Un homme d'affaires à son bureau tapant sur une calculatrice.
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Les conseillers œuvrant dans le secteur des services financiers, à l’aube de la retraite, font souvent face à un défi en matière de relève. S’ils n’ont pas de «poulain» dans leur giron, ils doivent vendre leur entreprise à des tiers qu’ils ne connaissent pas nécessairement. Dans ce cas, une situation se présente fréquemment. Le vendeur veut vendre ses actions et l’acheteur veut acheter les actifs.

Avant d’aller plus loin, rappelons qu’il existe quelques situations différentes selon le statut du vendeur. En effet, un employé à commission, par exemple, qui serait propriétaire de sa clientèle, n’aurait pas le même traitement fiscal qu’un travailleur autonome. De plus, il pourrait même voir son gain traité différemment par Québec et par le fédéral. En effet, selon le Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF), le gain sur la vente de sa clientèle serait traité comme un gain en capital par Québec, mais comme un revenu d’emploi par le fédéral.

Pour le reste du texte, je m’attarderai à la situation d’un travailleur autonome qui vend son bloc d’affaires, dont il est propriétaire.

D’abord, il n’y a pas de miracle. Si le vendeur veut bénéficier de son exonération de gain en capital et que l’acheteur désire les actifs avec une pleine base fiscale – pour un amortissement maximal -, ils ne pourront être satisfaits à 100 % tous les deux.

Vendeur n’ayant pas incorporé son entreprise

Regardons le cas d’un conseiller qui n’a pas incorporé son entreprise. La vente d’un bloc d’affaires (clientèle) est considérée comme de l’achalandage du point de vue fiscal. Depuis 2017, l’achalandage est traité comme n’importe quel bien amortissable – par exemple, un immeuble à revenus – du point de vue fiscal : récupération d’amortissement (si de l’amortissement a été pris) et gain en capital pour le reste.

Avant 2017, l’achalandage était ce qu’on appelle une immobilisation admissible dont la disposition entraînait les mêmes taux d’inclusion qu’une récupération d’amortissement et qu’un gain en capital (100 % et 50 %, respectivement), mais sous forme de revenu d’entreprise. Pour un travailleur autonome, il n’y avait donc pas de différence fondamentale avec le traitement d’un immeuble à revenus, mais pour une société, la différence entre un revenu de biens et un revenu d’entreprise est plus importante.

Dans bon nombre de cas, l’acheteur de la clientèle d’un conseiller travailleur autonome est très heureux – notamment parce qu’il pourra prendre de l’amortissement sur l’achalandage et parce qu’il n’achète aucun historique -, mais le vendeur paie un maximum d’impôt.

Heureusement, il existe un moyen facile de réduire la note fiscale. Le vendeur peut simplement incorporer son entreprise avant de la vendre. Bien sûr, il faut prendre en considération toutes sortes d’éléments, notamment la contrainte de la rémunération en épargne collective dont l’acheteur doit tenir compte après coup.

Il a alors deux options : ou bien il crée une nouvelle société, ou bien il utilise une société existante. Cette dernière peut en être une dont il est déjà actionnaire ou il peut s’agir d’une autre société dont l’acheteur, par exemple, est actionnaire.

Peu importe l’option choisie, l’important est que cette société n’ait pas d’actifs «contaminants», c’est-à-dire qu’elle respecte les règles des actions admissibles de petites entreprises (AAPE).

Or, l’une de ces règles fait état d’une période de 24 mois pour la détention des actions. Certaines personnes pensent qu’on doit donc attendre 24 mois après une incorporation afin de pouvoir bénéficier de l’exonération de gain en capital. C’est faux.

En fait, ce que l’article 110.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.I.R.) indique à propos d’une action admissible de petite entreprise est ceci : «… tout au long de la période de 24 mois qui précède le moment donné, [l’action] n’est la propriété de nul autre que le particulier ou une personne ou société de personnes qui lui est liée».

Une action nouvellement émise peut donc répondre à ce critère.

En effet, malgré l’alinéa 110.6(14)f) L.I.R. qui répute qu’une nouvelle action émise ait été la propriété d’une personne non liée à l’actionnaire avant son émission, la division 110.6(14)(f)(ii)(A) L.I.R. fait une exception à cette présomption dans le cas où une personne exploitant une entreprise a disposé, en faveur de la société, de la totalité ou presque – 90 % de la valeur selon la jurisprudence courante – des éléments d’actifs utilisés dans cette entreprise.

Par conséquent, les actions d’un conseiller qui transfère son bloc d’affaires en entier à une société nouvellement créée respectent le critère de 24 mois. Cela signifie cependant qu’un transfert d’entreprise partiel nécessiterait donc réellement une attente de 24 mois.

Une fois la société choisie, l’entreprise sera simplement «roulée» à la société, en vertu de l’article 85 L.I.R. Pour effectuer ce roulement, le vendeur choisira une somme convenue pour ne pas déclencher d’impôt, possiblement 1 $, et recevra des actions de la société en contrepartie. Ces actions auront un prix de base rajusté (PBR) égal à la somme convenue.

Par la suite, l’acheteur achètera ces actions du vendeur à leur juste valeur marchande (JVM). Le vendeur réalisera ainsi un gain en capital et, dans la mesure où son exonération cumulative des gains en capital est inférieure à la limite de l’année de la transaction, il pourra bénéficier d’une déduction pour gains en capital (DGC), lui faisant ainsi économiser possiblement beaucoup d’impôt.

De plus, le vendeur pourrait opter pour une vente hybride, dont il est brièvement question ci-dessous.

Vendeur ayant incorporé son entreprise

Dans cette situation, on doit également faire un choix entre les actions et les actifs. Les conséquences sont les mêmes que celles que nous venons de voir, à la différence que c’est une société par actions qui vendrait les actifs et qui serait imposée sur le gain en capital et possiblement la récupération d’amortissement, ce qui pourrait notamment générer un compte de dividendes en capital (CDC) et de l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD).

Il existe toutefois une façon de faire qui combine à la fois une vente d’actifs et d’actions. On qualifie ce genre de vente d’«hybride». Je n’entrerai pas dans le détail de ces types de transactions, mais sachez qu’elles sont très délicates et qu’elles comportent plusieurs risques, particulièrement au chapitre des articles 84.1 L.I.R., des paragraphes 55(2) L.I.R. et 84(2) L.I.R. ainsi que de la Règle générale anti-évitement (article 245 L.I.R.).

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, une vente hybride n’est pas une vente en partie d’actions et en partie d’actifs. C’est une vente d’actions, possiblement en partie, et une vente d’actifs en totalité.

Essentiellement, une vente hybride permet donc de vendre le nombre d’actions nécessaires pour que le vendeur puisse profiter pleinement de son exonération de gain en capital, tout en faisant en sorte que l’acheteur acquière tous les actifs avec une pleine base fiscale lui permettant de les amortir dans le futur. La société vendeuse, quant à elle, se retrouve avec les impacts fiscaux que l’on vient de voir sur la vente des actifs.

Perte fiscale de l’acheteur des actions

Les opérations que nous avons vues précédemment nous assurent que le vendeur aura droit à l’exonération de gain en capital. Cependant, bien que l’acheteur n’achète aucun historique d’entreprise si la société vendeuse est nouvellement créée, il voit possiblement la valeur de son achat être réduite en raison d’impacts fiscaux théoriques.

Premièrement, la différence entre la JVM des actifs et leur PBR (et même leur fraction non amortie du coût en capital [FNACC] dans le cas où le vendeur aurait lui-même acheté et amorti un bloc d’affaires) renferme de l’impôt «latent» qui pourrait être considéré par l’acheteur dans sa négociation. S’il s’agissait d’actifs non amortissables, il serait possible de l’éliminer complètement. Malheureusement, pour un bloc d’affaires (achalandage), ce n’est pas possible.

Deuxièmement, l’acheteur ne pourra pas, dans les années futures, prendre autant d’amortissement que s’il avait acheté les actifs directement.

En fait, cet impôt latent et cette perte d’amortissement sont intimement liés et dépendent de ce que l’acheteur fera au moment où il revendra son bloc d’affaires.

Pour estimer l’impôt latent, plusieurs acheteurs ne font que calculer le revenu imposable déclenché par la vente de l’actif (gain en capital imposable et possiblement récupération d’amortissement) et le multiplier par leur taux d’imposition.

Pour évaluer la valeur présente (VP) de l’amortissement futur, les comptables et les fiscalistes utilisent la formule suivante :

VP = FNACC X A X B / (A + C)

où :

FNACC = fraction non amortie du coût en capital

A =taux d’amortissement annuel

B =taux d’imposition de l’acheteur

C =taux d’actualisation

Si on veut calculer une perte d’amortissement, on n’a qu’à remplacer la FNACC par la différence de FNACC entre deux situations.

Or, nous verrons que, tant au niveau de l’impôt latent qu’au niveau de la perte d’amortissement, la perte fiscale de l’acheteur peut être exagérée.

Un exemple chiffré

Prenons un exemple qui reflète ma vision des choses, même si je ne prétends pas qu’elle soit la seule valable.

Disons que Paul n’a jamais acheté de bloc d’affaires (il est parti de zéro) et que sa clientèle, qu’il a incorporée, vaut 1 M $ aujourd’hui. Il aimerait bien vendre ses actions pour profiter de son exonération de gain en capital. Son achalandage a donc une JVM de 1 M $ et un PBR nul, pour les fins de l’exemple. Il a donc un gain en capital latent de 1 M $, soit 500 000 $ imposables.

Jean, un acheteur potentiel ayant déjà incorporé son entreprise, se présente et lui fait une offre d’achat de 756 000 $ à cause de ses pertes fiscales. Ce montant résulte d’un calcul qu’il explique à Paul, un peu surpris.

D’abord, il estime que l’impôt latent est de 97 500 $, soit le gain en capital imposable de 500 000 $ multiplié par le taux d’impôt de 19,5 %, le taux applicable sur les revenus de biens après remboursement de l’IMRTD.

À ce montant, il ajoute la perte d’amortissement qu’il estime subir au cours des prochaines années. Il applique donc la formule que son comptable lui a suggérée et il arrive à un montant de 146 429 $.

Pour arriver à ce montant, il a utilisé, dans la formule, les éléments suivants : FNACC = 1 M $, A = 5 %, B = 20,5 % et C = 2 %.

Son offre d’achat est donc le résultat de la JVM de 1 M $ à laquelle il soustrait 244 000 $ (97 500 + 146 500).

Paul a compris l’offre de Jean. Mais Paul, qui se débrouille très bien avec les chiffres, lui explique que la perte fiscale qu’il a calculée est largement exagérée, et ce, pour trois raisons :

Premièrement, on ne doit pas additionner l’impôt latent et la perte d’amortissement. Ces éléments sont étroitement liés, mais les additionner est une erreur de logique. Deuxièmement, on ne tient pas compte du temps dans les équations. Troisièmement, la formule des comptables est incomplète.

Regardons plus en détail ces trois raisons.

1. L’impôt latent ne doit pas s’ajouter aux pertes d’amortissement potentielles. Si, dans plusieurs années, Jean vendait ses actions, il ne subirait une perte fiscale qu’au niveau de l’amortissement perdu. Il n’actualiserait jamais son impôt latent initial de 97 500 $.

À l’opposé, si, dans plusieurs années, au lieu de vendre ses actions, Jean revendait sa clientèle sous forme d’actif, il actualiserait l’impôt latent qu’il avait calculé initialement. Cependant, l’amortissement auquel il aurait renoncé pendant ces années ne serait qu’une perte théorique.

Le montant de cette perte est calculé à partir d’une situation fictive où il aurait acheté et amorti l’actif. Mais, dans cette situation, il n’aurait jamais payé d’impôt sur le gain en capital latent initial. Le montant de la perte sur l’amortissement doit donc simplement être comparé à l’impôt qu’il paie en vendant. Dans ce cas, la perte réelle est l’une des deux, et non l’addition de celles-ci.

La perte fiscale de Jean, selon ce qui arrivera, est donc soit de 97 500 $ ou de 146 500 $ à cette étape, pas la somme des deux.

L’offre d’achat à Paul monte ainsi à un minimum de 854 000 $.

2. On ne tient pas compte du temps dans l’évaluation des pertes. D’emblée, on peut dire que la formule des comptables tient compte en partie du temps, mais il manque un morceau.

Jean a calculé que son impôt latent valait 97 500 $. Mais il a oublié de considérer qu’il paiera cet impôt latent (si jamais il le paie) au moment où il revendra lui-même son bloc d’affaires. S’il est réaliste de dire qu’il vendra dans 25 ans, on devrait diviser ce montant par (1+i)25.

Le taux d’actualisation, i, peut faire l’objet de discussions, mais il ne peut être inférieur au taux d’inflation prévu et supérieur au rendement net prévu dans le portefeuille d’investissement. En utilisant un taux d’inflation de 2 %, qui donne une valeur maximale, on se rend compte que l’impôt latent de Jean est réduit à un maximum de 59 429 $. On pourrait intégrer toutes sortes de probabilités (décès, invalidité, retrait des affaires…) pour affiner ce montant, mais on a une meilleure idée de la valeur réelle de l’impôt latent.

Pour ce qui est de la formule des comptables, elle indique la valeur d’une série infinie de versements en fin de période. Jean n’exploitera pas son entreprise aussi longtemps…

Pour corriger cette formule, on doit soustraire une autre série infinie qui commence à la revente de l’actif. Dans notre exemple, toujours à un taux d’amortissement de 5 % par année, Jean aurait une FNACC de 277 390 $ après 25 ans, soit le résultat d’une multiplication par 0,9525. À partir de la 26e année, Jean ne perdra plus d’amortissement. Or, le montant de cette deuxième série, en appliquant la même formule avec une FNACC de 277 390 $, est de 40 618 $. Mais ce sont des dollars futurs qui valent, à 2 % d’actualisation, 24 758 $.

La perte d’amortissement est donc réduite à 121 671 $, soit 146 429 $ moins 24 758 $.

La perte fiscale de Jean, à cette étape, est donc soit de 59 500 $ou de 121 500 $. L’offre d’achat à Paul grimpe ainsi à un minimum de 878 500 $.

3. La formule des comptables est incomplète. Même si nous lui avons ajouté un morceau ci-dessus, il manque une partie importante à la formule des comptables.

En effet, une déduction pour amortissement n’est qu’un report d’impôt. La formule ignore complètement la récupération d’amortissement éventuelle.

Contrairement à une vente d’actif, si Jean vendait ses actions dans 25 ans, il ne subirait pas cette récupération. Toutefois, le prix que son propre acheteur lui offrira reflèterait cet impôt latent plus élevé. Jean ne serait pas plus avancé.

Regardons l’impact de la récupération d’amortissement qui toucherait Jean dans 25 ans s’il vendait son actif. On a vu que la FNACC était de 277 390 $. Cela signifie que l’amortissement cumulatif est de 722 610 $, soit 1 M $ moins 277 390 $. Toujours à un taux de 20,5 % d’imposition, on arrive à un impôt de 148 135 $. Il ne reste qu’à l’actualiser. À un taux de 2 %, on arrive tout de même à un montant de 90 293 $ !

Par conséquent, l’impact de la perte d’amortissement serait plutôt de 31 378 $, soit 121 671 $ moins 90 293 $.

Ainsi, la perte fiscale plus réaliste de Jean serait soit de 59 500 $(s’il vendait les actions dans le futur), soit de 31 500 $(s’il vendait l’actif).

Il peut donc faire une offre d’achat d’au moins 940 000 $ à Paul sans avoir peur d’être lésé.

Quant à elle, la formule théorique de la perte d’amortissement serait ainsi synthétisée :

(Différence FNACC) X (A X B/(A + C) – ((1 – A)n X A X B/ (A + C) + (1 – (1 – A)n) X B)/(1+ C)n)

Où n = le nombre d’années estimé avant la revente.

Conclusion

Le présent texte n’a abordé que certaines considérations fiscales. Lorsque des valeurs importantes sont en jeu, particulièrement si le vendeur peut multiplier son exonération de gain en capital, il va de soi que la présence d’un fiscaliste d’expérience est requise. De cette façon, on s’assurera que les transactions sont faites dans les règles de l’art et que le fisc ne nous jouera pas de mauvais tour.

Je n’ai pas parlé non plus de l’évaluation de l’entreprise et du financement qui englobent une série d’autres variables influençant le transfert d’un bloc d’affaires.

Par ailleurs, dans un contexte de transfert de clientèle, il est très possible d’impliquer le vendeur pendant quelques années au sein de l’entreprise. De cette façon, un acheteur d’actions peut «rentabiliser» sa perte fiscale, le cas échéant.

DANY PROVOST*

* Directeur planification financière et optimisation fiscale, SFL Expertise