personne (ou une personne affiliée à cette dernière) dans une période débutant 30 jours avant la disposition et se terminant 30 jours après. À la fin de cette dernière période de 30 jours, la personne ou une personne qui lui est affiliée est (ou a le droit de devenir) propriétaire du bien.
Si c’est un individu qui a disposé du bien, la perte (réputée nulle pour la personne) s’ajoute au prix de base rajusté (PBR) de l’acquéreur. Si ce n’est pas un individu qui a disposé du bien, la perte est généralement maintenue dans l’entité (exemple : une société par actions ou une fiducie) jusqu’à ce que le bien soit revendu par l’acquéreur à une personne non affiliée.
Parmi les exemples de personnes affiliées, notons le conjoint d’un contribuable, une société qu’il contrôle ou une fiducie dont il est bénéficiaire, comme un REER, un FERR, un CELI, un REEI (régime enregistré d’épargne-invalidité) ainsi qu’une fiducie discrétionnaire.
Il existe bon nombre d’éléments à connaître lorsqu’on veut bien comprendre les règles des pertes apparentes. Voyons maintenant quelques subtilités qui ont été discutées dans le cadre du congrès de l’APFF.
Attention à la date du règlement
La date qui est utilisée afin de calculer la période débutant 30 jours avant la disposition et se terminant 30 jours après est la date de règlement, et non la date de l’opération. Or celle-ci peut varier selon le titre financier. Par exemple, pour une action, la date de règlement est deux jours en moyenne après la date de l’opération, et pour les fonds communs de placement, de un jour en moyenne, d’après la conférence intitulée «Utilisation des pertes sur investissements en temps de tempête».
«Il faut tenir compte des jours fériés et des fins de semaine au moment où on fait l’ordre d’exécution avant que ce soit réglé dans les systèmes. C’est une erreur qui peut être commise facilement et on est pris avec les règles des pertes apparentes même si on a fait des transactions en dehors de ces dates-là», a indiqué Nathalie Fisette-Caza.
Attention aux FNB liés au même indice
Une perte peut être qualifiée de perte apparente lorsqu’on acquiert le même bien ou un bien identique dans la période prévue par la loi. Qu’en est-il alors de deux fonds négociés en Bourse (FNB) ou fonds communs provenant d’émetteurs différents, mais qui tentent de répliquer tous deux le même indice de référence ? Ceux-ci pourraient être considérés comme des biens identiques, selon le cas.
«L’ARC nous dit que c’est une question de fait, donc à voir, mais il y a de bonnes probabilités qu’on considère quand même que ce sont des biens identiques», a noté Nathalie Fisette-Caza.
Pour ce qui est des obligations, si elles proviennent du même émetteur, «elles vont être réputées un bien identique, même si ce n’est pas le même montant et même si ça n’a pas été émis à la même date. Donc, si tous les autres droits sont les mêmes, ça va être des biens identiques», a-t-elle ajouté.
Les conseillers devraient donc prêter une attention particulière au choix du produit utilisé. Ils devraient aussi examiner l’historique de transactions du bien pour lequel on vise à effectuer une perte.
En effet, il faut appliquer la règle du coût moyen lorsqu’on calcule la perte en capital non réalisée de biens identiques acquis à différents moments, d’après Nathalie Fisette-Caza : «Si on a fait l’acquisition de biens identiques à différentes dates à l’intérieur de différents portefeuilles, le PBR indiqué sur le relevé de placement n’est pas le bon si on est dans une situation de perte apparente. Il faudra ajuster le PBR du bien que l’on vend pour tenir compte du PBR moyen des autres biens identiques à celui qui est cédé. Ça peut occasionner des surprises si on n’a pas tenu compte de cet aspect dans la planification de la réalisation de pertes.»
Attention aux programmes d’achat automatique
Bon nombre de conseillers mettent en place des programmes d’achat automatique de parts auprès d’un émetteur de fonds pour leurs clients. Ceux-ci peuvent annuler une stratégie de réalisation de pertes en capital à des fins fiscales, a mentionné Nathalie Fisette-Caza : «Si on a un mécanisme d’achat automatique chaque mois ou chaque deux semaines, on peut se retrouver avec des pertes apparentes sans [s’en rendre compte]. Il peut être judicieux d’arrêter les investissements automatiques avant de réaliser la perte dans ses comptes pour éviter l’application des pertes apparentes.»
Pour les mêmes raisons, il peut aussi être judicieux d’arrêter temporairement le réinvestissement des distributions de fonds communs de placement comme les régimes de réinvestissement des dividendes des fonds communs, d’après un article sur la question publié par Gestion de placements Manuvie.
Attention aux mandats multiples
Si on écarte les considérations financières et de gestion de risque et qu’on considère strictement le point de vue fiscal, éviter les règles des pertes apparentes est plus facile si on évite de dédoubler les portefeuilles qui investissent dans les mêmes catégories d’actifs, a noté Paule Gauthier : «Ça devient assez difficile à suivre. Souvent, les investisseurs vont, à l’occasion, diversifier les gestionnaires afin de diversifier le risque, mais les gestionnaires vont avoir exactement le même mandat. Des situations de pertes apparentes sont plus susceptibles de se produire dans ces cas-là.»
Attention aux sociétés qui ont des montants dans le CDC
Les sociétés privées qui ont réalisé des gains en capital par le passé ont des montants dans leur compte de dividende en capital (CDC) qui correspondent à la partie libre d’impôt des gains en capital que la société a réalisés.
Elles peuvent alors verser un dividende en capital, libres d’impôt à leurs actionnaires qui résident au Canada. De cette façon, aucune partie du dividende n’est incluse dans le calcul du revenu des actionnaires, selon le site de l’Agence de revenu du Canada.
Or, Paule Gauthier a fait la mise en garde suivante : «La réalisation d’une perte en capital à l’intérieur d’une société par actions, ça réduit le compte de dividende en capital, donc c’est une bonne idée de déclencher un dividende en capital avant la réalisation de la perte.»
Pourquoi ne pas transférer une perte à son conjoint ?
Prenons le cas de figure suivant : au sein d’un même couple, un individu, nommé Pierre, a une perte en capital non réalisée sur un titre financier durant la même année où sa conjointe, nommée Dominique, a réalisé d’importants gains en capital. Il est possible pour le premier de transférer sa perte à l’autre afin de réduire son gain, à condition qu’on fasse les choses dans les règles de l’art.
Dans une note envoyée à des clients, RBC Gestion de patrimoine explique les grandes lignes de la marche à suivre. Dominique devra acheter les titres de Pierre «à leur juste valeur marchande en utilisant son propre argent pour que les règles d’attribution du revenu ne s’appliquent pas».
À ce stade, le PBR de Dominique correspond au montant qu’elle a payé pour les titres. Celle-ci doit par la suite conserver les titres pendant au moins 30 jours, à compter de la date de règlement, après les avoir achetés de Pierre. «Cet élément est crucial, car si elle les vendait plus tôt, il n’y aurait aucune perte apparente. Du coup, cette stratégie ne serait d’aucune utilité», lit-on dans la note.
Par la suite, les règles de perte apparente s’appliquent et la perte est refusée à Pierre. Sa perte s’ajoute au PBR des titres de Dominique. Pour réaliser la perte, Dominique devra vendre tous ses titres à un tiers, d’après RBC Gestion de patrimoine. Si l’on considérait que la valeur des titres n’avait pas trop changé, la perte en capital peut alors compenser ses gains en capital.
Pierre devra déclarer la vente à sa conjointe à la juste valeur marchande sur sa déclaration de revenus, bien que la perte lui soit refusée. «Autrement, la transaction pourrait être traitée en franchise d’impôt et [Pierre] n’aurait pas réalisé une perte sur la transaction», d’après la note.