Année après année, nos sondages menés dans le cadre du Pointage des courtiers québécois montrent que les courtiers peinent à combler certaines attentes des conseillers en placement (CP). Voici les principaux enjeux, dont les dirigeants de ces firmes sont conscients.
Comment les conseillers évaluent-ils leur firme ? : Consultez le tableau du Pointage des courtiers québécois
Un mal nécessaire, l’état de compte
Les clients ont de la difficulté à comprendre leurs relevés de compte. Des CP de toutes les firmes de courtage déplorent que leurs clients n’y comprennent rien ou s’en plaignent. En évaluant la clarté des communications touchant les placements des clients, les répondants ont accordé une note moyenne de 7,9 sur 10 par rapport à une importance moyenne de 9,1.
«C’est un problème qui n’aura jamais de solution. Je lisais le relevé de ma femme en fin de semaine et je comprends que personne ne comprenne bien le relevé», dit un conseiller.
«C’est un mal nécessaire. Personne n’a trouvé la solution miracle», résume Richard Rousseau, vice-président du conseil du Groupe gestion privée, Québec, chez Raymond James (RJ).
«Des CP et des clients nous expliquent que ces états de compte ne fonctionnent pas et que c’est compliqué. Ils ont raison», indique Paul Balthazard, vice-président et directeur régional, Québec, chez RBC Dominion valeurs mobilières (RBC DVM). Selon lui, ces rapports mensuels, appelés custody statements, sont les mêmes qu’il y a 20 ans, pour des raisons réglementaires. Ils sont désuets.
C’est pourquoi RBC DVM a investi dans un type de rapport facile à utiliser qui permet au CP de personnaliser ce qu’il envoie au client. «En parallèle, on continue à investir dans notre plateforme en ligne et on essaie de convaincre nos clients de tous y aller. Investir dans nos vieux custody statements coûterait une fortune et on ne voit pas la logique de le faire», dit Paul Balthazard.
La Financière Banque Nationale (FBN) a quant à elle fait une refonte de son site web afin d’améliorer la clarté des informations. «C’est quelque chose dont on s’est occupé dans le dernier mois. Ce ne sont pas tous nos clients qui sont en ligne, mais l’an prochain on va avoir un meilleur score», estime Denis Gauthier, premier vice-président et directeur national à la FBN.
Les CP de la FBN utilisent aussi deux sortes de relevés. «Lorsqu’on rencontre les clients, on leur réexplique l’état de compte, qui est plus ardu à lire pour des raisons réglementaires. Puis, on leur présente le rapport de Croesus, avec les mêmes données, qui est plus compréhensible, et on arrive à avoir la conversation désirée», dit Denis Gauthier.
Arrière-guichet à améliorer
La technologie pour le soutien administratif d’arrière-guichet (back-office) fait encore cette année son lot d’insatisfaits. À ce critère, les firmes affichent une note moyenne de 7,7 par rapport à une importance de 8,9.
Dans plusieurs firmes, on déplore des erreurs, parfois une lourdeur. «La technologie n’est plus à jour. Mais on doit y voir prochainement», dit un conseiller qui résume la tendance de l’industrie.
«Notre logiciel d’arrière-guichet est web-based, extrêmement solide et efficace. Il permet aux conseillers et à leurs équipes de travailler tout aussi efficacement de la maison pendant cette crise. Nos outils transactionnels, d’administration, de production de rapports et d’intégration de nouveaux clients sont également opérables à partir du Web», explique Frédéric Paquette, vice-président exécutif, affaires et ventes nationales, d’iA Valeurs mobilières (iAVM).
En 2020 et 2021, iAVM entend améliorer la plateforme de travail des conseillers «afin de capter certaines synergies qui ont été cernées, ce qui allégera la plateforme de travail. Plusieurs groupes de travail assignés à ces développements comptent d’ailleurs des conseillers dans leur rang», précise-t-il.
C’est parfois ardu de répondre aux attentes élevées des CP en matière technologique, qui souhaitent parfois des mises à jour en temps réel, selon Denis Gauthier : «Certaines limitations ne dépendent pas de nous, mais de la façon dont nos fournisseurs sont structurés. Tout ce qu’on peut mettre en temps réel, on le fait et on va continuer de le faire.»
«Avec les opérations, ç’a toujours été une relation amour haine. C’est injuste. Ces gens travaillent dans l’ombre et sont tellement dévoués, dit Paul Balthazard. Des fois, les attentes des CP ne sont pas réalistes.»
Afin de s’améliorer, RBC DVM a créé une sorte de guichet unique où le CP présente ses ennuis. Cela lui évite, par exemple, de devoir s’adresser à quatre services pour résoudre autant de problèmes. «Il y a eu une période d’adaptation et des accrochages, mais celle-ci est derrière nous et ça va très bien», souligne Paul Balthazard.
«C’est un peu comme les urgences. Si tu y entres avec un rhume, tu n’en ressors pas de bonne humeur. Si tu fais un arrêt cardiaque et qu’on te ressuscite, tu vas ressortir très satisfait. Quand on a un vrai problème, on est bons. Quand tu arrives avec des complexités un peu moins grandes, ça peut traîner», compare Jérôme Brassard, vice-président et administrateur de RBC DVM et successeur désigné de Paul Balthazard.
Perfectible, la techno de front office
Le logiciel de gestion de la clientèle (front office) engendre aussi des insatisfactions chez certains répondants. À ce critère, les courtiers obtiennent une note moyenne de 7,9 par rapport à une importance de 9,0.
Alors que des conseillers jugent leurs systèmes «très performants et accessibles», d’autres réclament des mises à niveau. Les réponses varient d’un conseiller à l’autre, parfois même au sein d’une même firme.
Encore là, on veut s’améliorer. À la FBN, un nouveau logiciel de gestion de la relation client sera implanté bientôt, note un conseiller. Chez RJ, plusieurs chantiers sont en cours : «Sur le plan logiciel, on a une architecture ouverte. Un conseiller peut travailler avec Salesforce ou, s’il préfère, avec Maximizer. Quand tu as une architecture ouverte, tu as moins de soutien», explique Richard Rousseau.
Ces deux dernières années, RJ a investi dans le renouvellement de son site client. «L’accès à l’information et l’échange avec le CP vont être modernisés. Les conseillers vont commencer à voir les résultats de cela très bientôt», dit Richard Rousseau.
De plus, on prévoit numériser certaines tâches, comme la documentation que doit traiter le service des opérations pour l’ouverture d’un compte et ses suivis, poursuit-il : «Les facteurs d’identification, la signature électronique, la documentation numérique… Beaucoup d’investissements ont été faits pour moderniser le workflow.»
Laborieux, l’accueil de clients
RJ n’est pas le seul courtier à se préoccuper de la techno pour l’accueil de nouveaux clients (client onboarding), ce critère d’évaluation dont la note moyenne est la plus faible du tableau (7,2).
«Nous sommes en train de déployer une toute nouvelle technologie pour l’acquisition et l’intégration de nouveaux clients. Certains conseillers ont d’ailleurs commencé à l’utiliser. On aurait cependant aimé la livrer plus rapidement», note Frédéric Paquette.
Dans les deux dernières années, RBC DVM a développé une technologie pour l’onboarding, mais a dû l’abandonner. «Ç’a coûté de gros sous et a occasionné des délais et des frustrations», admet Paul Balthazard. La firme a recommencé avec une nouvelle solution, qui est bien accueillie par l’équipe.
Le dirigeant de RBC DVM garde espoir : «Dans le quotidien de nos équipes, la plus grosse souffrance, c’est toute la documentation : ouvrir un compte, mettre à jour un compte. En simplifiant nos opérations sur ces plans, ça va les améliorer.»
Plans financiers : attentes élevées
La satisfaction concernant la technologie utilisée pour la planification financière varie beaucoup d’une firme à l’autre. Il ne s’agit donc pas d’un défi pour toute l’industrie.
Chez iAVM, on «fournit un logiciel de planification financière. Ce système bénéficie d’une intégration avec la plateforme de gestion de clients», d’après Frédéric Paquette.
Difficile d’expliquer la note d’iAVM inférieure à la moyenne de ses pairs sur ce plan, hormis son «modèle d’affaires indépendant» où le conseiller assume davantage de dépenses, mais reçoit un taux de payout supérieur sur sa production brute. Ce modèle «laisse aux conseillers le choix de certains outils selon leurs besoins et leur pratique. Ceux qui optent pour le logiciel de planification financière fourni par la firme bénéficient également d’un rabais sur le coût du système», indique Frédéric Paquette.
À la FBN, «nos conseillers n’étaient pas satisfaits des outils qu’on leur fournissait» et on les a écoutés, selon Denis Gauthier : «On a développé un outil de planification par objectifs de vie. Il va peut-être remplacer notre outil actuel. Il est en test pilote. Il semble susciter énormément d’enthousiasme.»
Compliqués, les médias sociaux
Le soutien concernant l’utilisation des médias sociaux récolte chaque année une faible note (7,2 en moyenne). Toutefois, peu de conseillers les utilisent régulièrement, si bien qu’ils y accordent une importance moindre.
Ici, les courtiers semblent essuyer une critique qui pourtant devrait être faite aux régulateurs, lesquels exigent d’eux qu’ils surveillent les publications des conseillers.
«Puisqu’on doit tout faire approuver et ce n’est pas convenable», dit un conseiller, exprimant ainsi un avis répandu. «Il y a tellement de règles, c’est une perte de temps», s’exprime un autre.
Certains répondants aimeraient obtenir davantage de soutien, avoir le droit de s’afficher sur Facebook, avoir davantage de liberté. «On est beige et gris dans nos communications. On n’a pas vraiment le droit de parole. On est déconnectés de la réalité avec les contraintes qu’on nous met», dit un autre.
Paie : changements honnis
La rémunération n’est pas une faiblesse en soi des courtiers. Or, elle suscite des attentes élevées parfois difficiles à combler. Bon nombre de CP craignent les ajustements à leur grille et semblent en garder rancoeur longtemps lorsque ceux-ci leur nuisent.
«Ils ont beaucoup coupé dans notre rémunération. Ils sont misérables. En même temps, on est trop bien payés pour ce qu’on fait», ironise un répondant. «On est bien payés, mais on en veut toujours plus !» dit un autre.
Certains détestent que leur courtier leur fasse assumer de nouvelles dépenses, comme une part plus importante du salaire d’un adjoint. L’indexation des différentes tranches de production brute donnant droit à un pourcentage de payout donné déplaît parfois. C’est aussi le cas lorsqu’on cesse de les rémunérer pour un client fidèle, dont le compte devient soudainement trop faible parce que ses décaissements le font passer sous le seuil de 250 000 $ par ménage, par exemple.
Quelques CP déplorent, pour les conseillers de la relève, la difficulté découlant de la majoration du seuil de production brute donnant accès aux taux de payout supérieurs. Par exemple, sept ans après son embauche, un conseiller cesse d’être sur la grille protégée et doit donc atteindre ce seuil, lequel a été fixé cette année à 500 000 $ à la FBN.
«Parmi les grands courtiers, nous sommes les plus bas [par rapport à ce seuil], dit Denis Gauthier. On a aussi ajusté de 1 % la grille pour tenir compte de l’inflation. Il n’y a pas eu de dépense pelletée du côté des conseillers. Notre positionnement est d’avoir la meilleure grille des grands courtiers, et on l’a.»
iAVM offre aussi une grille des plus compétitives, juge Frédéric Paquette, malgré les récents ajustements : «À la suite de l’acquisition de Hollis, nous avions deux grilles de rémunération différentes. Un projet a donc été entrepris en consultation avec un groupe de travail comprenant des conseillers pour en arriver à une grille harmonisée. Nous fonctionnons maintenant avec une seule grille depuis 2019. L’effet net est que la firme a payé un peu plus globalement les conseillers en 2019 qu’en 2018. L’effet potentiel de la grille harmonisée sera différent selon le type de pratique d’un conseiller – commission vs honoraires vs gestion discrétionnaire.»
Chez RBC DVM, le seuil de production minimal a aussi été récemment établi à 500 000 $, note Paul Balthazard. Or, la firme a fait passer de 15 mois à 24 mois la période pendant laquelle un nouveau conseiller reçoit un salaire, en raison de la féroce concurrence.
Le partage du rabais accordé au client lors d’une transaction (discount sharing) entre un CP et une firme est aussi une façon dont certaines d’entre elles réduisent indirectement la rémunération, note Richard Rousseau : «La firme garde sa pleine portion et la totalité de l’escompte est payée par le CP. Ça devient un partenariat non respecté. Chez Raymond James, on ne fait pas cela. On n’a pas de façon sournoise de réduire la rémunération. On essaie de garder notre grille fixe le plus longtemps possible. On n’a pas de compte minimum, on n’a pas de discount sharing. Ça fait une grosse différence.»
Méconnus, les programmes de relève
En moyenne, 31 % des répondants au sondage ne sont pas capables d’accorder une note au programme de transfert d’un bloc d’affaires à un CP plus jeune. Souvent, les répondants n’ont pas de connaissance approfondie de celui-ci. Cette méconnaissance découle parfois d’un manque d’intérêt du CP n’envisageant pas sa relève.
À ce critère, les courtiers ont obtenu une note moyenne de 8,1 sur 10 par rapport à une importance moyenne de 8,6. La dispersion des notes révèle toutefois des expériences différentes selon les sondés. Certains sont ravis du soutien reçu ou de l’option de former une équipe avec d’autres CP qui poursuivront leurs activités. D’autres sont déçus de l’approche de leur firme, comme ce répondant : «Le programme n’est pas bien structuré. Ce n’est pas un transfert en bonne et due forme. Ils nous rachètent.» Un sondé envisage même de vendre son bloc d’affaires à l’externe.