Lorsqu’on fait la projection de la situation financière d’un actionnaire, on doit considérer plusieurs variables. Pensons aux taux d’imposition de la société par actions et à ses différents comptes fiscaux et aux taux d’imposition du particulier.
Or, il y a beaucoup plus. Pour avoir une image complète, il faudrait croiser tous les types possibles d’entrées de fonds dans la société avec tous les types de sorties de fonds, en incluant toutes les situations possibles pour l’actionnaire (autres revenus, état civil, nombre d’enfants…). Un tel tableau serait gigantesque, étant donné le nombre de situations possibles.
Sans illustrer tous ces scénarios, on peut cependant avoir une bonne idée de l’importance de certains paramètres. En voici quelques-uns à considérer.
Revenus de la société
On peut diviser les revenus de la société en trois grandes catégories : les revenus d’entreprise, les revenus de dividendes canadiens et les autres revenus de biens.
Le revenu d’entreprise est imposé soit au « petit taux »de 12,2 %, soit au « gros taux »de 26,5% (le taux général) ou, depuis quelques années au Québec, au « moyen taux »de 20,5 %. Le premier élément influant sur les taux effectifs marginaux d’imposition (TEMI) de l’actionnaire est donc ce taux fondamental.
L’imposition au « gros taux » fait augmenter le compte de revenus à taux général (CRTG), ce compte fiscal qui permet à la société de verser un dividende déterminé à l’actionnaire.
Il peut être utile de « trouver » des dépenses pour réduire le bénéfice de l’entreprise afin de ne pas être frappé par le gros taux, particulièrement depuis la réforme Morneau. Par exemple, l’entreprise pourrait cotiser à un régime de retraite comme un Régime de retraite exécutif (RRE), non assujetti aux taxes salariales, afin d’enrichir l’actionnaire tout en évitant partiellement le taux général.
Si une société reçoit un revenu de dividendes de source canadienne, celui-ci ne sera pas imposé en fin de compte. Toutefois, il fera l’objet d’un impôt temporaire de 38,33 % pour les sociétés non rattachées (détenues à 10% ou moins) qui versent un dividende déterminé. Pour les sociétés dont le pourcentage de détention se situe au-delà de 10 %, l’impôt temporaire est égal au remboursement au titre de dividendes (RTD) qu’a reçu la société payeuse dans la proportion de détention de la société récipiendaire. L’impôt temporaire sur un dividende déterminé vient augmenter le solde de l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD) déterminé qui sera remboursé au moment où un dividende déterminé sera versé (ou un excédent de dividende ordinaire par rapport au solde de l’IMRTD non déterminé) à raison de 38,33 %.
Finalement, il y a les autres revenus de biens parmi lesquels on retrouve notamment les revenus de placement (autres que les dividendes de source canadienne évidemment) et les revenus de location. Ces revenus de placement ont un impôt permanent de 19,5 % auquel on ajoute un impôt temporaire de 30,67 %, pour un total de 50,17 %. L’impôt temporaire augmente cette fois-ci l’IMRTD non déterminé qui sera remboursé lorsqu’un dividende non déterminé sera versé à l’actionnaire.
Les revenus étrangers, qui font partie de cette dernière catégorie, méritent une attention particulière. En effet, ils font généralement l’objet d’une retenue à la source dans un autre pays. Souvent, on parlera de 15% pour des dividendes américains et de 25% pour des dividendes d’autres pays. Le problème pour ces impôts est qu’ils font aussi l’objet d’une imposition au Canada, dont l’imposition temporaire de 30,67 %. Or, la mécanique de calcul de l’IMRTD fait qu’une partie de cet impôt payé est perdu, ce qui fait grimper les taux d’imposition intégrés (société plus actionnaire) à près de 69 % dans certains cas.
Revenus de l’actionnaire
Ici, les choses sont plus complexes. En effet, les TEMI d’un actionnaire peuvent être multiples. Consultez les 42 courbes de Laferrière, publiées par le Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF), si vous avez des doutes et n’avez pas les outils pour faire ces calculs.
Afin d’estimer les TEMI intégrés d’un actionnaire, c’est-à-dire les TEMI qui incluent à la fois l’impôt payé par la société et celui payé par l’actionnaire, on doit comprendre que le nombre de situations personnelles – parfois déjà gigantesque, particulièrement pour un couple – est multiplié par le nombre de types de revenus gagnés par la société et le nombre de types possibles de formes que peuvent revêtir les versements à l’actionnaire. Imaginez si les deux conjoints d’un couple sont actionnaires !
On doit donc se rabattre sur quelques éléments clés afin de simplifier ces situations.
On parle « souvent » des taux intégrés lors du versement d’un dividende à partir des simples tables d’imposition (par exemple, le taux maximal de 48,697 % menant à un taux intégré de 54,956 % en 2022 sur un dividende ordinaire versé après revenu d’entreprise). Or, on parle beaucoup moins des TEMI sur un dividende sur les composantes de TEMI autres que les tables d’imposition et des impacts dus à un versement sous forme de salaire.
Ajustement pour dividende
Pour estimer les TEMI du dividende, il faut savoir que, pour un particulier, ils sont habituellement calculés sur la base d’un revenu « régulier », par exemple un revenu d’emploi. Les courbes de Laferrière sont ainsi faites. Cela signifie que les pourcentages de TEMI calculés, qui peuvent déjà être considérablement élevés, s’appliquent à la variation du revenu net (imposable). Or, un dividende ordinaire fait varier le revenu net de 115 % de celui des revenus réguliers et cette proportion grimpe à 138 % pour un dividende déterminé (un gain en capital, quant à lui, voit ses TEMI divisés en deux par rapport à un revenu régulier).
Or, le crédit pour dividende arrive à une étape ultérieure de calcul par rapport à celle du revenu net qui, lui, influe sur les autres crédits.
Même si les taux intégrés maximaux de 54,956 % pour un dividende ordinaire et de 55,979 % sur un dividende déterminé (versés à partir de revenus d’entreprise) sont exacts à partir des simples tables d’imposition, les TEMI des autres composantes sont plus influencés que ce que l’on constate avec des revenus réguliers.
Afin d’estimer l’impact réel du versement d’un dividende en l’absence d’un calculateur, on peut se référer aux courbes de Laferrière en apportant quelques ajustements. Cette méthode est imparfaite, mais c’est mieux que rien.
- Considérer les taux marginaux du tableau de dividendes du CQFF (TEMI 1);
- Trouver les TEMI de la situation la plus semblable dans les courbes de Laferrière et trouver les TEMI du revenu imposable correspondant au montant de dividende (115 % ou 138 % selon le cas);
- Ajuster pour les composantes reliées au type de revenu, par exemple, revenu d’emploi, le cas échéant;
- Soustraire du TEMI obtenu les pourcentages correspondant aux tables d’impôt;
- Multiplier par 115 % ou 138 %, selon le cas (TEMI 2);
- Additionner TEMI 1 et TEMI 2 sur dividende.
Prenons l’exemple d’un actionnaire ayant un revenu imposable de 65 000 $. Les tables (du CQFF ou autre) de 2022 donnent un taux marginal d’imposition de 17,77 % pour un dividende déterminé.
Disons que, dans la situation donnée, le TEMI avec les courbes de Laferrière donne 58,32 % pour un revenu régulier de 65 000 $. Or, les tables d’imposition donnent, à ce niveau, un taux marginal de 37,12 %. Le TEMI de 58,32 % est donc supérieur de 21,20 points de pourcentage aux simples tables d’imposition. C’est l’effet des autres composantes du TEMI, par exemple, les prestations pour enfants, qui ne sont pas touchées par la nature du revenu.
Si on analyse les TEMI « vers le haut » pour un employé, c’est-à-dire pour une augmentation de revenu, à 65 000 $, il n’y a que la cotisation au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) qui s’applique en matière de « charges sociales », car les maximums assurables pour l’assurance-emploi et le Régime de rentes du Québec (RRQ) sont dépassés. Un léger ajustement de 0,494 % est donc nécessaire.
Afin de connaître le TEMI du dividende déterminé, on doit multiplier un écart de 20,71 points (21,20 points moins l’ajustement pour le RQAP) par 1,38, le facteur de majoration du dividende, ce qui donne un impact de 28,58 points en sus des tables d’imposition. Finalement, en ajoutant cet impact au taux des tables de 17,77 %, on obtient un TEMI de 46,35 %, beaucoup plus représentatif de la réalité.
Pour connaître un TEMI intégré, on doit considérer un dollar (peu importe le montant) et suivre sa trace.
Par exemple, si la société a un TEMI de 26,5 % (le « gros taux » sans complication) et que notre actionnaire a un TEMI de 46,35 %, la société peut verser un dividende déterminé de 735 $ à son actionnaire pour chaque tranche de 1 000 $ de revenu. Si l’actionnaire a un TEMI de 46,35 %, il s’applique sur les 735 $, et non sur les 1 000 $. Le TEMI intégré est donc de 26,5 % + (46,35 % x 73,5 %) = 60,57 %.
Effets du versement de salaire
Pour le versement d’un salaire, on peut penser que les impacts sont nuls, étant donné que la société a une déduction égale à l’imposition supplémentaire de l’actionnaire.
À un salaire élevé, les TEMI intégrés peuvent ressembler au taux marginal maximal de 53,31 % de revenu régulier. Cependant, la cotisation au Fonds des services de santé (FSS) n’a pas de plafond. Ce taux varie généralement de 1,65 % à 4,26 % en fonction de la masse salariale, culminant à une masse salariale de 7 M$ et plus.
D’autre part, j’ai écrit à quelques reprises sur le sujet d’un salaire annuel de 3 600 $ qui était optimal plutôt qu’un salaire de 3 500 $. Pour bon nombre, il s’agit d’un no-brainer comme salaire minimal. Une cotisation de 10 $ par an permet d’accumuler une rente de 900 $ par année à vie…
Cependant, cette situation est assez théorique dans le contexte actuel. En effet, un salaire plutôt élevé remporte souvent la palme dans une optimisation salaire-dividendes, à l’exception des années où les cotisations au RRQ n’ajoutent que peu (ou pas) de valeur à la rente de retraite. Il faut donc faire attention aux dernières années où les cotisations au RRQ peuvent être perdues ou voir leur bénéfice sensiblement réduit.
Un salaire de 3 600 $ comparé à un salaire nul génère habituellement le meilleur des deux mondes : celui de laisser davantage d’argent dans la société à investir et celui de générer un revenu de retraite du RRQ.
Par ailleurs, il est intéressant de comprendre l’intégration des cotisations au FSS. Elles ne sont pas exigibles pour un employé, alors que c’est le cas s’il reçoit un dividende. La raison est simple : des cotisations au FSS sont pratiquement toujours payables pour un individu gagnant un revenu. Lorsque l’individu est un employé, ce fardeau incombe à son employeur. Alors que la société évite ces cotisations en ne payant qu’un dividende à son actionnaire, c’est ce dernier qui doit en payer (jusqu’à un maximum de 1 000 $ par année) en remplacement.
La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail exige également des cotisations jusqu’au maximum des gains assurables (88 000 $ en 2022) de 0,06 % du salaire pour le volet « normes du travail ». Pour un dirigeant d’entreprise, aucune autre cotisation à cet organisme n’est exigible, à moins qu’il ne souhaite obtenir une couverture personnelle.
Du côté de l’assurance-emploi, un actionnaire détenant plus de 40 % des actions avec droit de vote d’une société n’y cotise pas. De plus, si votre client a un lien de dépendance (question de faits) avec la société payeuse, il ne sera pas non plus assujetti à cette cotisation dont le taux standard est de 1,20 % en 2022 pour les employeurs du Québec jusqu’au maximum de gains assurables de 60 300 $.
Il va sans dire qu’une optimisation nécessite des projections personnalisées. Il est impossible d’estimer l’ensemble des TEMI possibles et de baser des recommandations uniquement sur ceux-ci.
On doit ainsi calculer la rente du RRQ selon l’historique propre du client, probablement le calcul le plus complexe à faire. À part le Supplément de revenu garanti combiné à l’allocation au conjoint qui peut causer des maux de tête aux personnes qui recherchent une précision chirurgicale, les programmes sociaux sont généralement assez faciles à calculer. Le défi est d’illustrer tout ça dans une projection intégrée.
Peu importe les outils à votre disposition pour faire ce genre de projections, l’important est de donner l’heure juste à votre client. Ainsi, certains calculs peuvent être escamotés ou faire l’objet d’approximations grossières sans que cela ait d’incidence sur le portrait global, qui est l’objectif recherché. De cette façon, votre client pourra prendre des décisions « éclairées ».
Dany Provost est directeur planification financière et optimisation fiscale, SFL Expertise