Le Canada compte environ 1,25 million de résidents américains, selon Michael Teper, associé dans le groupe de fiscalité américaine chez EY, à Toronto. C’est dire que les probabilités sont assez élevées qu’un conseiller ait parmi ses clients des citoyens américains dont les avoirs peuvent être soumis au régime américain des sociétés de placement étrangères passives (SPEP), communément appelées en anglais Passive Foreign Investment Company, ou PFIC.
Toutefois, les règles des SPEP ne s’appliquent pas seulement aux citoyens américains, mais aussi à tout citoyen canadien considéré comme un résident fiscal américain aux fins de l’Internal Revenue Code, ce qui accroît encore plus le nombre de clients potentiellement soumis aux règles des SPEP. Un conseiller a donc tout intérêt à les connaître afin de bien orienter ses clients dans les dédales de la fiscalité américaine.
Et il ne faut pas croire qu’il s’agit de situations rarissimes. «Je suis appelé à traiter des dossiers relatifs à ces questions au moins deux fois par semaine», affirme l’avocat Bradley Thompson, associé chez Altro LLP, à Montréal.
Régime complexe
Voici les principales caractéristiques des SPEP. Tout d’abord, le régime ne s’applique qu’aux sociétés étrangères du point de vue du fisc américain. Les actions répondant aux critères d’une incorporation passive sont soumises aux SPEP. Ainsi, 50 % des avoirs de cette société doivent être de nature passive, c’est-à-dire produire uniquement des revenus passifs, ou 75 % de ses revenus bruts doivent être de nature passive. De telles règles couvrent pratiquement tous les fonds communs de placement et tous les fonds négociés en Bourse (FNB), excepté les actifs contenus dans des REER ou dans des FERR, que le fisc américain respecte à titre de revenus de pension.
Les actifs et les revenus pouvant être caractérisés en tant que SPEP sont nombreux, indique Bradley Thompson : des sociétés d’investissement à capital fixe (close end funds), des loyers immobiliers, des redevances, des dividendes, et certains revenus de gestion. Il faut même ajouter des titres de sociétés particulières, note Michael Teper, par exemple des sociétés pharmaceutiques en démarrage sans revenus encore et dont tous les capitaux sont réinvestis en recherche. Il faut prendre garde à de tels cas, avertit ce dernier, «car le jour où les actions décollent en Bourse, un investisseur peut se retrouver avec une malencontreuse facture fiscale».
Toute la question est là : «Pouvoir déduire les rendements d’avoirs canadiens soumis aux règles fiscales américaines en tant que gains en capital», soutient Asif Rajwani, également associé en fiscalité américaine chez EY, à Toronto. Car, au départ, tout avoir canadien d’un citoyen américain résidant à l’étranger est imposé au taux maximal applicable à du revenu : 37 %. (Notons que l’impôt américain n’est pas fondé sur la résidence, mais sur la citoyenneté. Ainsi, un citoyen américain demeure imposable par l’Internal Revenue Service [IRS] même s’il réside à plein temps au Canada ou en Thaïlande.)
La conséquence principale du statut SPEP est d’abolir le taux préférentiel pour les dividendes qualifiés et les gains en capital sur les actions de la SPEP. De plus, une portion d’un dividende peut être imposée au taux maximal de 37 % sans bénéficier des taux gradués. Si cela ne suffisait pas, ajoute Bradley Thompson, il peut aussi y avoir des frais d’intérêt sur les dividendes payés ou sur le gain en capital réalisé des actions d’une SPEP (en fonction du nombre d’années où les actions de la SPEP ont été détenues par le contribuable).
Le contribuable ne peut bénéficier du taux de 20 % que s’il a rempli un formulaire SPEP (ou PFIC) 8621, et s’il a réclamé le statut QEF (Qualified Electing Fund), qui a pour effet d’imposer le contribuable sur le détail des activités sous-jacentes de la SPEP. Ce statut est habituellement le plus avantageux de trois, les deux autres étant le régime par défaut (revenu taxé à 37 %) et le statut «prix au marché», également considéré comme du revenu taxé à 37 %, mais pour lequel les niveaux de revenus peuvent être modifiés selon les fluctuations du marché.
Les formulaires SPEP doivent être obtenus auprès des sociétés passives, qu’il s’agisse de manufacturiers de fonds, de gestionnaires immobiliers ou de sociétés pharmaceutiques en démarrage. Chaque actif, chaque fonds requiert son propre formulaire 8621, y compris chaque fonds subalterne contenu dans un fonds de fonds. «On obtient un formulaire 8621 par SPEP», précise Bradley Thompson, et ce formulaire est rempli par le contribuable. Cependant, la SPEP doit fournir les informations requises nécessaires au statut QEF.
Or, tous les émetteurs de fonds ne produisent pas les rapports adéquats pour un statut QEF. Ainsi, plusieurs manufacturiers de fonds, même parmi les plus importants, négligent de publier des rapports pour leurs fonds dont l’actif sous gestion est moins important. «Par exemple, certaines banques canadiennes n’en produisent pas et la Banque Royale du Canada n’en produit que pour une dizaine de ses fonds les plus importants», précise Chris Watt Bickley, directeur principal en fiscalité chez Deloitte, à Montréal. Il faut comprendre, explique ce dernier, que la production de formulaires est coûteuse pour les manufacturiers de fonds.
Expatriés canadiens
Pour les conseillers, les fonds de placement sont évidemment les outils concernés au premier chef. Mais d’autres situations peuvent surgir. Bradley Thompson donne l’exemple d’un Canadien qui quitte le pays pour vivre aux États-Unis et qui est bénéficiaire d’une fiducie familiale, cette fiducie détenant une entreprise familiale. Souvent, cette dernière est une SPEP, ce qui entraîne des obligations de conformité aux États-Unis et fort probablement des conséquences monétaires désavantageuses.
Pour de telles situations, la déclaration SPEP et son impact monétaire peuvent être contournés en recourant à une structure de société à responsabilité illimitée (SRI). Ce type de société n’existe pas au Québec ; on le trouve encore en Nouvelle-Écosse, en Alberta et en Colombie- Britannique. Une telle société n’est pas soumise aux contraintes SPEP puisque seules les «corporations» le sont. «Un citoyen américain, même s’il réside au Québec, peut créer une SRI, en Nouvelle-Écosse, par exemple», précise Bradley Thompson.
Un conseiller qui ne sait pas que son client est un Américain, alors que ce dernier ne l’en a pas informé, est peu susceptible d’être tenu pour responsable par son client de tout déboire que ce client pourrait avoir avec l’IRS, soit l’autorité fiscale fédérale américaine, juge Bradley Thompson. Par contre, s’il en est informé et ne conseille pas son client adéquatement, il s’expose à des poursuites éventuelles. C’est sans compter que le client qui a manqué à ses devoirs fiscaux américains s’expose à une facture fiscale rétroactive, à des frais d’intérêt et à des pénalités substantielles.
Un conseiller doit donc s’assurer de connaître le statut de ses clients à ce chapitre : sont-ils des Américains ? Sont-ils des Canadiens résidant aux États-Unis ou appelés à y résider prochainement ? Il doit également être attentif aux fameux retraités migrateurs (snow birds), susceptibles d’être soumis aux règles des SPEP.
Le conseiller doit également orienter son client vers des investissements qui vont produire des formulaires 8621. Sans de tels formulaires, le client sera contraint de payer tout impôt sur ses placements en tant que revenu imposé au taux maximal de 37 %.
Une question doit être explorée : le client doit-il éviter tout investissement canadien en actions de nature passive et investir dans des actifs qui ne sont pas des SPEP comme, généralement, des actions individuelles, des titres à revenu fixe individuels et des FNB cotés à une Bourse américaine ? «Seule une analyse complète de la situation financière et fiscale d’une personne peut le déterminer, affirme Chris Watt Bickley. Les règles des SPEP sont extraordinairement complexes, leur application peut entraîner des frais professionnels élevés, et le tout peut résulter en un déboursé fiscal plus lourd que si l’individu évite les actifs soumis aux SPEP.»