Une série de nouvelles mesures fiscales fédérales risque de mener les clients qui sont actionnaires de sociétés de gestion à y faire du ménage, d’ici la fin de l’année. Voyons l’effet de ces mesures qui touchent les entrepreneurs incorporés.
Dans une société par actions, il existe en quelque sorte deux types de revenus : les revenus d’entreprise actifs, découlant de ses activités courantes, et les revenus passifs, découlant de ses activités d’investissement. Les premiers 500 000 $ de revenus d’entreprise actifs profitent de la déduction pour petites entreprises et sont imposés actuellement à 17,24 % en 2018 et à 15 % en 2019, ce qu’on appelle communément au petit taux. Les revenus qui excèdent ce seuil de 500 000 $ de revenus actifs sont plutôt imposés à 26,7 % en 2018 et à 26,6 % en 2019. Le petit taux d’imposition se partage dans tout le groupe des sociétés dites associées.
Les revenus passifs sont quant à eux actuellement imposés à un taux de 50,37 %, et créent une somme créditée au compte d’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD). Les revenus passifs sont composés généralement des revenus nets de location et des revenus de placement tels que les revenus d’intérêts, de dividendes ou la partie imposable d’un gain en capital. Ces notions de base sont requises pour comprendre l’application des nouvelles mesures des revenus passifs.
À compter de l’an prochain, les revenus passifs gagnés par l’une des sociétés du groupe (plus précisément parmi les sociétés associées) viendront réduire le droit d’utiliser le petit taux d’imposition. Dès que les revenus passifs excéderont 150 000 $, il ne sera plus possible de profiter du petit taux d’imposition de 17,24 % sur les premiers 500 000 $ de revenus actifs. Résultat : les sociétés devront assumer une facture fiscale supplémentaire de 58 000 $ en 2019 (26,6 % -15 % x 500 000 $) si la société perd le droit d’utiliser le petit taux. Et soyons clair, s’il n’y a pas de société opérante dans le portrait, ces nouvelles mesures n’auront aucune conséquence.
Éléments de planification
Pour réduire les revenus passifs d’une entreprise, il existe quelques solutions alternatives. Par exemple, un actionnaire peut envisager la mise en place d’un régime de retraite individuel (RRI), la réorganisation d’un portefeuille en investissant dans des fonds constitués en société par actions, ou la souscription à une police d’assurance vie exonérée. Cependant, il peut être difficile d’engloutir toutes ses économies dans ces types de placements et encore faut-il que ces produits correspondent à ses besoins !
Ces nouvelles mesures donneront aussi du fil à retordre non pas simplement dans la planification de retraite d’un entrepreneur, mais aussi dans le cadre d’une relève familiale. Voyons l’exemple suivant.
Claudia a pris la relève de son père, Claude. Elle détient les actions participantes de la société opérante, et son père, les actions privilégiées, par l’intermédiaire d’une société de gestion mise en place suivant une stratégie de gel successoral. Depuis quelques années, Claudia travaille durement et rachète progressivement les actions privilégiées que son père détient toujours dans la société opérante.
Or, considérant que les revenus passifs de la société de gestion de Claude dépassent le seuil de 150 000 $, la société opérante de Claudia ne sera plus en mesure de profiter de son petit taux d’imposition. En conséquence, la société opérante verra sa facture fiscale grimper, réduisant du coup sa capacité de rembourser les actions privilégiées de Claude.
Devrait-on envisager le rachat des actions contre un billet ? Dans ce cas, l’actionnaire sortant accepterait de ne plus détenir d’actions de contrôle, tout simplement pour ne plus faire partie du groupe de sociétés associées. Cependant, accepterait-il cette perte de contrôle ? Dans bien des cas, pour de multiples raisons autres que fiscales, la réponse risque d’être non et la résultante sera que la société opérante perdra le droit au petit taux à cause de ces nouvelles mesures.
Un autre compte d’IMRTD
En marge de ces nouvelles mesures, ne perdons pas de vue que les revenus passifs créditent un solde au compte d’IMRTD et que l’IMRTD sera aussi revampé. Pour les années fiscales après 2018, il y aura deux sortes d’IMRTD : le compte d’IMRTD déterminé et le compte d’IMRTD non déterminé.
C’est depuis 2006 qu’il existe deux sortes de dividendes imposables : les déterminés et les ordinaires ou les non déterminés. Lorsqu’un actionnaire d’une société privée reçoit un dividende, il peut s’agir soit d’un dividende ordinaire dont le taux d’imposition marginal maximum est actuellement de 44 % en 2018 et de 46,25 % en 2019, soit d’un dividende déterminé dont le taux d’imposition marginal maximum est actuellement de 39 %, soit d’un dividende en capital qui n’est pas imposable.
Du point de vue du particulier, le traitement fiscal est un peu différent considérant que la majoration et le taux de crédit sont différents. Ceci fait en sorte qu’un dividende déterminé est un peu moins lourdement imposé qu’un dividende ordinaire.
Dans la société, un solde positif dans le compte de revenu au taux général (CRTG) est requis pour qu’un actionnaire d’une société privée puisse recevoir un dividende déterminé et s’imposer à 39 % au lieu de 44 %. De plus, le versement d’un dividende imposable, déterminé ou non, donnera droit à un remboursement au titre des dividendes (RTD) de 38,33 % dans la société, venant du coup récupérer l’IMRTD. En gros, les nouvelles mesures feront en sorte qu’il faudra d’abord récupérer l’IMRTD non déterminé avant de récupérer l’IMRTD déterminé. Autrement dit, le dividende le plus lourdement imposé devra être versé en premier !
Bref, en raison des impacts combinés de ces deux nouvelles mesures fiscales, il est grand temps de faire le ménage dans les sociétés de gestion des clients. On doit envisager de verser un dividende imposable à l’actionnaire au moins pour récupérer le solde du CRTG, surtout lorsque l’IMRTD est élevé. Ce grand ménage permettra sans doute aussi de réduire les placements assujettis aux nouvelles mesures des revenus passifs. Plus que jamais, une vue d’ensemble de la situation propre à chaque cas est requise pour bien conseiller nos clients.
* Vice-présidente, planification fiscale et successorale, Gestion de patrimoine TD, Services Conseils